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14 octobre 2014 - CoréeMok-dong, très grand ensemble, cité idéale
En Corée, les apateu tanji ou « grands ensembles », ça peut être assez petit. Par exemple trois ou quatre barres de sept ou huit étages dans un quartier de maisons et d'immeubles bas, numérotés 101, 102, 103... Un apateu tanji peut même se réduire à un seul bâtiment, qui malgré son isolement portera fièrement un énorme numéro 101 sur la tranche.
D'autres apateu tanji sont plus vastes et se divisent en plusieurs sous-ensembles : il y aura les immeubles 101, 102, 103... d'un côté de la rue, 201, 202, 203 de l'autre et 301, 302, 303... un peu plus loin.
Et puis il y a Mok-dong. À la sortie de la station de métro Yangcheon-gu Office, il faut quatre chiffres pour numéroter les immeubles : 1312, 1313 ; à droite, les numéros dépassent 1400. Quatorze îlots, énorme archipel conçu en une fois et exécuté d'une traite.
Mok-dong n'est donc pas un grand ensemble : c'est un grand ensemble de grands ensembles. Au total, 392 bâtiments contenant plus de 26 000 appartements se répartissent de part et d'autre d'une bande centrale qui serpente sur quatre kilomètres de long.
La bande centrale est consacrée aux commerces, bâtiments publics et parcs. C'est une planification systématique, standardisée, à l'échelle d'une ville moyenne française. Et cela a bien l'air de marcher.
Car à Mok-dong, tout est calme et ordonné. Entre les bâtiments, les voitures circulent au ralenti et se garent au pied d'immeubles bordés d'arbres. Ici et là, on retrouve à peu près les mêmes terrains de jeu pour enfants, les mêmes équipements de musculation pour adultes. Parfois des petits commerces se glissent au cœur de l'apateu tanji.
Les quatre cents barres de logements du quartier Mok-dong, qui ne connaît que des avenues gigantesques et des chemins piétonniers, ne sont pas très différentes de la barre isolée dans un quartier traditionnel : un numéro peint en lettres énormes sur la tranche, trois ou quatre entrées repérables de loin par les réservoirs d'eau crénelant le toit au-dessus de chaque cage d'escalier.
En France, à peine les premiers grands ensembles avaient-ils été construits dans les années 1950 que les architectes ont ressenti le besoin de faire varier les formes et les couleurs : Aillaud a recourbé les barres et les a fait serpenter au milieu des pelouses. En Corée, en revanche, les apateu tanji n'ont guère changé depuis quarante ans. D'une décennie à la suivante, d'un quartier à l'autre on change de de dimensions, la qualité et le nombre des équipements s'accroît, mais l'objet construit reste de même nature et chacun le reconnaît immédiatement : c'est un apateu.
Les quatorze secteurs sont alignés de part et d'autre de deux larges avenues parallèles, entre lesquelles une large bande de terrain, quasiment réservée aux piétons et aux vélos, regroupe les équipements collectifs.
Il s'agit d'abord de commerces et de restaurants, regroupés au rez-de-chaussée d'immeubles aux vocations variées (bureaux, église...). On y trouve aussi des bâtiments administratifs : commissariat de police, bureau de l'immigration.
Enfin, un vaste parc occupe une section de cette bande centrale.
Le passant, dès la première fois, reconnaît ici ce qu'il a déjà vu dans tant d'autres apateu tanji. Ce sentiment de « déjà vu » permet au premier venu d'utiliser cet espace sans aucune difficulté : pas besoin de mode d'emploi, les entrées d'immeubles sont aussi en évidence que partout ailleurs, on sait qu'on trouvera des commerces, des restaurants, des espaces pour les enfants...
De même je sais tout de suite, lorsque je vois cette entrée d'un immeuble de bureaux de standing moyen sur la bande centrale, que je trouverai dans les couloirs du rez-de-chaussée des restaurants variés et plutôt traditionnels (nouilles, kimbap...), peut-être un café et certainement des toilettes gratuites.
Mok-dong est la cité idéale des urbanistes européens. Cette « cité nouvelle » a d'ailleurs été fabriquée selon des procédures comparables aux ZUP françaises, sur un rythme effréné : cinq ans seulement séparent le début du projet en 1983 de la livraison en 1988 du quatorzième et dernier secteur.
Ici les espaces communs sont bien entretenus, personne ne traîne devant les entrées d'immeubles, les déchets sont triés. L'utilisation du vélo est encouragée. Dans le parc, il est interdit de fumer et de boire.
Dans les grands ensembles coréens, les habitants font partie de la classe moyenne, voire supérieure. Pour acheter un appartement de 115 m2 dans le secteur Mok-dong 13 (les superficies vont de 66 à 181 m2), il faut dépenser, à en croire les sites spécialisés, entre 400 et 800 millions de won, soit 300 000 à 600 000 euros.
C'est donc la ville normale, celle où la plupart des gens voudraient habiter. Une explication couramment apportée est que les appartements sont bien plus agréables que l'habitat traditionnel.
Mais il y a autre chose : en Corée, les appartements sont synonymes de richesse. On croit que c'est en achetant un appartement qu'on devient riche : car la hausse continue des prix a permis pendant longtemps aux propriétaires de faire des bénéfices très rapidement avec les appartements neufs.
Les appartements seraient ainsi non seulement le signe de la richesse, mais aussi sa source.
Le phénomène est peut-être en train de se retourner : l'immobilier est en crise, les prix baissent. Les librairies sont pourtant formelles : des rayons entiers de livres vous expliquent toujours comment devenir riche par l'immobilier.
Mok-dong est donc le présent de la Corée. Son avenir est difficile à prévoir, car peu de pays sont capables de changer de direction aussi vite que celui-ci. En tout cas la cité idéale de Mok-dong, tel qu'elle apparaît aujourd'hui, ne fera probablement pas partie de cet avenir : car trente ans à peine après la construction des premières barres, on projette déjà de les détruire pour reconstruire à la place une nouvelle cité.
Publié par thbz le 14 octobre 2014
2 commentaire(s)
1. Par Détails (16 octobre 2014) :
Intéressant! On voit bien que tout est relatif le même sujet qu'il soit en France ou ailleurs n'est pas exploité ni traduit de la même manière. Les mœurs changent et les notions des choses avec.
C'est marrant l'histoire des appartements qui rendent "plus riches", cette même idée existe également ailleurs sur ce point précis, c'est la France qui est différente et non le reste.
De tes photos, ce qui saute aux yeux ce sont ces formes parallélépipédiques où la publicité accolée façonne la façade chose qui a l'air d'être une signature architecturale et une habitude dans ce pays.
2. Par thbz (16 octobre 2014) :
Oui, la façade se réduit à la publicité (ou plus précisément aux enseignes, car la plupart du temps il s'agit simplement du nom des boutiques présentes dans l'immeuble). J'avais comparé rapidement la façade en Corée et en France vers la fin du premier article que j'avais écrit sur les apateu tanji (http://bloc-notes.thbz.org/archives/2007/11/lespace_coraen.html ), mais cela mériterait une étude en soi.