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16 mars 2008 - Cinéma - France - ParisParis et les Ch'tis : bienvenue dans les territoires
Un territoire, dans le jargon des géographes, c'est quelque chose comme une agglomération, un bassin d'emploi, une région. Un territoire est plus étendu qu'une ville et moins vaste qu'un pays. Surtout, il a une identité : économique, juridique, culturelle. Les rapports des territoires entre eux au sein de la France, c'est un sujet à la mode. On cite beaucoup, en ce moment, un livre du géographe Laurent Davezies : La République et ses territoires (La République des Idées, janvier 2008).
Or les deux succès du moment au cinéma, d'après le box-office du Pariscope de cette semaine, sont consacrés aux territoires français : Paris de Cédric Klapisch, Bienvenue chez les Ch'tis de Dany Boon. Le film de Dany Boon, en particulier, est parti pour rejoindre les plus grands succès français de l'histoire du cinéma : La Grande Vadrouille, Astérix et Obélix : Mission Cléopâtre et Les Visiteurs. La question des territoires serait-elle donc en mesure de rivaliser, dans l'imaginaire national, avec les grands récits nationaux que sont la Gaule (Astérix), le Moyen-Âge (Les Visiteurs), la Résistance (La Grande Vadrouille) ?
Bienvenue chez les Ch'tis (le site Web mérite une visite) part de la situation décrite par Laurent Davezies : les régions attractives ne sont plus aujourd'hui les mêmes qu'hier. C'est surtout, nous dit-il, qu'on n'est plus attiré par une région pour les mêmes raisons. On quittait autrefois le sud pour aller vers l'Île-de-France ou le Nord parce que c'est là que se trouvait le travail. On va aujourd'hui vers le sud non pour y trouver de meilleures perspectives professionnelles, mais parce que c'est là que le climat est le plus agréable et la « qualité de vie » la plus élevée. De plus, ce n'est pas parce qu'on travaille dans un territoire qu'on y dépense son argent : le cadre qui travaille dans la Seine-Saint-Denis réside et consomme plutôt à Levallois ou à Beauvais ; le retraité, lui, quitte l'Île-de-France et va dépenser son argent à Menton. Enfin les dépenses publiques (infrastructures, fonction publique, redistribution) ne dépendent pas du niveau économique. Bref, entre production d'un territoire et revenu de ses habitants, la corrélation est devenue faible.
Les Ch'tis, c'est l'opposition entre deux régions situées à l'extrême de la nouvelle géographie des territoires :
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d'une part la côte méditerranéenne, pôle magnétique qui attire tous les Français. Même à Salon-de-Provence, à trente kilomètres à peine de la mer, le directeur d'un bureau de poste fait tout pour obtenir un poste sur la côte. Il espère aussi que ce changement améliorera sa vie privée et ses relations avec sa femme. Les questions de salaire ou de promotion, elles, paraissent tout à fait secondaires. Comme le remarque Davezies, un fonctionnaire n'a pas besoin de prendre en compte dans ses demandes d'affectation la santé économique d'une région, car les politiques publiques lui offrent les mêmes opportunités dans les régions de faible productivité que dans celles qui sont en pleine expansion. L'ouvrier et l'employé, au contraire, suivront les créations d'usine ou les ouvertures de bureaux.
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d'autre part le Nord, où le postier est muté pour raison disciplinaire. Il s'agit plus précisément du Nord-Pas-de-Calais. Le nom complet de la région, qui a participé au financement du film, est cité à de nombreuses reprises. On connaissait le placement de produits dans les films, voici le placement de région... Le Nord est, selon Davezies, un territoire qui cumule tous les désavantages. Non seulement il a peu d'emplois à proposer sur le plan économique ; mais aussi et surtout, il ne possède pas les qualités qui aujourd'hui attirent les résidents : climat, environnement de qualité. D'où la situation de départ du film. Le fonctionnaire a beau mentir à son épouse en lui expliquant qu'il s'agit d'une promotion, elle ne l'écoute pas : promotion ou pas promotion, une mutation du sud vers le nord ne peut être que le résultat d'une sanction. Un génial numéro d'acteur de Michel Galabru le confirme : c'est une catastrophe absolue.
La suite du film, bien entendu, montre que tout ceci n'est qu'un cliché. Le nord (pardon, le Nord-Pas-de-Calais) est une région formidable grâce aux gens qui l'habitent et, d'ailleurs, le climat n'y est pas si mauvais que cela. C'est ce que disait déjà un film très fin, Karnaval de Thomas Vincent, en 1998. Ici, la fin du film appelle les gens du sud à venir dans le nord, séquence de propagande plutôt sympathique.
Et Paris dans tout ça ? La région parisienne est remarquablement absente de Bienvenue chez les Ch'tis. On opposait autrefois Paris et le « désert français », formule de Jean-François Gravier que l'on n'a cessé de reprendre depuis 1947. Quelques décennies d'aménagement du territoire, de construction européenne et de mondialisation ont pourtant changé la donne : désormais les régions sont en compétition les unes contre les autres directement, sans passer par Paris. Ce n'est plus Paris contre Marseille, mais la Provence contre le Nord (-Pas-de-Calais). Bienvenue chez les Ch'tis n°2, cela pourrait être le Nord contre la Bretagne ou pourquoi pas le Nord contre la Catalogne.
