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14 novembre 2010 - Cinéma

Hubert Robert, Élégie de la traversée (Alexandre Sokourov)

Hubert Robert : une vie heureuse (1996) est un essai cinématographique d'Alexandre Sokourov. Un Narrateur se retrouve dans un spectacle de théâtre traditionnel japonais puis plonge dans les tableaux d'Hubert Robert, le plus célèbre peintre de ruines du 18e siècle.

Le film comporte un aspect documentaire : le Narrateur nous raconte un peu la vie d'Hubert Robert, mais il s'agit surtout d'une méditation visuelle.

Le lien entre le spectacle traditionnel japonais et la peinture d'Hubert Robert est sans doute celui d'une certaine tradition, d'une antiquité des gestes, d'une nostalgie de l'immobilité. La caméra navigue sans effort apparent, sans heurt surtout, à l'intérieur des tableaux. Il y a du mouvement, mais il n'y a guère d'effort. L'image, par quelque effet spécial, vibre derrière une vapeur qui trouble les détails, met les images à distance, confond parfois l'espace du tableau et celui de la réalité, transmet aux arbres et aux personnages peints le relief de la vie même.

La fin du film, qui dure moins d'une demi-heure, préfigure celle de L'Arche russe, le chef-d'œuvre technique et poétique de Sokourov. Au loin le musée de l'Hermitage s'étire au bord d'un plan d'eau, comme un navire balloté par les eaux. Les tableaux d'Hubert Robert proviennent en effet de ce musée. L'Arche russe, autre parcours dans les collections de l'Hermitage, se termine par une plongée dans les eaux de la Neva qui semblent porter le musée, écrin protecteur de la mémoire russe à travers les déluges de l'histoire.

Élégie de la traversée (2001) est également raconté par un Narrateur.

Celui-ci a parfois un corps, toujours filmé de dos, mais il voyage mystérieusement d'un lieu à un autre, de la Russie vers l'Allemagne, de l'Allemagne vers les Pays-Bas. Parfois il semble voler comme un pur esprit ; parfois il se retrouve dans une automobile, assiste à un baptême ou enregistre les confessions d'un passant dans une station d'autoroute. Le parcours s'achève, longuement, dans un musée où le Narrateur contemple des tableaux hollandais. Franchissant les limites du temps et de la réalité, il entre dans le tableau, se souvient du peintre et raconte le monde peint comme s'il en venait lui-même.

Ici encore le narrateur est mu plus qu'il ne se meut, toujours sans effort et même sans maîtriser vraiment ce flux qui l'emporte.

L'Arche russe, autre film dans lequel on franchit sans cesse les parois du musée et celles du temps, est peut-être encore plus présente dans Élégie de la traversée que dans le film sur Hubert Robert : le Narrateur contemple l'art et, par la grâce du cinéma, s'affranchit de l'impératif de l'action pour retourner à un 18e siècle de pur fantasme.

Art du montage, artifice du cadrage : du premier au dernier instant l'écran est saturé d'une beauté permanente et mystérieuse, pour qui peut y être sensible.

Les deux films étaient projetés samedi après-midi au Jeu de Paume.

Publié par thbz le 14 novembre 2010

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