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2 février 2006 - Arts, architecture...Christian de Portzamparc au Collège de France
Cela n'avait pas très bien commencé.
Parce que l'on n'avait pas de carton, on n'avait accès qu'à un amphithéâtre secondaire. Pour la leçon d'inauguration, la grande salle était réservée aux invités. On n'aurait donc droit qu'à l'image du Maître sur un écran. Quant au son, il était vraiment trop fort. Des crépitements accompagnaient le début de chaque mot, faisant retentir un rythme aléatoire et insoutenable.
Un monsieur aux cheveux blancs achevait son discours d'introduction et allait céder la parole au nouveau Professeur lorsqu'un appariteur s'est planté devant la Vedette. Il a déboutonné rapidement la veste de l'architecte et a glissé sa main le long de sa hanche. Tout le monde riait, intrigué. L'appariteur a retiré un boîtier, l'a rebranché peut-être : opération nécessaire, j'imagine, pour que l'orateur puisse parler dans son micro sans fil.
Le nouveau professeur au Collège de France, premier titulaire de la toute nouvelle chaire de création artistique, est Christian de Portzamparc, architecte, urbaniste, homme élégant. Il pose les mains sur le pupitre comme un homme politique et parle avec aisance. Sa voix est un peu trop aiguë mais bien posée.
La conférence débute par une projection de diapositives. Choix brillant d'« objets architecturaux » : l'architecture selon Portzamparc, c'est Teotihuacan et La Défense, les favelas de Rio et Las Vegas, l'Égypte antique et les cimetières japonais, Petra, Franck Lloyd Wright, Sao Paulo et le LEM avec lequel les astronautes ont roulé sur la Lune. C'est « le trivial et le grand » : usines, décharges, paquebots.
Le champ de la conférence est posé : on va parler de tout. De tous les bâtiments et de tout ce qui entoure les bâtiments. Car Portzamparc ne conçoit pas un bâtiment isolé et détaché de son contexte. Pendant une heure il ne va cesser d'expliquer que la mission de l'architecte est de relier ce que l'explosion des techniques risque de nous faire oublier : la construction n'est pas seulement un défi technique, une ville est aussi une succession d'impressions laissées au cours de la promenade, un modèle informatique ne suffit pas pour comprendre comment un bâtiment va s'insérer dans son contexte urbain.
Il oppose l'architecte à l'artiste. L'architecte est responsable non seulement devant son commanditaire, mais devant la collectivité entière du bâtiment qu'il ajoute dans la ville. L'artiste, lui, n'a de comptes à rendre à personne depuis qu'on le charge simplement d'atteindre l'absolu.
(Les auditeurs sont presque tous des retraités ; des dames et des messieurs en nombre égal, des habitués qui parfois se reconnaissent. Ils ont des têtes de professeurs d'université. Au milieu d'eux, quelques étudiants ; aucune personne d'âge intermédiaire. Dans les mains de ceux qui lisaient un journal en attendant le début de la conférence, un seul et même titre : Le Monde.)
Portzamparc cite Apollinaire : « Je ne voudrais jamais cesser d'être étonné par une locomotive. » L'architecte doit savoir poser un regard neuf sur la ville, aussi bien sur les bords de la Seine que les villes chinoises en pleine explosion urbaine.
Il cite aussi Churchill : « Un chameau, c'est un cheval dessiné par une commission. » L'architecte doit respecter des règles et des normes, subir des contrôles, répondre aux demandes les plus diverses sur le plan esthétique, fonctionnel, environnemental. Pourtant sa liberté créatrice n'a jamais été aussi grande. Contrairement aux époques passées, il n'est plus contraint par une esthétique précise. Peut-être Portzamparc est-il ici un peu naïf : chaque époque croit être libérée des codes du passé ; pourtant la génération suivante identifie toujours très bien le style de celle qui l'a précédée.
Il cite la tour Eiffel. Lorsqu'on regarde les pieds de la tour Eiffel, on constate que l'espace qui les sépare est inscrit dans des arcs circulaires métalliques. C'est une commission d'esthétique qui a impose la mise en place de ces arcs inutiles à Gustave Eiffel : car il fallait encore, en 1889, sacrifier quelque chose sur l'autel de la tradition. Il cite les colonnes, les arches, les frontons qui pendant des siècles ont satisfait à cette obligation de « piété » à l'égard des traditions architecturales.
Il cite les voitures, les avions, les maisons de Franck Lloyd Wright qui, au contraire, consacrent le règne du vrai. Le respect de la tradition n'est plus une nécessité, ce n'est même plus une valeur : l'innovation permanente est le nouveau modèle. Il cite Renzo Piano : après la catastrophe de la Seconde Guerre mondiale, la reprise économique crée un monde dans lequel on vit chaque année un peu mieux que l'année précédente. Les bâtisseurs construisent des cités qui répondent avec efficacité aux problèmes de logement. La construction semble être devenue une discipline objective. A-t-on encore besoin de l'architecture ? Portzamparc, étudiant dans les années 60, se pose la question.