Cela ne veut pas dire que Paris n'existe plus. Si on met un peu moins Paris face à la province, on lui donne désormais comme concurrentes les grandes métropoles mondiales : Londres, New York, Tokyo. C'est l'arrière-plan du débat sur la construction de tours à Paris : lorsque Londres construit des chefs d'œuvre comme la Swiss Re en plein centre de la City, Paris peut-il rester en arrière ? Guy Burgel le constate dans un livre encore plus récent que celui de Davezies, Paris meurt-il ? (Perrin, février 2008) : Paris perd des emplois tandis que la province en gagne. Faut-il s'en réjouir ou y voir un danger de décrochage face à la « compétition » internationale ? Il observe les débats parisiens, les plans d'urbanisme et constate que les questions économiques sont presque absentes. On continue à parler d'espaces verts et de qualité de vie ; on se demande rarement comment récupérer les 160 000 à 200 000 emplois perdus à Paris intra muros depuis 1990.
On le voit bien dans le film de Klapisch, dont le Paris n'est pas plus concerné par les questions économiques que celui d'Amélie Poulain. Paris y est pourtant décrit comme une totalité : le film englobe tous les niveaux de la société en faisant communier, dans une séquence un peu fellinienne, des mannequins sortis d'un défilé avec des petits commerçants en blouse. De ce Paris on voit les architectes qui le construisent, Rungis et les marchés de rue qui le nourrissent, les Folies-Bergères qui le distraient, la Sorbonne qui l'instruit et raconte son histoire, les travailleurs sociaux qui gèrent ses exclus. Dans ce monde développé sous nos yeux, le grand écran oublie juste les employés de bureau : partie la plus importante du Paris réel, mais aussi la moins visible pour un cinéaste.
Cette totalité est un territoire qui semble fonctionner sur lui-même : de même que le postier de Bienvenue chez les Ch'tis allait de Salon-de-Provence au Nord-Pas-de-Calais sans passer par la capitale, Paris ne se se demande pas d'où viennent les légumes et les carcasses de bœuf exposés à Rungis. Le Paris de Paris, comme celui de Guy Burgel en proie à la compétition internationale, est en fait relié au vaste monde. C'est l'histoire du jeune Africain : après avoir fait connaissance avec une Parisienne dans un camp de vacances au Cameroun, il se lance dans un long périple jusqu'à une France qui, pour lui, se résume à Notre-Dame de Paris vue depuis le pont de la Tournelle.
Post-scriptum : j'avais aussi une raison personnelle de parler de Paris, mais je dois renoncer à la placer dans le cadre de cet article qui aborde le film sous un autre angle...
Post-scriptum 2 : cet article ne prétend pas expliquer de manière définitive l'énormité du succès de Bienvenue chez les Ch'tis. J'ai plutôt aimé le film qui est un peu lent au démarrage, mais rigolo. Très sentimental, aussi. Et j'aime beaucoup la séquence où les Ch'tis mettent en place une ville factice, conforme aux représentations que les Sudistes se fond du Nord.
Publié par thbz le 16 mars 2008
4 commentaire(s)
1. Par S. (18 mars 2008) :
C'est l'éternelle "concurrence" entre le nord désavantagé par sa météo et le sud ensoleillé et synonyme plus de vacances que de la galère que les gens venus d'ailleurs ou qui vivent sur place peuvent ressentir. Je peux donner mille exemples moi aussi connaissant et ayant vécu dans un sud féerique pour certains venant chercher le soleil et les rêves mais une fois sur place nostalgiques à leur Nord...
Le site web de ce film est marrant, ça vaut vraiment le détour comme tu l'as bien suggéré d'ailleurs.
Et finalement t'as pu évoquer Paris, chose que tu n'avais peut être pas envie dans tes articles précédents:-)bien que tu avais des raisons personnelles pour cela...
2. Par N.R. (18 mars 2008) :
Le cinéma montre une ville et la télé montre un village: c'est une comparaison de S. Daney. Après Néo realisme italien et Nouvelle Vague française, nous aimions nous faire ballader dans une ciné-ville. Nous étions au fait relié à ces villes par l'écran! Si le Paris de Paris( ou les parisiens de PAris) est relié au vaste monde, comment peut-on se promener dans ce vaste monde? Par le montage,non par le plan séquence, c'est ce que montrent les séries de "Bourne" ou Paris (peut-etre).
3. Par thbz (19 mars 2008) :
Je voulais justement parler des villes et des campagnes. On pourrait comparer le succès des Ch'tis avec celui du « Bonheur est dans le pré » en 1995. Le film de Chatiliez retournait le cliché sur l'arriération des campagnes, qu'il fallait au contraire montrer comme un lieu où la richesse humaine compense l'absence d'animation et rend la vie plus heureuse que dans les villes. Les Ch'tis, c'est à peu près le même mécanisme, mais l'axe Sud-Nord remplace l'opposition villes-campagnes.
4. Par HW (21 mars 2008) :
Serais-je donc devenue parisienne au point de ne plus discerner les spécificités qui font Paris?
J'avoue avoir été quelque peu perturbée par le titre du film de C. Klapisch, dont la justification ne m'a pas sautée ni aux yeux, ni à l'esprit.
Est-ce parce que, comme tu l'as évoqué, Paris y est décrit comme une totalité, qui pourrait très bien s'appliquer à une autre métropole française? Ou est-ce à cause de la prédominance des différents personnages, remarquablement interprétés, sur la ville elle-même.
Ton article a su m'en révéler une part, mais je ne suis toujours pas convaincue, sûrement parce que je manque de subtilité!
Post-scriptum: Oh, peucheure! Attention "aux représentations que les Sudistes se font du Nord"... ;-)