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octobre 28, 2000
28 octobre 2000 - Cinéma - (lien permanent)
Le tableau noir
Le tableau noir, c'est celui que portent des instituteurs à la recherche d'élèves dans les montagnes du Kurdistan. C'est un prétexte de scénario qui permet aux personnages de faire ce qu'adorent faire les personnages des films iraniens : rencontrer des gens au hasard des carrefours, les aborder et les harceler jusqu'à ce qu'ils acceptent de se confier et de raconter leur vie.
L'intérêt du film, comme dans un film à sketches, dépend de l'intérêt de ces rencontres, et des choix de mise en scène faits par la réalisatrice. Le début est très désagréable à regarder, parce que la caméra est portée à l'épaule, et l'image sautille dans les chemins caillouteux. Plus tard, par contre, certaines séquences laissent reposer la caméra et utilisent le relief ou les objets disponibles pour réaliser des plans saisissants, comme celui où le héros protège sa nouvelle famille des bombardements sous son tableau.
Ou alors ce sont les dialogues qui font vivre d'un seul coup des personnages restés jusque-là effacés ou mystérieux. Un enfant avoue que, oui, il aimerait bien apprendre à lire. L'instituteur, à qui un vieil homme a demandé de lire la lettre de son fils, invente le contenu parce qu'elle est écrite dans une langue qu'il ne connaît pas. La nouvelle femme de l'instituteur, qui ne lui a parlé que par onomatopées ou grognements depuis leur mariage, lui sort soudain une phrase cruelle qui semble sortir d'un poème : « Mon coeur est comme un train, à chaque station des passagers montent et d'autres descendent ; le seul qui reste toujours à bord, c'est mon fils ».
Le film, qui n'est pas inoubliable, vaut donc pour quelques belles scènes. Il vaut aussi pour l'atmosphère de guerre qui s'installe progressivement dans la montagne dont les beautés, célébrées au début, disparaissent de plus en plus souvent sous un brouillard métaphorique.
Publié par thbz (octobre 28, 2000) | Commentaires (0)
octobre 01, 2000
01 octobre 2000 - Asie - Cinéma - (lien permanent)
Suzhou River
Suzhou River évoque de nombreux autres films, comme Vertigo d'Hitchcock, comme les films noirs américains, comme Lettre pour L. de Romain Goupil. Puis-je, tout de même, parler un peu du film lui-même ? Suzhou River étourdit par son inventivité, sa justesse, son sens de la beauté des décors et des humains. Ce n'est pas la beauté des grands paysages et des édifices traditionnels de Tigres et dragons, mais celle du cadre lui-même et du mouvement de la caméra. Le vidéaste qui joue le rôle du narrateur filme au début des objets banals, et je ne sais quelle est cette chose qui s'en dégage, cette justesse du plan sur un mur que l'on retrouve chez Bresson.
C'est la réalisation qui donne de la beauté aux paysages et aux personnages. La méthode employée est celle de la caméra subjective, le caméraman étant aussi le narrateur. On voit donc la jeune fille à laquelle est consacrée tout le film dans des plans resserrés, dans des plans larges, dans des plans non orthodoxes. Bref, on la voit comme on la verrait dans la réalité si on était son amant. Cette technique introduit une intimité profonde avec les personnages et les décors par l'intermédiaire du regard.
Par exemple dans un immeuble désaffecté, la jeune fille kidnappée, croyant encore qu'il s'agit d'un jeu, tente d'enlacer le narrateur, c'est-à-dire la caméra, c'est-à-dire les spectateurs, c'est-à-dire moi ; il la repousse sur le divan ; une fois, deux fois, trois fois, et chaque fois son visage se rembrunit un peu plus. Tous les gros plans saisissent cette grâce de l'instant et de la présence. Dans Suzhou River, la beauté est touchante parce que c'est la caméra qui va la chercher.
L'utilisation de la caméra subjective permet de rapprocher les personnages des spectateurs et de transporter l'action autour de nous aussi efficacement que dans la version en relief du Crime était presque parfait, lorsque Grace Kelly étend le bras vers la caméra pour demander de l'aide aux spectateurs. Pour cela, il faut que le narrateur-caméraman soit le moins caractérisé possible. Ici on ne voit jamais son visage, on ne connaît pas son caractère ni son passé. Le spectateur peut donc combler ce vide tout naturellement, créer le narrateur à son image, et prendre sa place dans le réseau des personnages.
Le procédé n'est pas lassant parce que le point de vue change au tiers du film et devient objectif pour quelque temps. Tout cela se fait dans la continuité, et paraît parfaitement naturel. Là où Le projet Blair Witch ou Memento prenaient un principe de tournage original et l'exploitaient à fond pour en faire la source du plaisir du spectateur, Suzhou river n'utilise la caméra subjective et l'alternance des points de vue que pour faire partager au spectateur sa fascination pour la jeune fille.
Voici pour finir l'histoire, dont la compréhension complète demande deux visions du film, comme dans Pulp Fiction. Cette histoire est racontée en quatre phases. Dans la première, l'auteur raconte ses activités : il filme des mariages, des fêtes, ou tout autre célébration pour laquelle les clients le paient. Il entame aussi une liaison avec Mei-Mei, une jeune danseuse qui fait un spectacle aquatique dans un bar. Elle est romantique, mais pas vraiment amoureuse. Elle lui demande s'il serait prêt à la chercher toute sa vie si elle disparaissait, comme l'a fait un certain coursier nommé Mardar pour une autre femme.
L'homme songe à ce Mardar tout en regardant les gens dans la rue. Il y voit un coursier et une jeune fille avec des nattes. Il en fait les acteurs d'une biographie imaginaire de Mardar qui constitue la deuxième partie du film. Il y incorpore des faits qu'on lui a racontés, comme l'histoire d'un couple retrouvé mort au bord de la rivière. Le narrateur est omniscient dans cette partie. Mardar est embauché pour protéger la jeune fille, il change de camp et la kidnappe, l'aime, la perd, va en prison.
Le narrateur omniscient dit tout à coup que, à partir de maintenant, le point de vue passe à Mardar. Troisième partie du film. Mardar recherche la fille sans savoir si elle est encore vivante, et tombe sur Mei-Mei qui lui ressemble comme deux gouttes d'eau. On ne sait plus trop si cette histoire est réelle ou imaginée par le vidéaste du début.
Mardar disparaît pour rechercher Moudan, et le point de vue revient définitivement au vidéaste. Mardar retrouve Moudan, et meurt avec elle. Impossible de connaître les raisons : accidents ou double suicide à la japonaise ?
Les ressemblances avec Vertigo sont multiples, bien que le réalisateur affirme ne pas s'en être inspiré. Certaines sont dans les détails : les nattes ridicules de Moudan, aussi frappantes que le chignon de Kim Novak première version, et la robe verte de Mei-Mei, semblable à celle de Kim Novak deuxième version. La musique ressemble tellement à du Bernard Herrman que j'ai cru qu'il l'avait composée. Et l'histoire elle-même, bien sûr, reprend des éléments essentiels de Vertigo : une femme disparaît en tombant d'un pont (et non de la tour d'une mission espagnole), puis réapparaît sans qu'on sache si c'est vraiment la même. La confusion de l'homme est inversée. Dans Vertigo, l'homme croyait que la deuxième femme était un sosie de la première alors qu'il s'agissait de la même personne ; ici, il croit un temps que Mei-Mei est la même femme que Moudan alors qu'il s'agit d'un sosie.
Publié par thbz (octobre 01, 2000) | Commentaires (0)