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28 septembre 2008 - Divers

Entre les murs et les documentaires

Tous les journaux en parlent. Entre les murs montre en effet la vie d'un collège « difficile » comme aucun film avant lui. C'est un film passionnant et instructif. Le réalisme même du film, des situations et des personnages, pourrait faire croire qu'il s'agit d'un documentaire, alors qu'il s'agit d'une fiction qui prend la forme d'un documentaire.

Difficile, en effet, de savoir quelle est la limite entre la réalité et la fiction. Dans les films traditionnels (La Belle Personne de Christophe Honoré, par exemple), le jeu des jeunes gens est trop lisse, leurs visages trop beaux pour qu'on puisse y croire un instant. Dans Entre les murs, on finit bien par se dire qu'il doit être impossible de filmer un conseil de classe ; un conseil de discipline ; un entretien confidentiel entre deux profs. On remarque aussi qu'une scène au cours de laquelle un prof emmène un élève chez le directeur a été filmée avec au moins deux caméras et peut donc difficilement avoir été saisie sur le vif. On devine également que la présence de l'observateur, même habile (on ne voit jamais l'ombre des caméras), influe forcément sur le comportement des élèves et des profs. Les élèves, toutefois, ont l'air extrêmement naturel, plus encore que dans d'autres films tournés avec des non-professionnels (L'Esquive d'Abtellatif Kechiche). Les scènes se passent toutes dans l'école, on ne suit jamais les élèves ou le professeur dans la rue. Il n'y a pas d'histoire d'amour (indice important que l'on n'est pas dans une fiction française normale). Le spectateur naïf pourrait donc imaginer que, si certains épisodes ont été un peu scénarisés, dans l'ensemble il s'agit peut-être de scènes de classe réelles. Reste à savoir où est la limite.

Or la limite est très simple : tout est fiction, rien n'est réel. Ce qui ne veut pas dire que le film n'ait aucun rapport avec la réalité, mais que les faits eux-mêmes sont joués devant la caméra, écrits dans les grandes lignes par les scénaristes, orientés par le metteur en scène.

Le réalisateur le dit longuement : ce film est le résultat d'ateliers quasi-théâtraux auxquels les élèves participaient en dehors des heures de cours. Les scènes violentes sont inspirées de la vie d'un collège, mais inventées ; tel élève n'a pas été renvoyé, tel autre n'a pas blessé l'une de ses camarades.

Mais où le dit-il ? Dans les journaux, probablement à la télévision. Rien dans le film lui-même n'indique de quelle manière il a été tourné. La plupart des acteurs jouent un personnage qui porte le même prénom qu'eux. Les indices sont rares : le prof ne porte pas son vrai patronyme et le générique de fin permet de constater que l'élève le plus turbulent a un nom entièrement différent. Ces détails sont minimes : la plupart des spectateurs croient sans doute voir, pour l'essentiel, un documentaire.

Et ils ont un peu raison, car les documentaires ne sont pas une simple transcription de la réalité. Si Être et avoir filmait des scènes de classe réelles (contrairement à Entre les murs), si Depardon montre également des procès non fictifs (10e chambre, instants d'audience), si Michael Moore montre des personnages vrais et des faits exacts, il ne s'ensuit pas que ces documentaires donnent une vision objective de la réalité. Ils choisissent les éléments qui servent leur discours, les montent, raccourcissent le temps.

Tous ces films proposent ainsi non pas la réalité mais un regard sur la réalité, celui du réalisateur. Dans En construcción, formidable film de José Luis Guerin sur la destruction et la reconstruction d'un quartier de Barcelone, les images affichent une telle recherche esthétique que le film se place sans ambigüité possible du côté de l'essai subjectif : le spectateur ne peut s'y tromper. C'est en revanche sous une forme apparemment réaliste que 10e chambre, instants d'audience condensait en 105 minutes des dizaines d'heures d'audiences en retenant ce que le réalisateur jugeait pertinent, c'est à dire peut-être ce qu'il jugeait pittoresque, conforme à ses idées ou en tout cas ce qui était filmable, ce qui allait passer bien à l'écran. L'instituteur de Être et avoir avait pris acte de l'aspect créatif du film en exigeant d'être payé en tant que participant à l'œuvre. Les films de Michael Moore, lui aussi palmé à Cannes, sont évidemment des partis pris qui utilisent le montage, l'allusion, le rapprochement de faits et l'omission de tout argument opposé afin de construire un discours brillant dans une forme cinématographique excitante.

Ces films sont généralement passionnants, l'attention du spectateur est retenue en permanence. Après les avoir vus nous savons sûrement beaucoup plus de choses sur le milieu qu'ils nous montrent : la vie dans une classe, le fonctionnement de la justice. La difficulté est que nous ne savons pas vraiment ce que nous savons : car nous avons vu des éléments vrais, des éléments scénarisés qui correspondent à la réalité, des éléments montés et interprétés dans le sens voulu par le réalisateur. Rien ne permet, en fin de compte, de savoir vraiment ce qui relève de la simplification inhérente à la forme cinématographique, qui sait mieux transmettre les émotions et les points de vue que les informations.

Dès lors ces films sont un commencement, un encouragement à un débat. Ils valent pour tout ce qui est fait autour autour d'eux sur la place publique : pour les enquêtes des journalistes, pour les analyses de spécialistes. Et pour les commentaires des enseignants qui, dans Libération il y a quelques jours, confrontaient ce film, ce regard à leur réalité.

Publié par thbz le 28 septembre 2008

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