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4 février 2015 - Asie

Décorations en tessons au Vietnam

On trouve, au fond de la cité impériale de Hué, splendide reflet d'un empire du Vietnam qui, enfin réunifié au début du 19e siècle, jette ses derniers feux avant d'être absorbé par un empire doté de meilleures armes, aujourd'hui gigantesque espace clos que les guerres française et américaine ont en grande partie réduit à l'état de ruine, on trouve de magnifiques pavillons, restaurés ou non, des rochers aux formes fantastiques dans la tradition chinoise, des bassins où se reflètent les constructions humaines...

... et des arches ornées de motifs délicats...

... ou de décors en céramiques qui présentent une curieuse particularité :

Il ne s'agit pas de panneaux de céramiques commandés sur mesure à des artisans, ni même de petits carreaux aux formes simples assemblés en mosaïque, mais de débris de tasses, de plats ou d'assiettes en porcelaine, choisis pour leur couleur, leur forme et leurs motifs.

Ces porcelaines brisées sont mêlées à des morceaux de verre qui, eux aussi, sont en fait des tessons de bouteilles.

Apparemment, ces décorations n'étaient pas réalisées en récupérant des vases ou des bols déjà brisés, mais en important des porcelaines de prix pour ensuite les casser en morceaux.

À l'extérieur de Hué, en suivant la « Rivière des Parfums », large cours d'eau tranquille bordé de paysages tropicaux, on arrive d'abord à la pagode de la Dame céleste. Dans l'un des bâtiments de la pagode est exposé un superbe vase :

... sur un socle en mosaïque de porcelaine brisée :

En poursuivant la remontée de la rivière sur un bateau-dragon de pacotille...

... on parvient à la région des mausolées. Ici, à l'écart de la cité impériale, les empereurs du 19e et du 20e siècles se font fait construire de véritables palais funéraires, composés d'une succession de cours et de pavillons qui se fondent dans la nature.

Le dernier d'entre eux, Khai Dinh, a préféré dresser un immense tombeau de pierre sur les pentes abruptes d'une colline. En gravissant un escalier monumental on découvre statues et pavillons pétrifiés, pour parvenir au sommet à un palais mélangeant une architecture baroque et des décorations plus vietnamiennes.

À l'intérieur, les murs sont presque entièrement couverts de tessons de céramique et de bouteilles. Troncs d'arbre biscornus, oiseaux au plumage fantastique, dragons bienveillants, montagnes en forme de vagues, nuages colorés parcourus par des grues, vases à quatre pieds remplis de fleurs, de crosses, d'éventails et posés sur des structures géométriques improbables : c'est l'apothéose de ce style de décoration.

Construit dans les années 1920 par un empereur impopulaire et impuissant, grâce à un impôt spécial levé sur les paysans avec l'accord des Français, ce mausolée est un extraordinaire témoignage d'un pouvoir réduit à une simple apparence, aujourd'hui transformé en attraction touristique. C'est dérisoire et splendide, cohérent et irrationnel comme les grotesques des palais italiens.

Un guide désigne même à des touristes japonais des morceaux de bouteille portant le nom d'un célèbre fabricant de saké.

(Contrairement aux maisons-tubes, qui frappent tout visiteur un peu sensible à l'architecture, ces décorations ne semblent pas inspirer beaucoup d'analyses sur Internet. À voir tout de même : un intéressant fil de discussion consacré à l'architecture vietnamienne traditionnelle sur le forum SkyscraperCity.)

Publié par thbz le 04 février 2015

2 commentaire(s)

1. Par Détails  (05 février 2015) :

C'est très curieux, au fur et à mesure que j'avançais dans la lecture, j'ai tout d'abord pensé à la récupération en me disant: "Bravo, la tendance écologique déjà!" et puis, "tiens cela me rappelle les grotesques" comme quoi, parfois il suffit d'une photo pour que certaines références reviennent.

"C'est dérisoire et splendide, cohérent et irrationnel" Là, je rajouterai volontiers, c'est inutile et flatteur, malgré son côté kitchissime aiguise la curiosité :-)

2. Par Thierry  (05 février 2015) :

Tu y as donc pensé avant moi. C'est seulement après avoir terminé la rédaction de l'article que j'ai soudain pensé aux grotesques et que j'ai rajouté cette mention...

Cela vaudrait peut-être le coup de tenter une description formelle systématique des décorations en tessons du Vietnam. Mais je ne suis pas sûr qu'on y retrouve la même cohérence dans l'irrationnel que dans les grotesques, qui dès le départ ont intéressé certains des plus grands artistes de la Renaissance.

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