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6 février 2001 - Asie - Cinéma - Plus

Naruse à la Cinémathèque

Tendez l'oreille, et vous reconnaîtrez peut-être, dans les films de Naruse, une expression japonaise très caractéristique : isshoukenmei. C'est une femme qui dit cela, et cela veut dire qu'elle fait de son mieux, vraiment elle fait tout ce qu'elle peut pour que la situation s'améliore : pour que son mari se rapproche d'elle, pour que la boutique marche mieux, pour que la famille soit heureuse. Et tout le monde s'en fout. Alors, dans un moment de relâchement, désabusée, elle s'écrie : isshoukenmei.

Les films de Naruse des années 50-60 sont souvent centrés sur une ou plusieurs figures féminines fortes, qui doivent assumer les insuffisances des hommes qui les entourent. Le mari réagit à l'adversité en allant se saoûler au bar. Sa femme, elle, attend à la maison, et lui réchauffe son bol de nouilles quand il rentre en pleine nuit. Bol de nouilles qu'il refuse.

Les femmes ne sont pourtant pas des machines : « je suis une femme, avant tout », dit Keiko à la fin de Tourments, après dix-huit ans de sacrifices. Elles ont des désirs, et doivent les réprimer en permanence. Les anciennes geisha des Chrysanthèmes tardifs, trop vieilles pour séduire encore, se retrouvent seules avec une vie familiale ratée, faute d'avoir su accrocher un homme « bien ». De toute manière, il n'y a pas d'homme « bien » : Kyoko Kagawa, dans Anzukko, jeune femme moderne et gaie, a beau épouser un jeune écrivain pour échapper aux hommes ennuyeux qu'on essaie de lui présenter, elle subira les mêmes mauvais traitements que les autres, et y répondra en devenant la plus dévouée et la plus traditionnelle des femmes japonaises.

Le dévouement des femmes et l'absence de récompense emportent les films dans un mouvement ascendant vers le pathétique, qui va parfois jusqu'au mélo. Les actrices sont de plus en plus belles au fur et à mesure que le film avance et que leur personnage gagne en gravité et en douceur. Le plus fort de tous les films que j'ai vus est certainement Tourments. L'histoire, simple et puissante, repose sur les rapports entre une jeune veuve et la famille de son mari, rapports déstabilisés par les difficultés menaçant le petit commerce qu'elle gère pour le compte de sa belle-mère. Hideko Takamine est une interprète extraordinaire, qui dévoile peu à peu la passion du personnage. Et deux ou trois scènes atteignent les limites de l'émotion.

Les films de Naruse, très psychologiques, brassent des thèmes proches de ceux d'Ozu, mais sans adopter un style visuel aussi particulier que les plans géométriques d'Ozu. Ils font le tour complet d'un personnage, de ses rêves ratés, de ses forces et de ses faiblesses, tout en représentant, d'un film à l'autre, la société populaire japonaise de l'après-guerre dans son ensemble.

Publié par thbz le 06 février 2001

2 commentaire(s)

1. Par kaoutar  (29 novembre 2008) :

ça c'est pour moi le meilleur billet qui ait jamais été écrit sur les souffrance des femmes qu'elles soient japonaises ou autres..il faut une bonne dose de sensibilité et de capacité d'ecoute pour comprendre ce genre de souffrance et surtout savoir tellement bien l'analyser et la rapporter
bizarre que personne depuis 2001 n'ait réagi à cet écrit

2. Par thbz  (30 novembre 2008) :

Merci, mais je me suis contenté de décrire les films de Naruse, qui racontent tout cela très bien...

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