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6 avril 2015 - CoréeRecyclage
Le long d'une avenue de Séoul, un vieil homme tire sur la chaussée un chariot rempli de cartons. La rue monte, il avance lentement. Il gêne un peu la circulation.
Les gens de sa génération ont construit la Corée moderne, ils ont travaillé dans les usines à l'époque de la dictature, ils ont assuré le passage à la démocratie lancé par les étudiants ; ils ont dépensé une bonne partie de leurs économies pour les études de leurs enfants ; ils ont été victimes de la crise financière de 1997. Ils n'ont pas eu le temps de construire un véritable système de retraite.
Or, dès l'âge de cinquante ans c'était terminé : beaucoup d'entre eux ont dû quitter les entreprises où ils n'étaient pas montés assez haut pour faire face à ceux qui arrivaient d'en bas. Alors ils ont ouvert des restaurants ou des boutiques sur les marchés, ils sont devenus gardiens d'immeubles. Celui-ci, comme tant d'autres, s'est procuré un chariot à bras pour transporter tout ce qui est laissé dans les rues et qui peut se recycler : cartons, plastiques...
Il passe au pied d'une énorme église, cachée par le mur de soutènement.
Au sommet de la pente, il tourne dans une petite rue à droite et entre dans une cour remplie de matériaux de récupération. Un homme attend là, assis sur un siège en plastique. Il se lève, décroche les cartons et les débarque dans un coin, puis remet quelques billets au vieil homme qui repart avec son chariot.
Le vieil homme s'arrête dans la rue pour ranger ses billets dans sa poche. Je crois apercevoir quelques coupures de 1 000 won et une de 5 000, c'est à dire six ou sept euros en tout. Ou était-ce un billet de 50 000 ? — non, cela serait exagéré.
Le vieil homme revient sur l'avenue, la traverse et s'engage dans une petite rue. Il pose son chariot, disparaît derrière une voiture arrêtée. Il revient avec un carton qu'il déplie pour le poser, bien à plat, au fond de son chariot.
Ses gestes sont lents et réguliers comme ceux que l'on fait tous les jours. Il s'éloigne, poursuivant de rues en rues la quête qui le ramènera, plus tard, vers l'homme assis sur sa chaise en plastique.
Cela se passe dans l'arrondissement de Seongdong, du côté de Wangsimni, un de ces endroits où Séoul, à force d'être reconstruit, ne ressemble pas plus à une ville que les visages charcutés des publicités pour cliniques de chirurgie esthétique ne ressemblent à des jeunes filles.
Mais en fait cela pourrait être n'importe où : dans tous les quartiers résidentiels, dans la journée, tout au long des soirées, on croise ces vieux hommes, ces vieilles femmes qui trainent des chariots le long des rues ou, accroupis, ouvrent les sacs poubelles et trient les ordures laissées par d'autres.
Juste avant de voir cet homme et son chariot, j'ai aperçu à peu de distance un centre de traitement des déchets ultra-moderne et automatisé, efficace, producteur d'énergie renouvelable. Je me suis souvenu que je l'avais un jour visité lors d'un voyage professionnel. Il était tellement propre que les enfants jouaient dans le parc installé au-dessus. C'était comme dans une plaquette d'information. Dans ce pays on recycle les déchets, on recycle les travailleurs. On recycle les quartiers. Et les visages. Parfois on se demande quelles traces en restent.
Complément : un article plus développé sur ce sujet.
Publié par thbz le 06 avril 2015
2 commentaire(s)
1. Par Yves Maniette (05 mai 2015) :
J'ai vu récemment à Tokyo une antiquaire coréenne, qui fut bien étonnée que je parvienne à déchiffrer un petit écriteau en Hangul. Nous avons sympathisé et elle m'a dit dans la conversation que désormais en Corée on ne trouve plus aucun antiquité. Comme quoi ça recycle effectivement on ne peut plus vite.
2. Par thbz (05 mai 2015) :
Bonjour Yves, cela faisait longtemps...
En effet, on voit peu de magasins d'antiquités à Séoul. Entre les "trésors nationaux" et le renouvellement permanent de la société de consommation, il n'y a pas d'intermédiaire.
Il n'y a qu'à voir les superbes meubles, quasi neufs, qui sont abandonnés dans la rue à chaque déménagement.