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28 août 2008 - DiversLa ville à fleur de peau (1/2) : les usagers
La ville, c'est des rues et des immeubles ; c'est aussi les gens qui l'habitent, y travaillent, la traversent. Il y a deux ans je me suis demandé à quoi ressemblent les villes, c'est à dire à quoi elles ressemblent lorsqu'on les regarde depuis le ciel. Ici, je vais plutôt les regarder de près. De très près, à leur surface : juste sur le sol du trottoir, la façade des immeubles.
Tout ce qu'on voit dans une ville, devant soi, à droite, à gauche, sous ses pieds, absolument tout à l'exception du ciel, tout à part l'air ambiant a été construit par des hommes, pour des hommes, en fonction des besoins des hommes, sur des règles fixées par les hommes.
Les monuments, certes, les belles avenues, les places et les ponts. Mais pas seulement : les murs, les toits, la chaussée, les trottoirs. Et plus près encore : les fenêtres, les volets, les plaques d'égout, les arbres, les gouttières, les bouches d'aérations, les caniveaux. C'est à ces éléments que je veux m'intéresser ici, c'est-à-dire, plus ou moins, à ce qu'on appelle les « équipements urbains » : des objets accrochés à la superficie de la ville, qui parfois la trouent, ou simplement la recouvrent. Ces éléments ont une vocation d'abord utilitaire ; sur le plan esthétique, on leur demandera de la discrétion plus que de la beauté. La question examinée dans ce premier article sera : à qui servent ces équipements urbains disposés à la surface de la ville ?
La ville à fleur de peau : les usagers
Les équipements urbains ont trois sortes d'usagers :
- ceux qui sont dans la rue,
- ceux qui sont sous la rue,
- ceux qui sont dans les maisons.
1. Ceux qui sont dans la rue sont les piétons, les automobilistes (et cyclistes), les passagers des bus. Les équipements qui les concernent peuvent avoir pour but de les aider, de les informer, de les gêner. Il y a ainsi une différence entre un panneau qui interdit aux voitures de stationner et une rangée de piquets qui les empêche physiquement : le premier n'est qu'une information, le second est une contrainte (et, incidemment, une information pour ceux qui voient ces piquets et en déduisent que le stationnement est interdit). Il y a deux types d'information : celle-ci signale une interdiction, mais d'autres panneaux (indiquant par exemple une direction) apportent une aide à l'usager.
Ce qui aide les usagers de la rue, c'est par exemple les panneaux indicateurs, les trottoirs, la chaussée. Ce qui aide une catégorie d'usager peut constituer une gêne ou une information d'interdiction pour une autre. Ainsi le passage pour piétons et le feu vert concernent en sens opposé le piéton et l'automobiliste : l'un doit respecter ce qui permet à l'autre de traverser la rue. Le couloir de bus aide l'usager des transports en commun, il aide également souvent le cycliste qui peut l'emprunter, mais il gêne l'automobiliste et le piéton ; à moins qu'il n'aide ce dernier à devenir un usager de transports en commun.
Ce qui aide peut également gêner et inversement. Le tracé rectiligne des rues limite la liberté des piétons et encore plus celle des automobilistes, bloqués par les sens interdits et les cheminements imposés. En même temps, cette contrainte permet aux piétons de trouver plus facilement leur chemin que dans un urbanisme piétonnier (dalles) où l'on peut se perdre ; les sens interdits, les feux rouges favorisent une circulation plus fluide et aident les automobilistes : question classique de théorie des jeux, où chacun n'aurait intérêt à contourner la norme que si les autres, eux, la respectent.
Certains équipements ne concernent qu'une seule catégorie d'usagers : les bancs pour les piétons, les indications de direction peintes sur la chaussée pour les automobilistes, les arrêts de bus installés sur les trottoirs pour les usagers de transports en commun.
Parfois ils ont été conçus pour une catégorie et reçoivent une utilisation imprévue des autres catégories. Les cyclistes, en particulier, se placent en marge des catégories prévues par les pouvoirs publics, ils accrochent leur vélo au grillage qui protège un arbre, à une barrière qui empêche le stationnement des voitures, non sans risque car les mêmes pouvoirs publics, forçant les antivols au chalumeau, s'opposent parfois à l'utilisation de leurs équipements dans des usages qu'ils n'ont pas prévus. Les horodateurs aident les automobilistes à payer leur stationnement mais donnent également l'heure aux piétons dépourvus de montres. Les compteurs électriques des lampadaires indiquent le numéro de l'arrondissement. Les poteaux en tous genres servent de support publicitaire sauvage pour celui qui veut promouvoir un disque de rap ou les services d'une garde d'enfant, d'un homme à tout faire, d'une masseuse à domicile.
2. Ceux qui sont dans la rue sont les plus visibles dans la ville. Pourtant l'aspect de la rue dépend aussi beaucoup des besoins de ceux qui sont dans les maisons. Les immeubles eux-mêmes sont construits pour eux. La présence des habitants et des travailleurs, regroupés sur un territoire limité, explique la création des rues et de ses équipements.
Au niveau des détails, quelques équipements sont conçus pour les occupants des immeubles. Certains sont bien connus et font partie de l'expérience quotidienne et conscience des occupants : portes, fenêtres. D'autres leur sont utiles sans qu'ils y prêtent habituellement attention : grille d'aération de la cave, boîte EDF. Contrairement aux usagers de la rue, les usagers des immeubles ne se voient opposer presque aucun équipement urbain de nature informative : on peut citer les affichettes parfois collées sur la porte d'entrée. Les équipements urbains les plus spectaculaires conçus pour les occupants des immeubles sont ces alignements de piquets qui guident les véhicules vers l'entrée de leur parking (aide) tout en les empêchant de rouler ailleurs sur le trottoir (empêchement).
3. La troisième catégorie, celle à laquelle on pense le moins, c'est ceux qui sont sous la rue : les usagers du métro, les techniciens qui interviennent dans les équipements posés dans des galeries, tranchées, conduites sous la chaussée et sous les trottoirs. Les traces en sont nombreuses au moins d'être omniprésentes sur les trottoirs : grilles d'aération du métro, plaques d'égout, accès aux conduites de gaz, d'électricité, de chauffage urbain. Rien, pourtant, de moins remarqué dans l'espace urbain que ces équipements qui n'apportent une information ou une aide qu'aux seuls spécialistes. Ils aident les usagers du métro en permettant son aération, les techniciens en leur donnant un accès aux réseaux souterrains. Ils indiquent à ceux-ci la nature et l'emplacement exact de ces réseaux.
Dans cet univers humain, il faut parler de l'arbre. L'arbre est né dans une pépinière, il est choisi, contrôlé, taillé, alimenté, transporté, transplanté, entretenu, protégé, abattu par l'homme. Il ne saurait étendre ses branches à sa guise. Surtout, il lui est interdit de se reproduire de sa propre initiative. L'arbre cumule toutes les fonctions et tous les destinataires. C'est une aide pour le piéton accablé par la chaleur, pour le chien qui lui trouve une utilité bien à lui, un empêchement pour l'automobiliste à qui il ôte une place de stationnement, une limitation pour l'habitant dont il bouche la vue, mais également un décor pour le même habitant, pour le piéton, pour l'automobiliste. Ses racines plongent dans le sous-sol et peuvent gêner le technicien qui creuse une tranchée. L'arbre est le plus complexe des équipements urbains.
Publié par thbz le 28 août 2008
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