(Il lit son texte avec des lunettes ; parfois il prend un peu trop le ton du récitant ; mais il parvient presque toujours à captiver son auditoire.)
Il trouve la réponse au cours de la décennie suivante. Aucun technicien ne peut traiter l'« espace » : il faut que quelqu'un imagine les surprises qui apparaîtront au cours d'un parcours dans le quartier. Les angles, les ouvertures, les effets que le bâtiment offrira au promeneur, à l'habitant. Avant l'analyse, vient l'impression.
Il parle de l'espace. Aligne quelques banalités sur la discontinuité de notre perception du monde : nous ne communiquons plus exclusivement avec nos voisins, mais nous utilisons les réseaux pour établir des relations avec des personnes et des lieux lointains. « Le quartier, la rue ne sont qu'une part de notre imaginaire. » Je songe aux forums de Paris-skyscrapers.com : on s'y passionne pour les constructions de gratte-ciels à Dubaï, où on n'ira évidemment jamais.
L'architecture elle-même, depuis les grottes de la préhistoire jusqu'aux satellites artificiels, tend à se séparer de son environnement. Comme si une formule architecturale pouvait s'élaborer indépendamment du territoire dans lequel le bâtiment va se mettre en place. C'est la production en série, permise par le développement des techniques. La modélisation informatique, le GPS offrent des représentations alternatives du territoire et des constructions. Pourtant la perception directe d'un bâtiment dans son environnement urbain ne peut pas être complètement éliminée : des cas particuliers finissent toujours par surgir et l'architecte doit savoir les affronter.
Il cite ses propres constructions. Ainsi la Cité de la Musique. Pas celle de Paris qui lui a valu le prix Pritzker mais celle qu'il vient de construire à Rio. Il lui a demandé, au-delà de sa simple fonction d'équipement urbain, de participer à la perception d'une partie de ville sans unité : point de repère visible de loin, mais aussi terrasse permettant de mieux observer et comprendre la ville.
Il mentionne enfin, assez rapidement, sa théorie des îlots ouverts, dans lesquels il organise la diversité architecturale dans le cadre des rues traditionnelles afin de faciliter le mélange des types de bâtiments, la cohabitation des logements et des bureaux, l'évolution de la ville par reconstructions ou extensions.
Et il conclut en regrettant, comme d'autres, la tendance actuelle au « passéisme rassurant ».
(On se lève, étonné d'avoir entendu autant de choses en à peine une heure ; on sort de l'amphithéâtre par un portique dont le plafond est orné de grotesques inattendus de ce côté des Alpes. Puis on quitte enfin l'enceinte bien fermée du Collège par la rue Saint-Jacques. Bruit des voitures, éclairage des lampadaires, quête d'une station de métro : on est bien revenu dans le monde réel.)
(3 février : le Monde publie de larges extraits de la conférence. Je reconnais sur le papier les mots qu'il a prononcés. Pourtant ce n'est pas du tout la même chose. Assis sur une banquette de métro, un journal dans les mains avec des caractères imprimés dessus (journal qu'il faut plier, retourner à chaque changement de colonne, métro qui ouvre ses portes à chaque station et les referme avec fracas), je ne comprends pas ce qu'il dit aussi bien que lorsque j'écoutais dans l'amphithéâtre ; l'orateur absent, je perds la proximité de son discours. Ce qui apparaissait comme un monde d'idées stimulantes en l'écoutant devient légèrement pédant lorsque je le lis. L'article sera pourtant, sans doute, très intéressant pour ceux qui s'intéressent à ces choses-là et qui n'ont pas assisté à la conférence.)
Publié par thbz le 02 février 2006
2 commentaire(s)
1. Par Jean (12 avril 2006) :
Je n'ai pas eu la chance d'assister à la conférence live sur écran mais la lecture du Monde m'a laissé exactement ma même impression un peu rassise. Car si l'architecture est l'art du vide au sens noble, l'architecte discourant le manie à merveille, ainsi que l'argent de préférence public au service d'une mégalomanie toute privée. Zut, je ne voulais pas le dire. Il faudrait beaucoup plus de place pour en parler, mais ne parlons pas des choses qui fâchent. Restons en à notre merveilleux académisme au combien sacré et qui courrone de la tradition un chantre bien complaisant de la modernité.
2. Par thbz (12 avril 2006) :
J'ai assisté à quelques-uns des cours qui ont suivi les vendredis suivants. Portzamparc a une vision intelligente de la ville et de ce qui peut rendre un quartier vivable. J'ai résumé sa notion d'« îlot ouvert » sur Wikipédia.
Il a fait de bonnes choses dans le 13e arrondissement, où il a corrigé quelques-uns des excès de l'urbanisme de table rase des années 60.