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18 septembre 2023 - Corée

Météo des pêcheurs

C'est une radio coréenne, il est près de 5 heures du matin là-bas, neuf heures trois quarts du soir ici ; dans un flux de paroles que l'on ne comprend pas, un mot revient régulièrement et, celui-là, on le comprend : « hektôpa-askal ».

La voix traîne un peu, s'accroche aux consonnes, allonge les voyelles. Le rythme est absolument régulier, le ton monte et descend à chaque fois de la même manière, et toutes les six secondes exactement il est question d'hectopascals.

C'est la « météo des pêcheurs » (어업기상통보), diffusée tous les jours de 4h 42 à 4h 54 du matin sur la radio publique coréenne KBS 1.

Car à une époque où on peut consulter la météo dans le creux de sa main où que l'on soit, la météo marine qui a disparu depuis 2016 en France existe toujours, à un horaire immuable, en Corée. Dans un pays où, dès le printemps dernier, les librairies étaient envahies par des libres sur ChatGPT, il reste un humain pour énoncer dans le poste de radio, sur un ton aussi immuable que les annonces de l'horloge parlante (elle aussi disparue), une succession de chiffres qui pourrait tout aussi bien être engendrée par quelque robot lisant une base de données alimentée, tout de même, par des météorologues humains.

Le bulletin comprend deux parties. La première donne la météo marine proprement dite, parcourant pour cela les côtes de la Corée et des pays environnants. La seconde annonce le temps dans plusieurs dizaines de ville de la Corée et des pays environnants, tel qu'il a été mesuré quelques dizaines de minutes avant la diffusion du bulletin. Pour chaque lieu sont donnés trois éléments précis : la direction et la vitesse du vent, la pression atmosphérique et la température. On passe de la Russie à la Corée du Nord, de la Corée du Nord à celle du Sud, puis au Japon et enfin en Chine.

Les pêcheurs écoutent-ils vraiment ce bulletin ? Est-ce un vestige de la modernité que la Radiodiffusion coréenne maintient au nom d'un certain service public de la poésie ? Et surtout, à quoi sert-il de savoir s'il pleuvait tout à l'heure à Pohang, à Sapporo ou à Pékin, et à quelle vitesse le vent soufflait en pleine nuit ?

On peut donc l'écouter uniquement pour cette inaltérable scansion des données météorologiques : le nom du lieu, une pause brève, puis le trio du vent, de la pression atmosphérique et de la température, puis une nouvelle pause. L'ensemble de la phrase prend élan sur ce mot « hektôpa-askal ».

En 2006 le rite était exactement le même et le bulletin s'achevait au son du même carillon.

Ce bulletin a ses amateurs discrets, on le devine à la longueur un peu obsessionnelle de la page coréenne sur Wikipédia : quelqu'un a pris soin de dresser la liste de tous les lieux décrits par le bulletin en précisant les habitudes des deux météorologues qui se relaient dans cette émission, car ils ne présentent pas le bulletin exactement de la même manière. Chaque auditeur doit avoir son météorologue préféré.

L'article de Namu-wiki (sorte de Wikipédia coréen, en plus créatif et moins rigoureux) consacré à l'un de ces deux métérologues avoue plus ouvertement la fascination qu'exerce cette émission : « On pourrait le qualifier de présentateur météo ordinaire, mais il fait l'objet d'un culte étrange en raison de son accent inhabituel (...). Il est aussi étrangement addictif lorsqu'il décrit le temps qu'il fait dans les pays voisins de la péninsule coréenne, en particulier le Japon, la Russie et la Mandchourie. Il prononce des noms de lieux comme Vladivostok et Khabarovsk, ainsi que les températures et les pressions barométriques, avec un bégaiement caractéristique qui, associé aux conditions climatiques extrêmes de ces régions (il y fait très froid, surtout en hiver), instille un sentiment d'effroi inexprimé chez l'auditeur. » (traduction Deepl).

Publié par thbz le 18 septembre 2023

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