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4 septembre 2010 - Italie

Venise et l'eau

Venise et l'eau est un livre assez court de l'historien Piero Bevilacqua (au nom prédestiné). Il ne traite ni des gondoliers, ni du charme mystérieux des canaux vénitiens, mais des rapports entretenus au cours des siècles par la cité avec les eaux qui l'environnent et la traversent, en particulier sous l'angle politique. Car la question de départ est celle de la possibilité de l'action publique face à la rareté des ressources :

Comment préserver les libertés individuelles et la libre expression des personnes face à la nécessité d'une réglementation collective des biens essentiels à la survie de tous ? Comment concilier l'entreprise économique privée et l'usage individuel des ressources qui, au fur et à mesure qu'elles diminuent, paraissent toujours plus évidemment dotées de valeur générale, intrinsèquement publiques ?

La lecture est passionnante parce que la ville-musée se révèle ville-laboratoire. Tous ceux qui se demandent comment une décision politique peut être prise et légitimée trouvent une réponse, ou au moins un exemple, dans le cas de Venise.

Car à Venise, la gestion des affaires publiques doit prendre en considération un intérêt supérieur de manière absolue à tous les autres : la protection de la lagune, milieu écologique fragile et constamment menacé par les activités humaines et les grandes évolutions naturelles.

Pour conserver la lagune, autrement dit les conditions d'existence de Venise, tous les intérêts particuliers, si grands et considérables soient-ils, doivent se subordonner et s'adapter à ce principe suprême et indiscutable. Un objectif matériel supérieur, qui influe sur le comportement quotidien et s'impose comme une règle égalitaire à tous les citoyens, toutes les classes, investissant et façonnant la logique et la conduite même de l'État.

La classe politique, montre ainsi Piero Bevilacqua, tire sa légitimité de son rôle de sauvegarde de la lagune, qui impose le recours à un organisme capable d'imposer le respect de l'intérêt commun et lui confère une autorité supérieure et universellement reconnue.

Cette autorité n'est certes pas démocratique (le pouvoir n'est exercé que par une caste nobiliaire de taille très limitée), mais elle est parvenue au cours des siècles à éviter l'accaparement de l'État par une personne ou une faction.

En appelant dans tous les discours à la primauté du « bénéfice commun » sur le « confort particulier », l'autorité politique assure au cours des siècles la formation de la conscience civique des Vénitiens. Cette préoccupation va jusqu'à exclure les propriétaires nobles des institutions qui gèrent l'entretien des eaux dans la lagune, au motif « qu'ils pourraient faire passer leur intérêt avant le bien public ».

Venise apparaît ainsi comme un État extraordinairement moderne, qui s'impose par la création et la révision permanente de lois et de normes dont il assure l'application. Des institutions diverses réglementent la taille des filets de pêche (afin de préserver la ressource halieutique dans la lagune), le déboisement (qui entraine le ruissellement responsable de l'ensablement de la lagune), les coupes de bois (car le bois est indispensable pour les pieux qui soutiennent les maisons, les palissades qui protègent la lagune et les navires qui assurent la prospérité de Venise).

Si le mot n'est pas présent dans le livre, écrit en 1995, c'est bien de développement durable qu'il s'agit. Aux tendances naturelles des individus à rechercher le bénéfice immédiat, la collectivité oppose en permanence la nécessité de préserver les ressources par une gestion dynamique, l'objectif ultime étant bien la prospérité économique et l'intérêt à long terme des individus. Et cet objectif, aucun autre État, peut-être, ne l'a atteint aussi bien en Europe que Venise depuis le Moyen-Âge jusqu'au 18e siècle.


« Métaphore du destin commun, cet habitat fragile et menacé incarne un principe de communauté que tous les Vénitiens sont incités à reconnaître et à partager.


Venise, c'est aussi, à trois kilomètres du Grand Canal, un complexe pétrochimique de première importance et la promesse, un jour peut-être, d'une marée noire sur la place Saint-Marc.

Publié par thbz le 04 septembre 2010

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