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30 janvier 2015 - Asie

Maisons-tubes à Hanoï

À Hanoï et dans ses environs, un modèle particulier de maison domine curieusement le paysage urbain : la « maison-tube » (nha ong).

Dans le quartier des Trente-Six Corporations, centre historique et touristique de Hanoï, les façades sont étroites : une ou deux fenêtres à peine, mais les immeubles sont très profonds : derrière une pièce qui peut servir de boutique ou de pièce d'habitation et qui, dans les deux cas, est largement ouverte sur la rue, une cour intérieure offre une respiration à l'immeuble et donne à l'arrière sur un second bâtiment, voire une seconde cour et un autre bâtiment encore. Le toit est souvent en terrasse ; sinon, il présente deux pans en V inversé, le faîte étant perpendiculaire à la rue. Parfois la cour est accessible depuis la rue par un couloir aveugle très étroit qui longe la pièce principale.

On peut facilement imaginer des raisons expliquant un tel schéma urbain : structuration de la ville en vastes pâtés de maison, forte densité en centre-ville, petite taille des commerces qui veulent avoir chacun une façade sur la rue avec un lieu de stockage et de vie à l'arrière...

Beaucoup lient la forme de la maison-tube à la taxe foncière, qui s'appliquerait en fonction de la largeur de la façade. Cette taxe s'applique-t-elle toujours ainsi ou s'agissait-il d'un mode d'imposition ancien, comme l'impôt sur les portes fenêtres en France ? Les documents que j'ai trouvés, qui ne consistent guère qu'en articles de blogs ou de guides touristiques, n'apportent pas tous la même réponse.

Quoi qu'il en soit, pourquoi retrouve-t-on la même forme de maison en périphérie de Hanoï ? et même plus loin, sur des dizaines de kilomètres entre route et rizière, là où villages-rues et maisons plus ou moins isolées se succèdent presque sans interruption depuis la capitale jusqu'à la mer ?

La plupart des maisons, même lorsqu'elles sont environnées de jardins, se contentent en effet d'une façade presque aussi étroite que dans le centre bruyant et encombré de Hanoï ; mais elles s'étendent en profondeur à l'arrière et montent en hauteur : au moins deux niveaux, souvent trois et parfois quatre. Les toits présentent tous la même forme en chevron. Enfin, les murs de côté sont rarement percés de fenêtres, alors même qu'aucun immeuble mitoyen ne vient les gêner. Certains, considérant peut-être qu'un peu de largeur serait tout de même utile, assemblent deux maisons de ce type mais chacune conserve la forme en tube : le toit prend la forme d'un W renversé.

Cette mode n'est pas un vestige du passé : c'est au contraire dans les maisons les plus récentes, celles qui présentent le plus de signes de prospérité, qu'elle prend toute sa mesure, multipliant les étages et la profondeur.

J'ai l'impression que les Vietnamiens, comme les Coréens, ont trouvé un idéal commun d'habitat, une forme de maison susceptible d'attirer tout le monde, habitat qui malgré son absence d'exotisme intrigue fortement l'Occidental de passage qui a été élevé avec le modèle de la maison individuelle de plain-pied : à Séoul cet idéal est la barre d'immeubles étroite, haute et répétée à l'infini, à Hanoï c'est le parallélépipède dressé sur sa tranche, standardisé dans sa forme mais personnalisé dans son ornementation. Peut-être s'agit-il, comme en Corée, du signe de l'accession à la classe moyenne, ou en tout cas de la sortie de la pauvreté ?

En effet, si toutes les maisons adoptent la même forme parallépipédique et le même toit en chapeau, elles se distinguent par les équipements de la façade et par la décoration. Terrasses, balcons, fausses colonnes, portiques, couleurs vives... Chaque maison cherche à se faire belle et à se démarquer de sa voisine.

La succession des cours intérieures, qui caractérise les maisons-tubes de Hanoï mais disparaît dans les maisons-parallélépipédiques des environs, offre aussi une progression de l'espace public vers l'espace privé qui peut rappeler d'autres types d'architectures asiatiques que l'on retrouve aussi bien au Vietnam qu'en Chine et en Corée, où il faut franchir une à une les portes et murailles qui permettent d'accéder finalement au temple le plus sacré ou à la Cité interdite de l'empereur.

Ce type de maison structure ainsi le paysage urbain de la région de Hanoï. Je l'ai aussi vu dans le centre du pays, avec les belles maisons de marchands de Hoi An : reconverties en commerces pour touristes, elles sont facilement accessibles et permettent d'apprécier le calme qu'offrent les cours intérieures dans une maison-tube. En dehors du centre-ville, toutefois, les maisons-tubes n'occupent pas une place aussi prédominante qu'à Hanoi mais partagent la ville avec des maisons plus basses et plus larges.

Quelques liens :
Maison traditionnelle vietnamienne, étude de Hong Anh Do, qui voit dans les maisons-tubes une adaptation au contexte urbain de la maison traditionnelle à cour extérieure ;
La « maison tube », permanence et changement d’un habitat (blog « Scènes du Vietnam ») ;
Les maisons-tubes de Hanoï (blog « Demain la ville »).

Enfin une construction étrange, quelque part dans la campagne, pas en forme de tube mais toujours étroite et en hauteur...

Publié par thbz le 30 janvier 2015

4 commentaire(s)

1. Par aurelien  (03 février 2015) :

Ces maisons tubes font penser aux maisons Lyonnaises qu'on voit le long du quai saint vincent à Lyon sur les quai de Saône. Les traboules en moins, quoi que....
Très bon article.

2. Par thbz  (04 février 2015) :

Merci. Je n'aurais pas pensé aux traboules, mais c'est vrai que les maisons anciennes sont souvent étroites en France. Lorsqu'on monte dans le centre Pompidou à Paris, on voit de l'autre côté du parvis des façades étonnamment resserrées.

3. Par PEIGNÉ  (23 novembre 2015) :

Bonjour,
Dans une étude réalisée par la DREAL Centre sur le thème de la maison de ville/maison de bourg dans la région (voir synthèse sur le site), nous avons découvert que dans la partie dense des bourg (où sont ces maisons), les tailles de terrains obéissent à des règles non écrites récurrentes : une majorité des terrains est inférieure à 400m² avec une moyenne à 680m²), une minorité donc supérieure selon une courbe lissée très similaire d'un bourg à l'autre. De sorte que les façades étroites sont très nombreuses et renvoient à des parcelles en lanière chères aux ABF.
Dans l'urbanisme organique, la majorité de ménages modestes et moyens produisaient une majorité de terrain aux façades étroites. Pas étonnant que les maisons tubes existent en France (Lyon, Paris, Nantes, mais aussi toutes les villes ayant hérité d'un urbanisme sans règle au vieillissement serein...)
A vote disposition pour en savoir plus sur l'étude DREAL
Eric PEIGNÉ

4. Par thbz  (23 novembre 2015) :

Bonjour,

On trouve en effet un parcellaire à bandes étroites dans beaucoup de quartiers anciens. Il n'y a qu'à voir le plan des axes les plus anciens du centre de Paris (rues Saint-Denis, Saint-Martin, Saint-Antoine...)

Dans le document que vous citez, il est intéressant de voir que, sur ce point comme sur d'autres (oubli des quartiers sur dalle...), on redécouvre les vertus de formes d'urbanisme plus anciennes.

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