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31 mai 2013 - Cinéma

Nollywood : le vide comblé

Nulle part, sans doute, on ne peut avoir une vision aussi large de la production cinématographique mondiale qu'à Paris. Le nombre des salles de cinéma et surtout la variété de la programmation sont sans équivalent parmi les grandes capitales du monde.

Pourtant il a fallu attendre jusqu'à cette semaine pour qu'il soit enfin possible de voir à Paris des films de la deuxième industrie cinématographique du monde : Nollywood, c'est à dire le Nigéria. Aucun film de Nollywood, à ma connaissance, n'avait été diffusé en salles à Paris auparavant, même dans le cadre de festivals. La Nollywood Week (en fait une demi-semaine) comble ce vide à l'Arlequin, l'un des endroits les plus agréables pour voir un film à Paris.

Le choc reçu n'est pas le même que pour Bollywood, arrivé à Paris il y a près de dix ans. J'avais vaguement entendu parler d'un cinéma fauché, distribué en DVD piratés, parcouru par des histoires de sorcières et d'esprits maléfiques. Peut-être les quelques journalistes qui avaient écrit sur Nollywood s'étaient-ils appesantis sur la partie la plus exotique de la production. Ou bien les programmateurs de la Nollywood Week ont-ils voulu donner une image différente de ce cinéma ? Quoi qu'il en soit, la plupart des films projetés traitent de thèmes et emploient des modes de narration ou de mise en scène qui ne risquent pas de dérouter le cinéphile occidental.

En effet, contrairement aux films indiens qui montrent une autre manière de faire du cinéma, les films de Nollywood vus ici relèvent pour la plupart de genres bien identifiés chez nous : polar, drame, comédie, comédie musicale... Nul doute qu'un jour ce cinéma-là produira des films à grand spectacle avec effets numériques et que ses réalisateurs les plus brillants seront appelés à aller faire un film d'essai à Hollywood ; d'après le présentateur du cycle lors de la soirée d'ouverture, l'un des films du festival montre pour la première fois un crash d'avion.

D'ailleurs, parmi les réalisateurs dont les films sont projetés au cinéma Arlequin, plusieurs ont été formés dans des écoles de cinéma américaines ou sont basés en Angleterre, et certains acteurs jouent aussi en Europe.

Comme Bollywood, Nollywood semble avoir un public en France, et pas seulement parmi les Nigérians puisqu'il existe une chaîne de télé Nollywood francophone. Avec un slogan qui donne une idée du nombre de films que produit cette industrie : « un film toutes les deux heures, un nouveau film tous les soirs ».

J'ai vu les films suivants :

Phone Swap de Kunle Afolayan : un golden boy et une couturière, à un moment critique de leurs carrières (et de leurs vies sentimentales) respectives, échangent leurs téléphones par erreur et se retrouvent, l'un dans le village natal de l'autre, l'autre dans le séminaire professionnel du premier.

Le milieu de l'entreprise est décrit de manière caricaturale et j'avais du mal, au début, à rire avec le reste de l'assistance à chaque phrase des personnages. Une fois le quiproquo installé, toutefois, le scénario s'emballe, la narration en parallèle des deux histoires réserve des surprises et des gags bien amenés, l'actrice Nse Ikpe Etim franchit les classes sociales avec aisance. Bref, une bonne comédie sociale mais pas trop qui mériterait une sortie en salles en dehors d'un festival ;

Man on Ground d'Akin Omotoso. Un homme qui semble avoir quitté le Nigéria pour des raisons politiques se retrouve en Afrique du Sud où il est victime des persécutions envers les immigrés, tandis que son frère et sa fiancée tentent de le retrouver.

Le présentateur du film indiquait au début de la séance que ce n'était pas un film typique de Nollywood. Les images sont très soignées, les prises de vue sont impeccables : bref, le film a un bon chef-opérateur. Mais cela fait penser à certains thrillers français : les personnages affichent toujours des mines très pensives, ils ne répondent jamais vraiment à leur interlocuteur et l'histoire est racontée d'une manière tellement elliptique que je n'ai pas compris grand'chose au-delà du synopsis que j'ai donné ci-dessus. Et l'explication finale sur les origines du conflit qui oppose les deux frères est assez ridicule. La dimension politique tombe ainsi un peu à plat mais le film n'est pas non plus captivant en tant que thriller ;

Maami, film absent de l'IMDb, de Tunde Kelani qui semble être l'un des grands noms de Nollywood (et l'un des doyens, car il est âgé de plus de 60 ans). Présent avant la projection, il explique que Nollywood doit chercher d'abord à mettre en scène des histoires africaines, notamment en adaptant des romans locaux. En effet, contrairement aux deux films précédents, Maami ne m'a pas donné l'impression de chercher à faire des films comme à Hollywood ou en Europe (bien que Kelani soit diplômé d'une école de cinéma à Londres).

L'histoire même reflète ce souci d'ancrage local, jusqu'à intégrer quelques rites démoniaques : un footballeur nigérian qui joue en Angleterre hésite à rejoindre son équipe nationale pour le Mondial de 2012 (qui se déroule qui plus est en Afrique) et repense en même temps à un moment crucial de son enfance et aux derniers jours de sa mère. Un peu déroutant au début, le film s'installe peu à peu en tant que mélo et la mère devient une sorte de Mother India nigériane. Un film riche et attachant ;

Ilané de Jeta Amata. C'est un conte et une comédie musicale, pour raconter l'histoire d'une princesse qui doit prendre pour mari le gagnant d'un concours de lutte. Fantaisie et fantastique, mais un peu maladroit. La curiosité est le point de vue retenu : l'histoire est racontée par un grand-père blanc, ancien voyageur, à sa petite-fille qui n'a jamais entendu parler du Nigéria.

J'ai finalement renoncé à voir Last Flight to Abuja, qui me tentait principalement à cause de ce plan clairement inspiré de Spielberg :

Le cinéma nigérian ne semble pas tellement reconnu en Afrique même. Le grand festival de cinéma africain, le Fespaco, qui se tient à 1000 kilomètres d'Abuja, n'a quasiment jamais distingué de films du Nigéria si j'en crois sa page sur Wikipédia, sauf ceux de Newton Aduaka qui ne travaille pas réellement pour Nollywood.

Pour une vision différente du cinéma de Nollywood : Nigéria : la vidéo rêve d'Oscars (2006).

Publié par thbz le 31 mai 2013

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