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1 octobre 2001 - Cinéma

Titanic

Lorsque "Titanic" est sorti en France dans les premiers jours de 1998, le film a été apprécié par une grande partie de la critique. Sur le forum Usenet fr.rec.cinema.discussion (frcd), par contre, les dix ou quinze critiques amateurs habituels étaient presque tous opposés au film. Un an plus tard, les Cahiers du Cinéma semblaient donner raison à frcd : un ou deux seulement des critiques professionnels mettaient dans leur liste des films de l'année ce film dont ils avaient dit tant de bien quelques mois plus tôt. Qu'est-ce qui fait que, moi par contre, j'ai tant aimé Titanic ? Que je le considère encore comme un film passionnant et original ?

Titanici est à la fois un très grand spectacle et un drame romantique, avec un scénario soigné et une réalisation virtuose, des effets spéciaux démesurés et des acteurs très bien mis en valeur. L'ambition est énorme, puisqu'elle couvre tous les aspects du cinéma populaire, et la réussite est presque totale. Le film est long mais jamais lassant, et l'histoire reste limpide malgré la multiplication des personnages et des faits annexes.

Trois films se succèdent dans Titanic

D'abord un film romantique flamboyant, une histoire d'amour fou, alors que la plupart des films romantiques se contentent d'amours modérées et édulcorées.

La réalisation joue alors sur le registre du lyrisme le plus débridé, avec ces mouvements de caméra virtuoses au-dessus du navire, ou des compositions picturales comme la « figure de proue » des amoureux qui doit orner quarante millions de chambres d'adolescent(e)s dans le monde. À d'autres moments, on revient vers la comédie romantique américaine classique, à travers le jeu sur le passage d'un milieu social à un autre : Jack au dîner des riches, Rose au bal des prolos. Ou encore dans le romantisme érotique : scène du portrait, scène d'amour. Et la description du navire, par sa précision, rejoint le documentaire.

Dès que Jack a effectué le portrait de Rose, au moment précis où le valet, qui est à leur recherche, débarque dans l'appartement, on entre dans le second film, qui est un film d'action. C'est la partie la plus faible de Titanic. Les courses-poursuites et les images-choc sont bien fabriquées, mais inutiles. Dans une grande épopée hollywoodienne comme Titanic, ce morceau de « film de genre » détonne.

Enfin, les deux amants, après avoir échappé à mille dangers dans les antres du navire, parviennent finalement sur le pont, et commence alors une séquence de vingt minutes pendant laquelle le paquebot penche, se dresse et sombre. C'est le film catastrophe.

Il s'agit d'une scène unique, folle, jamais vue par sa longueur, son thème (le navire penche lentement à la verticale, les gens courent vers le sommet), et son réalisme. Contrairement à ce que croient beaucoup de réalisateurs de blockbusters, dont Cameron lui-même quelques minutes plus tôt, il est inutile de multiplier les plans et les péripéties pour créer la tension ; les scènes les plus fortes ne comportent qu'une ou deux bonnes idées, mais exploitées au-delà de toute imagination.

Dans ce qui précède, je ne mentionne pas les scènes contemporaines. Elles me semblent relever en partie d'une manie actuelle d'Hollywood : lorsque l'histoire se déroule il y a quelques décennies, il faut absolument que l'on voie, au début et/ou à la fin du film, ce qu'est devenu l'un des personnages principaux. Son rôle est de se souvenir d'un héros disparu et de lui rendre hommage (cf La liste de Schindler ou Il faut sauver le soldat Ryan).

