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26 août 2014 - CoréeUn appartement coréen
C'est un appartement, dans un grand ensemble de Séoul.
Tout ce qui suit découle, dans les grands lignes mais aussi pour beaucoup de détails, de cette seule phrase. Car dans un « apatû » (ou « apatû tanji »), c'est à dire un des grands ensembles résidentiels standardisés qui constituent le mode d'habitat d'une partie importante de la classe moyenne en Corée, la plupart des logements, d'un étage à l'autre, d'un immeuble à l'autre, sont construits à peu près sur le même modèle. J'en ai déjà parlé il y a quelques années dans un article au propos plus large.
De l'extérieur vers l'intérieur
Le terrain sur lequel s'élève l'immeuble (ou, la plupart du temps, les immeubles) a conservé de l'architecture traditionnelle le mur d'enceinte bas, incrusté de pierres et couronné de tuiles peintes en bleu. Mais si ce mur permet, dans les maisons traditionnelles, de voir le paysage environnant sans exposer aux regards l'intimité du logement, il ne peut guère, ici, servir à autre chose qu'à contrôler les allées et venues. À l'entrée de la propriété, le gardien dans sa loge salue chaque résidant entrant ou sortant, qui lui rend un rapide coup de tête. Sur les côtés, de nombreuses poubelles et conteneurs permettent de trier les déchets selon des règles extrêmement complexes. Quelques arbres, aussi, un jardin dont la taille varie en fonction de la taille du grand ensemble, complètent les abords.
On entre dans l'immeuble en tapant un code à quatre chiffres. Pas de grand hall d'entrée au rez-de-chaussée, car l'immeuble est une barre dotée de nombreuses entrées, chacune ne desservant qu'un nombre limité d'appartements. On jette un rapide coup d'œil aux boîtes à lettres, accrochées sur le mur, puis on suit une légère montée vers l'ascenseur, à côté de laquelle se trouvent les portes des appartements du rez-de-chaussée : ces appartements surplombent donc légèrement le sol extérieur. Le rez-de-chaussée, comme dans les pays anglo-saxons, porte le numéro 1.
L'ascenseur est tapissé de notices diverses : dates et modalités du ramassage des ordures, interdiction de vaporiser un spray dans l'ascenseur, mais aussi publicité pour une église locale. On choisit le numéro de l'étage à atteindre ; en cas d'erreur, on peut appuyer à nouveau sur le bouton pour le désélectionner, comme dans une interface d'ordinateur...
Les appartements sont tous traversants : on ne voit donc, en sortant de l'ascenseur, que deux portes d'appartements, une à droite et l'autre à gauche, ainsi que l'escalier en face, éclairé par la lumière naturelle.
À côté de la porte de l'appartement, une feuille de papier est accrochée sur le mur du palier ; le résidant y inscrit chaque mois le niveau du compteur de gaz, à l'attention de l'employé qui viendra la collecter. La procédure peut être différente dans d'autres immeubles.
À l'intérieur
On ouvre la porte en tapant, là encore, un code à quatre chiffres. Pas de serrure à ouvrir, pas de clé à transporter.
On entre directement dans le séjour. Le couloir, qui a permis de mettre en place une gestion fine de l'intimité dans les appartements bourgeois du 19e siècle en France, ne s'est pas généralisé en Corée. On pourrait chercher une explication dans une comparaison des modes de vie et de la distinction, dans l'un et l'autre pays, entre vie privée, vie familiale et vie publique. Quoi qu'il en soit, en France même le couloir a fini par disparaître dans de nombreux appartements modernes : l'appartement coréen, peu cloisonné, apparaît donc plutôt branché et d'une conviviale modernité.
Le lieu à vivre est un vaste séjour, largement ouvert sur la cuisine. Sur cet espace central donnent trois chambres et une salle de bains. Presque la moitié des logements, en Corée, ont exactement 4 pièces, alors que les ménages ne comprennent en moyenne que 2,8 personnes. Une seconde salle de bains, plus petite, est accessible depuis la chambre principale.
Si l'absence de couloir annule la distance entre les pièces, réduisant l'intimité au sein du foyer (un enfant ne peut pas sortir de sa chambre sans être vu), le séjour est séparé du palier par un petit espace où l'on enlève les chaussures, que l'on peut laisser sur place ou poser dans un grand placard conçu à cet effet. Cet espace est un simple carré d'un mètre de côté. Il vaut mieux, en Corée, porter des chaussures sans lacet : on gagnera du temps pour entrer dans un appartement ou dans certains restaurants. Une fois déchaussé, on circulera dans l'appartement pieds nus ou en chaussettes, à moins qu'on ne préfère porter des sandales d'intérieur.
