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24 avril 2004 - Toscane-Ombrie 2004

Paysages de Toscane

Lorsqu'on avance dans les collines du Chianti, au nord de Sienne, on a envie de s'arrêter à chaque virage pour contempler le paysage. Peu avant d'arriver à Gaiole in Chianti, par exemple, en montant vers le castello di Meleto, je m'arrête dans un lacet et je regarde les collines. Qu'est-ce qui fait la beauté d'un paysage toscan ? Qu'est-ce qui fait la beauté d'un paysage ?

Jamais plat, le relief évite la monotonie de la ligne droite. Les champs de vigne alternent avec les bois. La nature très verte est ponctuée de villas orangées. La multiplicité des collines offre des points de vue toujours renouvelés.

La nature et l'homme ont passé un contrat pour construire ensemble un paysage fondé sur des règles simples : homogénéité des styles, harmonie des proportions, absence totale de mauvais goût et de dramatisation. Le paysage toscan, c'est la structuration par l'activité humaine d'un territoire qui s'y prête idéalement.

Il doit pourtant y avoir autre chose. Car la Toscane n'est pas la seule région vallonnée au monde. Ce n'est pas la seule région rurale à forte présence humaine. On pense au Pays Basque, par exemple, où les constructions humaines sont elles aussi soumises à une unité de style. On sent pourtant qu'en Toscane l'émotion doit naître d'un autre élément. Cet autre élément, c'est peut-être la luminosité qui fait ressortir les couleurs et qui détache les formes. C'est peut-être aussi un élément purement décoratif : les cyprès.

Vu de près, le cyprès n'est pas un très bel arbre. Dans le paysage toscan, les alignements de cyprès viennent délimiter les champs ou accentuer la courbe d'une crête. Souvent, de loin, on les prend pour les tours d'une citadelle. Parfois isolés, ils rompent l'uniformité d'une surface monocolore. Ce sont des éléments graphiques qui contribuent à donner au paysage un caractère immédiatement reconnaissable. Pas de Toscane sans cyprès. Comme l'assaisonnement dans les plats, on ne les remarque pas toujours, mais ils donnent du piquant au spectacle.

Lorsque on arrive à Sienne, on va voir les peintres locaux à la Pinacothèque nationale. Chez les peintres du Trecento, Duccio, les frères Lorenzetti, Simone Martini, on remarquera presque systématiquement, derrière les figures religieuses, un paysage de collines. S'agit-il des collines du Chianti ? Le paysage a l'air plus accidenté. Les collines sont moins douces. On n'y voit aucun champ, sauf dans la fresque du Bon Gouvernement, dans laquelle Ambrogio Lorenzetti montre aux magistrats de Sienne que, dans un pays bien géré, la paix permet aux paysans de cultiver leurs champs et aux jeunes filles de danser dans les villes.

C'est que, pour voir les paysages des peintres siennois, il faut continuer et sortir de Sienne par le sud-est. Les Crêtes siennoises ont conservé une trace de ces collines moins douces, vastes étendues un peu désolées et dépourues d'arbres.

En continuant dans la direction de l'Ombrie, vers San Quirico d'Orcia, on retrouve des champs et des villas, comme dans le Chianti mais avec moins de vignobles. L'apparition d'un brin de soleil transfigure la pierre orangée des villas ; à chaque instant on se dit que malgré tous les endroits sublimes que l'on a déjà vus, celui-ci est encore plus beau.

A Pienza, je contourne centre-ville sans m'arrêter parce que la priorité est de trouver de l'essence. Je redescends dans la vallée du côté sud ; je me rends compte qu'il n'y a pas de station-service de ce côté-là et je fais demi-tour ; je dois alors m'arrêter sur le bas-côté, stupéfait par un spectacle admirable.

Éclairée par un soleil entre deux nuages, Pienza occupe le sommet d'une colline. On aperçoit, au milieu, la flèche de l'église et, de part et d'autre, une colonnade et des bâtiments de plus en plus bas. En-dessous, c'est déjà la muraille, puis des villas et des champs répartis sur le flanc de la colline, au milieu desquels serpente la route par laquelle je suis descendu.

Tout ceci ne serait peut-être rien sans une ligne de cyprès plantée au-dessus de la muraille, qui répète le dessin de la colonnade. Cet alignement est la touche finale du tableau que constitue Pienza.

Car je suis persuadé que l'ensemble de ce point de vue, depuis la vallée profonde jusqu'au ciel et à ses nuages sur lesquels de détache la ville, est le résultat d'une composition réalisée consciemment par ceux qui ont construit la ville. Pienza, c'est la ville de Pie II, pape mécène qui a demandé en 1459 à un architecte d'en faire une cité idéale. En me promenant dans la ville, je trouve un plan plus simple que dans les cités médiévales. La place centrale, trapézoïdale, a la taille idéale par rapport à l'église et aux palais qui l'entourent. Contrairement à ce à quoi je m'attendais, il ne s'agit pas de la ville parfaitement régulière et aseptisée que l'on voit dans certains tableaux de l'époque. L'intelligence du constructeur a été d'en faire une ville agréable à vivre. La promenade au-dessus des murailles, côté sud, offre l'un des plus parfaits paronamas de Toscane, donc du monde.

Après Pienza, dans la direction de Pérouse, je quitte bientôt la Toscane. Les collines s'abaissent et le paysage s'appauvrit. Les collines régulières de Toscane permettaient à l'oeil d'embrasser d'un même regard de nombreux champs et villas, au premier, au second, au troisième plan. Lorsqu'une large vallée vient les remplacer, le champ de vision est subitement plus limité. On aperçoit les maisons du bord de la route, au loin des collines indistinctes et, presque tout de suite, le ciel. Un beau paysage, c'est peut-être d'abord un paysage qui donne des choses, beaucoup de choses, à voir.

Publié par thbz le 24 avril 2004

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