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13 février 2006 - Arts, architecture...Le Crépuscule des Dieux au Châtelet
Le Crépuscule des Dieux, de Wagner, ce dimanche 12 février 2006 au théâtre du Châtelet. Orchestre de Paris dirigé par Christoph Eschenbach, mise en scène de Bob Wilson. Avec Nicholai Schukoff (Siegried), Dietrich Henschel (Gunther), Kurt Rydl (Hagen), Linda Watson (Brünnhilde).
Le Crépuscule des Dieux est le dernier épisode de l'Anneau du Nibelung. Alors que les trois mousquetaires étaient quatre, la Tétralogie, elle, ne comporte que trois épisodes (plus un prologue). Pendant quinze heures de musique, sans compter les entractes, dieux et démons se trompent les uns les autres et surtout eux-mêmes, laissant les hommes les humilier et prendre finalement leur place. Non seulement Dieu est mort, mais c'est l'homme qui l'a tué.
Le public, d'abord, car c'est la première chose qu'on voit en arrivant au théâtre. On ne connaît rien de ces gens, donc on ne les décrira que selon des critères purement visuels :
- tous les âges sont représentés au-dessus de vingt ans. Les jeunes se regroupent plutôt dans les étages élevés. La moyenne d'âge doit être proche de cinquante ans.
- l'habillement reste classique. On trouve des cravates, des pulls, des chemises à carreaux, des vestes, des jeans et parfois tout cela sur la même personne.
- les Blancs forment la quasi-totalité du public. On remarque une faible minorité d'Asiatiques ; les Noirs doivent se compter sur les doigts d'une main dans l'enceinte du théâtre. L'opéra n'est pas un miroir de la société ; on s'en doutait un peu.
Hagen est interprété par Kurt Rydl. Avant le lever de rideau, un homme élégant s'avance sur la scène et annonce que le chanteur est malade. La séance a même failli être annulée. Le chanteur a toutefois décidé d'essayer de jouer. Hagen est un personnage triste, Rydl est, de manière appropriée, livide. Lors de sa première scène, il profite d'un temps mort pour se retourner vers le fond de la scène ; il fouille dans sa poche, porte quelque chose à son visage : comprimés, fiole, mouchoir ? Dans les scènes suivantes, il sort discrètement de scène chaque fois qu'on n'a pas absolument besoin de lui. Il réussit toutefois à tenir son rôle, très exigeant vocalement, jusqu'au bout. Il ne viendra pas saluer. Cet homme a souffert toute la soirée.
La mise en scène prend un parti radical. Pas de décor, tout joue sur les lumières, sauf, curieusement, lors de l'embrasement final : à ce moment où on s'attend à voir un jeu habiler de projecteurs symboliser l'incendie, on a droit au contraire à de vraies flammes sur scène, soigneusement circonscrites dans une vasque il est vrai.
Les personnages marchent comme des pantins : un bras en avant avec la main verticale et le bras plié, comme dans un geste de paix ou un salut hitlérien ; l'autre bras en arrière, raide ; on dirait des statuettes Tang ou bien les Beatles sur une couverture de disque célèbre. Siegfried se déplace toujours avec un heaume dans la main gauche et une grosse épée dans la main droite, brandie devant lui bien droite, en érection. Gunther porte, dans la même position, un poignard beaucoup plus petit : ce n'est qu'un homme médiocre.
Cette mise en scène m'agace au début. Le hiératisme convient mal au face-à-face amoureux et héroïque dans lequel Brünnhilde laisse partir Siegfried au combat. Puis l'opéra se déroule et ce choix, suivi jusqu'au bout, trouve sa justification. On se prend peu à peu au jeu. La mise en scène devient vivante. Les interprètes, comme dans un film de Bresson, sont des modèles au service de la mise en scène. Les positions de groupe en ombres chinoises ne sont plus ridicules mais tragiques.
Siegfried, seul, est interprété par un vrai acteur : Nikolaï Schukoff. Il a tout : la blondeur, le faciès émacié, les attitudes, l'expression du visage. Et puis la voix : lorsqu'il raconte sa vie dans le grand monologue qui va le mener à sa mort, j'en oublie de regarder les sous-titres : la musique et le ton de sa voix disent tout ce qu'on peut avoir besoin de savoir.
La marche funèbre qui suit la mort de Siegfried, lorsqu'on l'écoute dans son salon, est une sorte de best-of de la Tétralogie : les meilleurs leitmotifs condensés en dix minutes. Sur scène, avec un orchestre qui développe une sonorité puissante dans une articulation précise, dans une mise en scène minimaliste qui laisse cet orchestre s'exprimer pleinement au moment où il en a le plus besoin, la marche funèbre offre une éblouissante apothéose à l'œuvre.
En résumé, intrigué par la mise en scène pendant le prologue, j'ai sommeillé pendant le premier acte, j'ai suivi avec intérêt les péripéties du second et les catastrophes du troisième m'ont fait sortir du théâtre avec une seule idée en tête : pourrai-je obtenir une place pour une représentation de Siegfried un de ces jours ?
Publié par thbz le 13 février 2006
2 commentaire(s)
1. Par jeans designer (23 février 2006) :
L'analyse ethnique du public a-t-elle eu lieu avant ou après l'extinction de la lumière ?
2. Par thbz (23 février 2006) :
Comme je l'ai écrit "c'est la première chose qu'on voit en arrivant au théâtre". Donc avant l'extinction de la lumière...
Pas de resto ce soir ? Le Coin-Coin Land reste muet :(