Les villes invisibles
Ceux qui ont lu et aimé les Villes invisibles d'Italo Calvino préfèrent sûrement l'une de ces villes imaginaires à toutes les autres. Moi, c'est Octavie :
Si vous voulez me croire, très bien. Je dirai maintenant comment est faite Octavie, ville-toile d'araignée. Il y a un précipice entre deux montagnes escarpées : la ville est au-dessus du vide, attachée aux deux crêtes par des cordes, des chaînes et des passerelles. On marche sur des traverses de bois, en faisant attention à ne pas mettre les pieds dans les intervalles, ou encore on s'agrippe aux mailles d'un filet de chanvre. En dessous, il n'y a rien pendant des centaines et des centaines de mètres : un nuage circule ; plus bas on aperçoit le fond du ravin.
On ne voit pas bien, encore, à quoi ressemble cette ville, ce qui fait son identité et justifie l'écriture de cette nouvelle. Tout devient clair dans le deuxième paragraphe :
Telle est la base de la ville : un filet qui sert de lieu de passage et de support. Tout le reste, au lieu de s'élever par-dessus, est pendu en dessous : échelles de corde, hamacs, maisons en forme de sacs, porte-manteaux, terrasses semblables à des nacelles, outres pour l'eau, becs de gaz, tournebroches, paniers suspendus à des ficelles, monte-charges, douches, pour les jeux trapèzes et anneaux, téléphériques, lampadaires, vases de plantes aux feuillages qui pendent.
Conclusion :
Suspendue au-dessus de l'abîme, la vie des habitants d'Octavie est moins incertaine que dans d'autres villes. Ils savent que la résistance de leur filet a une limite.
Les Villes invisibles construisent des cités dans lesquelles un seul élément de l'espace urbain (ici la passerelle, le hamac) prend le pas sur tous les autres. Ce n'est pas une invention fantaisiste qui engendre l'étrangeté, mais une insistance sur certains aspects de notre expérience urbaine. Ce faisant Italo Calvino nous force à voir la verticalité des bâtiments, les parcours qui vont d'un lieu à un autre, les relations entre les habitants, les souvenirs que nous laissent les lieux. Nous découvrons ce que nous avons toujours vécu, comme si notre corps enseignait à notre esprit comment il fait pour marcher et pour respirer. Les Villes invisibles accomplissent le programme de Paul Klee : elles ne reproduisent pas le visible, elles rendent visible. Quoi ? La vie de la ville, notre vie dans la ville.
Publié par thbz le 01 août 2008
1 commentaire(s)
1. Par S. (08 août 2008) :
Entre utopie et réalité il n'y a qu'un peu de vérité. Une vérité pourtant amère que ces habitants veulent reculer voir même oublier. Une vérité suspendue un peu comme le sort de ces gens, inconnue jusqu'au jour où...