Un monde à construire, et un monde à détruire

Dans ces scènes contemporaines, les dialogues prononcés par la vieille dame sont bien écrits, et sa manière d'évoquer le passé laisse subsister un doute sur la véracité de son histoire, qui permet d'envisager une lecture du film à plusieurs niveaux : en une phrase, elle dit que Jack Dawson, absent des registres, n'existe plus que dans sa mémoire, ce qu'on pourrait interpréter en disant qu'elle a, en fait, inventé de toutes pièces ce prince charmant idéal pour rêves de jeunes filles. Un autre passage offre, lui aussi, un nouveau regard sur l'histoire racontée : lorsqu'elle se couche à la fin (certains disent pour mourir), la caméra s'attarde sur quelques photos exposées sur sa table de nuit (Rose à cheval, Rose en avion...), et ce survol rapide permet d'évoquer, d'une manière fugitive et originale, la vie ultérieure de la héroïne. Pour moi, un Titanic 2 plus intéressant que les vagues rumeurs qu'on a pu entendre pourrait se baser sur ces photographies, et développer à partir d'elles un personnage de femme moderne et indépendante de l'entre-deux-guerres. Ce n'est pas la moindre des qualités de Titanic de réussir à fournir en quelques images matières à imagination.

Quant à la longue introduction, elle met en place certains des éléments qui traverseront le film : le diamant, incarnation des principaux sentiments du film (richesse de Hockley, cupidité du chercheur de trésors, amour entre le peintre et son modèle, souvenir pour la vieille femme), le naufrage, que l'on voit dans une animation scientifique avant de le voir « pour de vrai », le Titanic lui-même que l'on commence par visiter en sous-marin avant que les souvenirs de la vieille dame vienne le faire surgir par la force du récit. De nombreux autres petits faits continuent ensuite à établir des résonances multiples entre les diverses parties du film : Jack Dawson, voulant empêcher Rose de se suicider, lui décrit la froideur de l'eau à l'endroit précis du bateau qu'ils occuperont au moment de couler dans cette eau (« If you jump, I jump »). Tous les lieux et objets montrés pendant la première partie du film seront, l'un après l'autre, méthodiquement, détruits dans la seconde.

Au-delà des considérations formelles, Titanic est aussi un film social, dans le sens où Cameron constitue en effet avec minutie une sorte d'arche de Noé humaine sur son paquebot, avec toutes les classes d'âges, toutes les fonctions sociales, et un catalogue de nos sentiments : résignation du vieux couple mourant en silence sur son lit, frustration de la jeune fille noble, vanité de l'armateur, ambition du jeune riche, amour du même jeune riche, espoir des immigrants de tous pays.

Il est d'usage, dans les films catastrophes contemporains (Independence Day, Deep Impact), de symboliser l'humanité ou les Etats-Unis par un panel représentatif de cinq à dix petits groupes, dont on suit l'évolution parallèlement à celle des personnages principaux. Mais Cameron va au-delà du cliché en intégrant ces personnages dans son histoire et en leur donnant un rôle sur l'évolution de l'intrigue.

Cette société s'agite sur et dans un bateau qui, lui aussi, nous est montré sous tous les angles et dans toutes ses fonctions. Les couloirs sans fin, la cabine de pilotage, les salles de réception, les bals populaires et les cabines des passagers de troisième ou de première classe constituent ce monde. La vision des fondements de ce monde, depuis les entrailles rougeoyantes comme le fond d'un volcan jusqu'au pont sur lequel Dawson, allongé comme au milieu d'une prairie, contemple les étoiles, donne au bateau un caractère de solidité et de permanence qui rend stupéfiant, presque inacceptable sa mise en pièces finale.

La vision de cette société enclose dans le volume d'un paquebot, qui reproduit la nôtre en plus beau, provoque chez le spectateur le même attachement que l'univers d'un rêve, avec la même nostalgie lorsque le réveil vient le faire disparaître. On s'attache même à la destruction de cette société, parce qu'elle est esthétique. On est donc très loin de la vie réelle. Pas étonnant, donc, que de nombreux spectateurs aient vu le film plusieurs fois. Il est impossible de poursuivre un rêve interrompu, mais il est tellement facile de racheter un autre billet.

Publié par thbz le 01 octobre 2001

1 commentaire(s)

1. Par july  (15 juin 2008) :

I love You James Cameron!!!

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