Ce séjour comprend à peu près les mêmes meubles que dans un appartement occidental, mais souvent plus bas : une table basse, un canapé, un fauteuil ou des poufs, un meuble bas pour supporter le téléviseur, éventuellement d'autres meubles. On peut s'asseoir à même le sol, qui est chauffé en hiver. Aux murs sont accrochés plusieurs appareils de commande électroniques dont l'apprentissage sera progressif : un dispositif commandant l'air conditionné, un visiophone permettant de communiquer aussi bien avec la personne qui qui sonne en bas de l'immeuble qu'avec celle qui attend sur le palier.
Les chambres sont de tailles différentes. La chambre principale donne sur une petite salle de bains organisée à la coréenne : la douche est accrochée sur le mur à côté du lavabo, de sorte qu'on se lave au milieu de la pièce, sans crainte d'asperger tout autour de soi, l'eau étant évacuée par un trou au milieu. La salle de bains principale, qui donne sur le séjour-cuisine, possède une baignoire, mais elle peut tout de même être inondée par celui qui préfèrerait se doucher au milieu de la pièce : il faut donc, en entrant, enfiler des sandales en plastiques qui restent en permanence près de l'entrée.
De l'intérieur vers l'extérieur
La différence la plus visible avec les appartements français est toutefois la présence de vastes loggias entre chacune des pièces et l'extérieur. L'appartement étant traversant, il y a deux séries de loggias : une le long du séjour et de la chambre principale, l'autre le long des deux autres chambres et de la cuisine. Les loggias sont des corridors larges et spacieux, bordés à l'extérieur par des porte-fenêtres. Leur sol n'est pas chauffé l'hiver et elles sont considérées comme des espaces moins propres que les pièces à vivre ; on ne peut donc, là encore, y pénétrer qu'en enfilant des sandales spécifiques.
Leur fonction reste assez mystérieuse pour un Occidental : certes, elles servent de buanderie le long de la cuisine, éventuellement de jardin d'hiver le long du séjour, voire d'espace de stockage. Mais l'étendue de cet espace peu utilisé, qui s'ajoute à la superficie déjà généreuse de l'appartement, le laisse songeur. Peut-être faut-il y voir une respiration, un lieu indéterminé que chacun peut organiser comme il l'entend — ou ne pas organiser du tout.
Il reste à parler de la vue sur l'extérieur.
La haute taille des immeubles, leur espacement, les parois largement vitrées devraient donner à de nombreux appartements des vues étendues sur la ville environnante. En fait ils n'en profitent guère. Les loggias éloignent les pièces a vivre de l'extérieur. Les doubles vitrages, systématiques, sont parfois doublés de papier translucide. Celui qui veut alors aller sur la loggia pour contempler le paysage doit enfiler des sandales peu commodes et, l'hiver, affronter le froid puisque cet espace n'est pas chauffé. S'il fait tout de même fait cet effort, il se retrouve devant une vitre qui est soit fixe, soit doublée d'une moustiquaire qu'il est fortement déconseillé d'ouvrir.
Le paysage est donc visible, mais quelque peu estompé, filtré par l'humidité et la pollution de l'air extérieur, puis par les multiples écrans intérieurs.
Mais parfois le paysage, même filtré, s'invite à l'intérieur.
Publié par thbz le 26 août 2014
2 commentaire(s)
1. Par Détails (27 août 2014) :
Intéressant!
Peu importe la vraie utilisation des loggias, ne servaient-ils pas comme de bons catalyseurs de chaleur pour l'intérieur? Un genre de "soupape" en quelque sorte. L'idée commence à être utilisée dans certains pays sous d'autres formes plus restreintes et esthétiques seul hic en effet c'est la "perte" de place mais quand cette dernière compense un chauffage permanent pourquoi pas, non?
(Je reviendrai sur les autres points une autre fois)
2. Par thbz (27 août 2014) :
Oui, la justification première de la loggia est sans doute sa fonction d'isolation, en particulier l'hiver. Bien sûr, cela ne suffit pas à éviter le chauffage ni, dans beaucoup d'appartements, l'air conditionné...