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28 août 2008 - DiversLa ville à fleur de peau (2/2) : le fonctionnement
Le piéton marche sur les plaques d'égout, l'automobiliste se gare aux endroits indiqués, le bus emprunte la voie qui lui est réservée. Le fonctionnement de chaque équipement urbain, considéré séparément, est assez clair. Il se déduit la plupart du temps de sa forme et de son emplacement (le piquet qui empêche de se garer, le symbole « vélo » sur la chaussée, la plaque qui permet d'aérer un sous-sol). Lorsque ce n'est pas le cas, c'est souvent écrit dessus : le regard porte le mot « eau », « gaz », « électricité » qui indique à quelle type de conduite il donne accès.
Reste à savoir comment fonctionne la ville, à sa surface, en tant qu'organisme. C'est à dire comment les divers équipements se partagent l'espace urbain, comment ils évoluent, transforment la ville et sont transformés par elle.
Je n'ai pas la constance de rédiger un historique général des équipements urbains, ni d'entreprendre une étude raisonnée de leur fonctionnement et de leurs interactions. On se contentera donc de quelques notes jetées en passant.
1. Chaque équipement prend un peu de place, limitant celle disponible pour les autres ; à la limite, les piétons ne pourraient plus passer, les véhicules ne pourraient plus circuler.
2. Tout ceci coûte de l'argent : à son installation, par son entretien, l'espace urbain a-t-il jamais été aussi riche et coûteux qu'aujourd'hui ? Les vieilles cartes postales montrent des trottoirs sans piquets, des rues sans feux rouges ; au Moyen-Âge il n'y avait même pas de trottoirs, ni de pavés, l'égout coulait simplement au milieu de la rue.
Au 20e siècle la chaussée a été peinte de flèches indiquant les directions, de bandes peintes séparant les voies de circulation, elle a été percée pour planter des feux rouges, bordée de caniveaux eux-mêmes équipés de bouches de lavage. Depuis dix ans, les voies de bus ont été séparées des voies d'automobiles par des murets ; on construit même des voies cyclables quelque part entre les trottoirs, les places de stationnement et les voies de bus.
Le trottoir, vide autrefois, a été percé de plaques d'égouts, de plaques de gaz, de plaques d'électricité et de chauffage urbain lorsque les différents réseaux souterrains ont été tirés à travers Paris ; il a été recouvert d'arbres, de lampadaires, de colonnes Morris, de fontaines Wallace, de boîtes noires à l'utilité incertaine, de panneaux de publicité ou d'information, d'horodateurs, de stations Vélib', de piquets interdisant le stationnement ou canalisant les automobiles vers les parkings.
Si l'on devait reconstruire à partir de rien une avenue parisienne, il ne suffirait pas de couler du goudron pour la chaussée, de l'asphalte pour le trottoir, choses auxquelles on pense en premier ; il faudrait également reconstituer des centaines d'équipements urbains plus ou moins visibles : qui sait si le coût de ces équipements ne serait pas supérieur au coût de la rue proprement dite ?
3. Science-fiction : imaginons une rue surchargée d'équipements, à tel point que, par manque de place et en raison du coût que représenterait la reconstruction de ces équipements, aucune évolution majeure de la rue ne serait plus possible. Parce que le besoin d'équipements urbains, comme le besoin d'équipements ménagers dans un appartement, apparaîtrait comme tellement indispensable qu'il ne serait plus imaginable de construire une rue toute simple : chaussée, trottoir, voire caniveau et réseaux indispensables (alimentation en eau, évacuation des eaux usées, électricité, chauffage).
On n'en est pas encore là : chaque décennie ne craint pas de remettre en cause l'héritage de la décennie précédente. Les cicatrices de l'asphalte en témoignent, le nombre de chantiers ici et là montre également qu'on ne craint pas de gratter, arracher, recoudre la peau de la rue. Les équipements se multiplient, mais certains passent de mode (les jardinières). L'espace urbain vit toujours dans un état de reconstruction permanente. C'est en cela qu'il est vivant : les humains régénèrent l'espace urbain afin de préserver la qualité de vie dans la ville, l'espace urbain grâce à sa régénération permanente peut conserver ses habitants et ses travailleurs, dont les impôts financent sa prochaine régénération.
4. L'espace urbain, autrefois vide, animé simplement par les marchands ambulants, les prêteurs d'argent installés sur leurs bancs légers (banquiers), les sergents recruteurs, toute cette société du Pont-Neuf, légère, non fixée au sol, que décrivent les frères Lazare, l'espace urbain vit aujourd'hui par les travaux qui le remuent en permanence, qui inscrivent dans sa chair l'évolution des modes de vie (gaz, électricité, publicité, Vélib').
5. Les équipements urbains sont durables mais pas éternels, ni incorruptibles. Ils se salissent sous les pas des passants, les tâches des chewing-gums constellent peu à peu la surface du trottoir, des brins d'herbe poussent parfois dans les fissures des caniveaux, des graffitis s'invitent sur leurs espaces verticaux.
Il semble toutefois que, plus que les conséquences de l'usage et du temps, ce soit l'évolution technologique, la volonté d'instaurer de nouveaux usages qui soit le principal facteur de modification, de remplacement, d'ajout d'équipements urbains.
Les travaux sur la voie publique sont l'un des moyens de maintenir la ville en état, mais ce qui répare peut aussi abîmer : ainsi en creusant une tranchée pour remplacer une canalisation de chauffage urbain, on perce l'asphalte et une cicatrice en portera le témoignage. Lorsque des travaux successifs, d'une année à l'autre, au cours des décennies, sont entrepris pour planter un piquet, remplacer une conduite de gaz, tirer une nouvelle ligne électrique, la peau du trottoir se craquèle et finit par ressembler à un costume d'Arlequin.
6. La ville, si l'on désigne par ce mot les immeubles, l'espace urbain et les habitants, remplit les critères d'un organisme vivant. Elle naît lors de la fondation de la cité, meurt lorsque les habitants la quittent. Elle se renouvelle elle-même par la suite des générations, l'immigration, l'entretien de l'espace urbain. Une ville laissée à elle-même, comme un organisme vivant après la mort, se dégrade rapidement. L'homme est le sang et le souffle de la ville. Mais il a également besoin des bâtiments comme abri, des rues comme lieu de circulation, comme les fluides corporels ont besoin du corps.
Publié par thbz le 28 août 2008
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