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9 août 2013 - Arts, architecture...

Hantaï de près

Ce tableau de Simon Hantaï, Peinture (écriture rose), est connu des amateurs d'art moderne français (l'adjectif pouvant qualifier aussi bien l'art que les amateurs). Elle est souvent exposée au cinquième étage du centre Pompidou, tout au fond du musée au-dessus de la rue Rambuteau. C'est actuellement l'une des pièces majeures de l'exposition consacrée à l'artiste dans le vaste espace du sixième étage.

Des milliers de gens, visiteurs de l'exposition, habitués du musée, critiques d'art, sont donc passés un jour ou l'autre devant ce tableau et se sont arrêtés, attirés par le plaisir un peu ludique du voyage dans une toile où il se passe tellement de choses.

Pourtant personne, sans doute, n'a vraiment vu tout ce que contient ce tableau.

Hantaï y a, dit-on, travaillé pendant une année entière. Outre quelques motifs plus ou moins identifiables (une croix à la Tapiès, une étoile à six branches réalisée au pochoir, des groupes de taches en forme de morilles ou de grappes de raisin, quelques lettres d'imprimerie parsemées ici et là, une énumération qui s'achève au nombre 365 en bas à gauche...), qui n'excèdent pas la capacité d'observation de l'amateur attentif, le peintre a couvert la toile de plusieurs couches de lignes très fines. Vu de très près, ces traits constituent une écriture, cursive au point d'être rarement lisible. Vu de plus loin — comme sur la mauvaise photographie qui précède —, ces entrelacs se fondent dans un arrière-plan coloré et riche de nuances.

Le travail de l'artiste est donc immédiatement visible par tout spectateur qui s'arrête ne serait-ce que quelques secondes devant le tableau, quelle que soit sa sensibilité à l'art (et les réactions inscrites sur le livre d'or, à la sortie de l'exposition, montrent bien que l'art de Hantaï demeure difficile).

Mais la complexité du tableau, ou plutôt le nombre de traits qui le composent, est telle que, même en restant sur place pendant une heure ou toute une journée, on ne pourra voir qu'une petite partie du tableau. Pour le voir entièrement, peut-être faudrait-il une année, c'est à dire le temps qui a été nécessaire au peintre pour le réaliser.

On peut donc raisonnablement affirmer que personne, sauf le peintre (en supposant que celui-ci n'a pas eu recours à des assistants), n'a jamais vu entièrement cette œuvre qui a pourtant tellement été regardée.

Et par conséquent, chaque spectateur peut y voir un détail que personne d'autre, jamais, n'a vu avant lui.

Je déchiffre ainsi le mot « et », quelque part vers la droite. Il se distingue assez bien du fond calligraphié, à hauteur d'enfant : je ne suis donc certainement pas le premier à l'avoir remarqué.

Mais il est possible que je sois le premier à vraiment regarder, quelques centimètres plus bas, un certain T renversé ; et qui pourrait bien avoir vu, avant moi, encore un peu plus bas, ces deux vaguelettes rose et noire entremêlées, à peine visibles sur cette photographie comme dans la réalité ?

Dans ce « chef-d'œuvre de la deuxième moitié du XXe siècle », chaque spectateur attentif découvre donc très certainement, comme un explorateur dans une contrée vierge au 19e siècle (ou comme le promeneur qui observe un brin d'herbe), ce qu'aucun autre de ses semblables n'a jamais vu — ce que le peintre lui-même a probablement oublié le jour même où il l'a tracé.

Publié par thbz le 09 août 2013

2 commentaire(s)

1. Par Détails  (16 septembre 2013) :

Une année entière pour un résultat qui n'en a pas l'air. Il n'y a que les connaisseurs qui puissent estimer ce genre de travail à la fois assidu et difficile malgré l'apparence enfantine qui s'en dégage. En regardant une oeuvre pareille la curiosité me dépasse et je ne puisse pas m'interdire le questionnement sur le "pourquoi" d'une telle oeuvre. Et ce que je trouve vraiment amusant c'est le fait que chacun de nous regarde la partie du tableau qui lui plait tout en se projetant sur la toile et faisant mille et une trouvailles. Un autre jeu d'enfants en gros :-)

2. Par thbz  (16 septembre 2013) :

Cela fait longtemps que je ne me pose plus la question du « pourquoi », parce que il faudrait aussi se la poser pour la peinture plus ancienne. Cela serait compliqué et je suis paresseux. Donc je regarde, simplement, je fais confiance aux professionnels de la profession, et parfois il se passe quelque chose.

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