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22 décembre 2008 - Arts, architecture...

À quoi ressemble la banlieue

La banlieue n'a pas été faite pour être regardée depuis le RER.

Le RER circule dans les interstices de la ville, il passe derrière les maisons. Il montre l'arrière-cour de la banlieue.

Son tracé à grande échelle, serpentueux, ponctué de gares espacées mais presque entièrement dépourvu de correspondances, tranche sur le tissu serré des rues, routes, chemins et places. Bien souvent, le niveau du sol lui-même est différent pour la ville et pour le RER : il court au fond d'une tranchée ou sur le sommet d'un talus.

Une gare. Peut-être Bourg-la-Reine ? peut-être une autre.

La Croix de Berny, que je n'identifie que parce que le panneau est bien lisible.

La ville est conçue comme un centre, une mairie, une église, des commerces, des avenues, des bureaux, des quartiers résidentiels, des parcs. Le tout plus ou moins bien organisé.

La banlieue est, elle, contaminée par la ville-centre. Elle tente de se structurer en centres successifs, mais les avenues ne sont que des voies secondaires face aux grandes voies rapides, les centres sont concurrencés par les gares. La hiérarchie interne d'une ville de banlieue est soumise à l'attirance de l'énorme araignée accroupie au centre de la toile.

Or, cette banlieue elle-même, le RER ne permet pas de la voir telle qu'elle a été imaginée par ses bâtisseurs. Car il mélange tout : chemins et avenues, maisons et entrepôts, bois et collines, pilônes, cabanes, grillages, lieux et non-lieux sont pris dans le même travelling, défilent à la même vitesse et sortent en même temps du cadre de la fenêtre. Ils s'arrêtent si un même hasard les a déposés près d'une gare. Depuis le RER, un château n'est pas plus visible qu'un talus coincé sous un viaduc ; pas moins, non plus. Sur la première photo, vous n'avez pas remarqué, tout au fond à gauche, l'aqueduc d'Arcueil.

N'est-ce pas ?

Le passager voit la banlieue comme un entomologiste regarde un insecte qu'il dissèque : par l'intérieur, et non pas comme l'urbaniste l'a imaginée : de face.

En fait le passager, la plupart du temps, ne regarde pas la banlieue. Pour lui le RER c'est un lieu de départ, c'est un lieu d'arrivée et entre les deux c'est du temps à attendre, pas de l'espace à observer ; c'est du temps perdu dans de l'espace inutile.

Depuis le RER, le paysage apparaît en couches successives : les chapelets de maison qui font face à la voie, plus loin la vaste étendue formée par les toits en chevrons, au fond la crête des collines boisées, parfois couronnée d'immeubles. Certaines rues sont parallèles à la voie, elles exposent à la vue leurs alignements de maisons monotones ; d'autres rues sont perpendiculaires, elles offrent une perspective et laissent imaginer une possibilité d'évasion, ou en tout cas de visite.

Dans la banlieue telle qu'on la voit depuis le RER, la végétation est reléguée dans les recoins, dans les espaces sans fonction qui séparent une rue et une voie ferrée, une barrière et un viaduc. Ces espaces sont tristes, et la végétation qui les occupe est triste.

- Palaiseau.

- Lozère.

- Le Guichet.

- Orsay.

- Bures-sur-Yvette.

Il y a un véritable plaisir, pour le touriste venu de Intra-Muros, à regarder un paysage qui n'a pas été fait pour être vu.

Publié par thbz le 22 décembre 2008

3 commentaire(s)

1. Par Détails  (23 décembre 2008) :

Et dire que les gens qui habitent ces banlieues et travaillent à Paris ne voient jamais tout ça. Par négligence, par désintérêt peut être? Ou bien ils ont tellement l'habitude de cet environnement (le leur) qu'il ne suscite plus aucune réaction? Un endroit où ils peuvent vivre toute leur vie et de ne pas découvrir finalement. Est-ce dramatique ?
Il n’y a qu’en lisant les réactions (comme les tiennes) d’un étranger à ces lieux, qu’ils pourront un jour se poser la question.
(C’est la suite de la série « A quoi ressemblent les villes » ?):-)
Merci c'est intéressant, le regard de quelqu'un qui se trouve à "l'autre côté" du miroir.

2. Par thbz  (24 décembre 2008) :

On pourrait faire les mêmes remarques sur les entrées de ville. Ces routes empruntées par des centaines de milliers de gens chaque jour en France ne font pas (ou rarement) l'objet d'un véritable soin esthétique, contrairement aux centres-villes ou aux lieux de vie. On ne pense aux automobilistes qui arrivent dans une ville que pour leur proposer des commerces, des informations (panneaux indicateurs) ou des publicités, la ville ne cherche pas à s'offrir à eux comme un objet de contemplation.

3. Par Détails  (31 décembre 2008) :

La question qu'il faut se poser aussi, est-ce que ces automobilistes dont tu parles chercheraient à contempler la ville, alors qu'ils empruntent ces entrées tous les jours ou de temps en temps pas comme des touristes mais par le hasard des choses, pour le boulot ou une raison quelconque?
Ce qui se passe aujourd'hui et de plus en plus, les habitants d'une ville sont prêts à voyager au bout du monde s'il faut pour contempler ailleurs mais leurs villes seraient là pour que les autres les contemplent.

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