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23 mai 2015 - Corée

Le chemin sacré

1) Le chemin sacré mène au temple, au palais impérial, à la tombe royale, voire à une maison noble ou à un jardin.

Il passe sous une première porte, traverse un ruisseau « interdit » sur un petit pont, passe sous une deuxième, voire une troisième portes, il traverse un pavillon ou le contourne avant de parvenir à l'endroit le plus sacré ou le plus privé.


Jeongneung, une tombe royale à Séoul

2) Le chemin sacré, à l'image du site, est courbe et monte à travers les arbres dans un temple ou un jardin, plus rectiligne et plat dans un palais.

3) Je dis que ce chemin est sacré parce qu'il met en scène la transition entre l'espace profane et un espace sacré. Il découpe le parcours en étapes obligées, accompagne les changements du paysage, oriente les points de vue.

Car le chemin sacré se conforme à un rite répété d'un site à l'autre et donc reconnaissable. La répétition renforce le rite : associé au monde, il en paraît indissociable et son absence apparaîtrait comme un manque.

4) À l'approche du lieu central, qui est le plus caché alors que tout le site est organisé autour de lui, le chemin sacré est souvent pavé de pierres et seul le personnage de rang le plus élevé l'emprunte en son milieu. Les personnages secondaires passent sur les côtés.

Dans les sites consacrés aux morts, à Jongmyo où sont conservées des « tablettes mortuaires » des rois coréens comme dans les tombes royales, le chemin central est réservé aux esprits des rois morts, censés résider dans ces tablettes.

Dans les tombes royales, le « chemin de dévotion » (chamdo, 참도, en caractères chinois ) commence à une arche rouge et conduit jusqu'à un pavillon en forme de T où seront accomplis les rites. Il est constitué de deux bandes pavées de pierre : la plus large est celle des esprits, l'autre celle du roi.


Illeung, la tombe du roi Sunjo.

À Seonjeongneung ou Seolleung, en plein cœur du quartier d'affaires de Gangnam, des écriteaux rappellent aux vivants qu'on ne marche pas sur la voie des esprits.

(4 bis : le chemin n'est guère sacré pour les Coréens dans la vie de tous les jours. Les adultes viennent pour prendre l'air et les enfants jouent sans se préoccuper de l'esprit des morts. Seollung, c'est une station de métro pour les habitants de Séoul, un parc pour les employés de bureau du quartier. Après la Seconde Guerre mondiale, les gens ont arraché les pierres du chamdo de Yeolleung, au sud de Séoul, pour en faire des éviers, et il serait inconvenant, dans un pays dévasté par cinquante ans de malheurs, de condamner cette victoire des vivants sur les morts.)

5) Plus on avance vers le temple, moins le parcours est aisé. On laisse derrière soi les grands ensembles et les champs de riz, on gare la voiture sur un parking poussiéreux ou bien on descend du bus devant le premier portail, on passe les derniers commerces, les restaurants populaires, les vendeurs de souvenirs.

Au début le chemin est large, puis il se rétrécit, monte un peu, s'enfonce sous le couvert des arbres. Le temple est toujours plus loin qu'on ne le croit. Parfois un escalier monumental constitue l'ultime obstacle.


Chemin vers Seonunsa


Chemin vers Unjusa


Le franchissement de la rivière en approchant de Seonamsa


Arrivée à Seonunsa


Arrivée à Bulguksa, l'escalier monumental

Après cela, il faudra encore se déchausser pour pénétrer dans le pavillon du Grand Bouddha. Car en Corée il faut une tenue appropriée à chaque site : pieds nus dans le temple ou chez soi, uniforme à l'école, tenue fluo pour la promenade dans les collines (trois activités qu'un Occidental accomplirait sans se changer).

6) La tombe royale de la région de Séoul est, elle, presque inaccessible. Invisible depuis l'extérieur, cachée par la forêt, elle apparaît fugitivement lorsqu'on arrive à l'arche rouge, puis disparait à nouveau au fur et à mesure qu'on parcourt le chamdo, masquée cette fois par le pavillon en forme de T où ont lieu les rites. On l'aperçoit à nouveau à travers l'ouverture percée à l'arrière de ce pavillon. Mais il n'est pas possible d'aller plus loin et de monter jusqu'à la tombe elle-même, posée au sommet de la butte gazonnée.



Le chemin vers Heolleung, le tombeau du sanglant roi Taejong

En fait, de nos jours un chemin est souvent aménagé discrètement le long de la lisière, pour permettre aux curieux de voir de plus près le dôme enherbé qui abrite les restes royaux et les fonctionnaires et militaires en pierre qui l'accompagnent.


La tombe du roi et de son épouse, à Heolleung

40 tombes royales sont ainsi conservées sur dix-huit sites à Séoul et dans la région environnante. Toutes sont magnifiques et bien entretenues. Elles occupent les meilleurs emplacements du point de vue des règles du feng shui. Ce pays qui reconstruit les maisons des vivants tous les trente ou quarante ans préserve les tombes de rois morts depuis des siècles, des associations continuant même à accomplir pour eux les rites confucéens. En France, on entretient les maisons mais on jette les cadavres des rois dans une fosse commune.

7) Le chemin sacré peut être temporaire. En ces jours de mai où l'on célèbre la naissance de Bouddha, un chemin de lanternes commence ainsi dans les couloirs d'une station de métro...

... et conduit les fidèles ou les curieux jusqu'au temple le plus proche :


Temple Hongcheonsa (Séoul)

8) Enfin on trouve également le chemin sacré dans les temples, palais et mausolées japonais (sandō, qui s'écrit avec les mêmes caractères chinois, 參道, que le chamdo coréen), vietnamiens :


Chemin central au mausolée de Minh Mang (Hué)


Accès, sous une triple porte et par un long escalier monumental, à la tombe de Khai Dinh (Hué)

et chinois :

Le chemin de l'empereur à la Cité interdite (Pékin). Les mandarins et les touristes passent sur les côtés.

Car oui, je suis allé récemment en Chine, il faudra bien que j'en parle un peu...

Publié par thbz le 23 mai 2015

2 commentaire(s)

1. Par détails  (28 mai 2015) :

Toujours aussi intéressant! Via tes papiers, tu as fais un tour de pays entre traditions, couleurs, architecture, aménagement,le tout dans un ton très naturel(tu vas dire je ne suis pas spécialiste je sais:-)).
Ce que je trouve saisissant dans toutes les photos que tu as montré jusque-là, c'est ce contraste absolu entre les gratte-ciel et les temples, une rupture d'échelle très caractéristique à ce pays on dirait.

2. Par thbz  (30 mai 2015) :

Oui, l'absence de transition est bien l'une des caractéristiques majeures de ce pays, on pourrait multiplier les exemples. C'est en particulier le cas à Seolleung, où on fait des photos frappantes avec le dôme enherbé de la tombe devant les gratte-ciels de Gangnam. Mais d'une manière générale Séoul est une ville d'immeubles très récents avec, posés ici et là, des temples, palais et parfois tombes d'architecture 100% ancienne (je parle de l'architecture, car souvent ils ont été reconstruits récemment).

On n'a pas la même impression à Paris, où la progression architecturale s'est faite de manière continue, sauf dans les quartiers des années 60.

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