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6 février 2012 - DiversLa ville décentrée
Il s'agit d'une ville qui a perdu son centre. Je parle d'une ville générique, imaginaire, pas d'une ville particulière.
Les premiers furent les ateliers et les usines, qui fermèrent leurs hangars le long du canal pour rejoindre la zone industrielle. Les fumées et les bruits de marteaux ont alors disparu du paysage urbain ; ils ne reste d'eux que quelques bâtisses toujours vides auxquelles on ne prête plus attention.
Par la suite, les habitants de la grand'rue et des vieux immeubles de deux étages environnants sont partis les uns après les autres vers les maisons individuelles des lotissements de la périphérie. On construisait alors beaucoup, pourtant la population restait stable.
Puis quelques grands supermarchés se sont installés à l'entrée, c'est à dire aussi à la sortie, de la ville. À présent les commerces moyens, ceux qui vendent des vêtements ou des cycles, annoncent leur intention de quitter la place où se tenait autrefois un marché pour s'agrandir dans des locaux neufs à proximité des grands axes ou près de l'embranchement de la rocade. Car les voyageurs ne passent plus par le centre, autrefois célèbre pour ses embouteillages lors des départs en vacances.
Cette ville ne sera bientôt plus un organisme doté d'un cœur et d'un poumon pour insuffler la vie dans l'ensemble de l'agglomération, mais un réseau de fonctions complémentaires et de nœuds articulés. Aucun de ces nœuds ne possèdera le prestige du centre, car ils n'attireront les gens qu'à proportion de leur utilité en tant que lieu de travail, espace de shopping, machine à habiter.
La structure même de la ville se bouleverse sans qu'on s'en aperçoive véritablement. On ne va plus dans certaines ruelles dans lesquelles toute activité a disparu ; on oublie même qu'elles ont joué autrefois un rôle dans l'organisme urbain.
Les habitants viennent moins souvent au centre : pour des formalités administratives, pour se faire couper les cheveux, pour faire la fête une fois par an. Désormais, pour travailler, faire les courses ou dormir, ils circulent d'une périphérie à une autre.
Le centre demeure toutefois un lieu de promenade. Il conserve des boulangeries, une ou deux épiceries, quelques petits commerces, un marché. Le visiteur de passage ne se rend pas compte de cette évolution. Le centre devient même de plus en plus pittoresque et plaisant, à mesure que les maisons sont libérées de leur crépis pour révéler leur ancien appareil de briques et que les trottoirs sont élargis afin de supprimer tout partage de la chaussée entre les voitures et les piétons.
Les habitants de longue date, eux, perçoivent cet évidement du centre et le vivent avec fatalité.
Publié par thbz le 06 février 2012
2 commentaire(s)
1. Par Détails (08 février 2012) :
Nombreuses seraient les villes qui se reconnaitraient dans ta description. C'est un phénomène qui touche plus d'une ville sur deux aujourd'hui qu'elle soit en France, en Europe ou dans le monde. Un "standardisme" nouveau? un de plus dans la généalogie de la ville? Probablement et ça fait surement partie de "l'évolution" des villes. Vivre dans une ville comme si on vivait "ailleurs" et à la fois "partout".
2. Par thbz (08 février 2012) :
Certes, c'est en effet un mouvement de masse qui contribue sans doute à rapprocher l'expérience de la ville à travers les régions et les pays... Je n'ai d'ailleurs pas parlé de l'un des aspects les plus importants du décentrement : toutes les activités qui se font aujourd'hui par téléphone ou Internet au lieu de se rendre sur place. Le bâtiment de l'hôtel de ville, si symbolique du centre-ville autrefois, n'est plus qu'une administration dans laquelle on pénètre rarement.