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18 septembre 2010 - Arts, architecture...

The Secret Files of Gilbert & George

C'était par hasard, en descendant au sous-sol du centre Pompidou pour voir ce qu'il y avait : des écrans un peu en désordre, posés sur des étagères parmi les cartons, des films sur les murs, quelques chaises en plastique. Une « exposition » très conceptuelle, qui portait semble-t-il sur la question du droit d'auteur. Peu importe le flacon.

Parmi les films projetés, à ce moment-là, un homme découpait un animal avec le geste sûr d'un boucher (il avait l'air chinois et il se tenait accroupi devant une maison traditionnelle, cela paraissait donc normal et non pas sanglant) ; plus tard dans le même film, des personnages répétaient la phrase « I will die ».

Sur un autre mur, deux artistes célèbres ouvraient la porte d'une maison londonienne : leur maison. Le titre du film est alors apparu : « The Secret Files of Gilbert & George ».

Je n'ai pas pu détacher mes yeux de ce qui a suivi.

L'auteur du film, interviewer impassible (le critique d'art Hans-Ulrich Obrist, lui-même star dans sa spécialité), n'interrogeait guère Gilbert et George sur leur vie ou sur leur activité artistique, mais seulement ou presque sur leurs archives. C'était donc le sujet du film : les deux artistes parlent de leurs archives, qui elles-mêmes parlent d'eux.

Dans des cartons impeccablement rangés par année et par thème, ils conservent des planches de photographies prises par centaines et par milliers, variations autour de thèmes parfois banals, parfois tabou. Ces planches leur servent de source d'inspiration pour leurs tableaux.

Leurs archives contiennent également les esquisses qui servent à réaliser ces tableaux ; ces esquisses sont détaillées au point que, selon eux, ils pourraient même confier la réalisation du produit fini à un tiers. Chaque exposition est préparée à l'aide d'une maquette représentant la galerie et de reproductions miniatures de leurs tableaux, accrochées à l'intérieur de la maquette qui prend des allures de maison de poupée. À partir de ces archives, n'importe qui pourrait reconstituer n'importe quelle de leurs expositions dans ses moindres détails. C'est du moins ce qu'ils prétendent.

Sort ainsi de ces cartons une maîtrise constante de leur habillement, de leur art, de la mise en scène des expositions consacrés à leur art, des ouvrages consacrés à leur art. De leur image, de leur vie, de la trace qu'ils laissent dans ce monde.

Sur certaines photographies on les aperçoit chez leurs amis, toujours ensemble avec leurs costumes identiques (sauf la couleur des cravates). Ils racontent qu'ils vivent dans cette maison depuis trente ans. Ils prétendent trouver tout ce qu'ils veulent à moins de cent mètres de leur maison. Ils ne sont jamais prétentieux, expliquent les choses calmement et sans affectation particulière. Typiquement britanniques, mais pas trop non plus. L'un commence une phrase, l'autre la termine, ils sont toujours en parfait accord sans être strictement identiques. Comme deux pianistes en duo.


Les contraintes stimulent, paraît-il, la création. Gilbert et George poussent ce principe à sa limite et soumettent toute leur vie (ou l'image qu'ils en donnent, car on ne sait bien sûr pas où s'arrête leur vie et où commence la mise en scène ; peut-être cette distinction n'a-t-elle pas de signification pour ceux qui se qualifient de « living sculptures ») à une règle absolue. On ne peut s'empêcher d'être doucement séduit et attiré. Et si c'était possible de vivre ainsi et d'y trouver le réconfort.

Leurs costumes élégants mais un peu démodés sont rassurants, leur totale banalité physique est familière, les propos qu'ils tiennent, provocateurs mais énoncés sans la moindre affectation, leur donnent l'apparence de la liberté. Ils peuvent faire, dirait-on, absolument tout ce qu'ils veulent ; et en même temps, ce sont des Anglais moyens, n'importe qui peut être Gilbert ou George.

La vie semble plus simple et plus facile. Nous pouvons être comme eux.

Vertigineux, comme si on créait son propre 1984 pour soi-même.

Publié par thbz le 18 septembre 2010

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