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août 10, 2013
10 août 2013 - Italie - (lien permanent)
Maisons-tours et fermes-tours dans la campagne d'Ombrie
Comme on le voit à San Gimignano ou dans les peintures de Benedetto Bonfigli, les cités de Toscane et d'Ombrie, étaient, au Moyen-Âge, dominées par une multitude de tours qui leur donnaient certainement un aspect beaucoup moins doux qu'aujourd'hui.
Si on se promène sur les petites routes de la campagne ombrienne, on peut voir aussi, de temps en temps, en cherchant bien, une multitude de petites tours dominant des fermes isolées ou regroupées dans des bourgs.
Certaines font partie de petits châteaux isolés ou contribuent à la fortification de cités telles que Sant'Eraclio, près de Foligno :
... ou l'étonnant et pittoresque, avec ses deux rues intérieures très sombres, castello dell'Albornoz à San Giacomo près de Spolète :
D'autres tours, associées à de simples maisons, constituent des case torri (maisons-tours), très répandues aussi bien en ville qu'à la campagne.
Parmi celles-ci, beaucoup ont été conçues pour abriter des pigeons — mais ces torre colombaia sont bien différentes des pigeonniers à la française.
En France, les pigeonniers sont en général des constructions isolées au fond d'une cour, voire au milieu d'un champ. « Le colombier, explique Pons Augustin Alletz dans L'Agronome, ou dictionnaire portatif du cultivateur en 1767, doit être éloigné autant qu'on peut du manoir principal, & placé à quelque coin de basse-cour ».
Leur fonction impose certes certaines formes : une lucarne de petite taille, un rebord pour faciliter l'envol et empêcher l'escalade par les prédateurs — à moins que l'édifice ne soit tout simplement construit sur pilotis. Ces contraintes sont toutefois minimes et autorisent une certaine variété, voire une grande fantaisie, dans le choix de la forme générale de l'édifice comme de sa décoration. On peut ainsi s'amuser à collectionner des formes de pigeonniers comme autant de motifs plus ou moins arbitraires.
En Ombrie, au contraire, les torri colombaie, comme celles qui autrefois dominaient les villes, font partie des maisons. Elles transforment chaque ferme en une sorte de petit château, à tel point qu'il peut être difficile de séparer nettement les torri colombaie des maisons-tours ou des petits châteaux. Depuis la ferme isolée sur le flanc d'une montagne jusqu'au bourg fortifié, tous se parent de leur petite tour-pigeonnier.
La ferme traditionnelle prend ainsi une organisation toute en hauteur. Dans le cas typique, le rez-de-chaussée est consacré au stockage des produits de la ferme et un escalier extérieur mène au premier étage où habite la famille, le long d'un grand balcon. D'un côté ou de l'autre s'élève, indissociable, le pigeonnier massif à section carrée, sur trois ou quatre niveaux.
Ce cas typique, c'est celui qui est longuement décrit dans les livres qu'on trouve dans les bibliothèques de Pérouse, tels que ceux écrits par un Français, Henri Desplanques, dont l'ouvrage « Campagnes ombriennes » fait autorité.
Bien souvent, à vrai dire, on ne reconnaîtrait guère le pigeonnier s'il ne présentait ses attributs caractéristiques : une petite fenêtre pour permettre aux oiseaux d'entrer et de sortir, un rebord pour leur servir à s'envoler et surtout pour empêcher les prédateurs d'escalader le mur.
Parfois, le colombier est séparé de la maison, qui conserve tout de même des tours pour une fonction probablement défensive, ou simplement esthétique. Ainsi cette maison à Resina :
Ces torri colombaie, souvent construites entre le XIVe et le XVIIe siècles, avaient une fonction bien plus riche que les dortoirs à pigeons français.
En tant que pigeonniers, elles apportaient aux paysans ce que les pigeons de tous les pays ont toujours produit en abondance —, laissons aux historiens de l'agronomie le soin de décrire la contribution des pigeons, siècle après siècle, à l'enrichissement des terres agricoles.
En tant que tours, elles permettaient de surveiller les environs, avantage non négligeable à une époque où les cités passaient leur temps à se faire la guerre, lorsque les massacres n'opposaient pas les factions d'une même cité, voire les membres d'une même famille.
La troisième fonction est celle de toutes les tours du monde : exprimer, à leur échelle, le prestige, la réussite, la richesse de son propriétaire.
Un pigeonnier est ainsi construit sur une maison afin de faciliter sa défense. À l'inverse, une tour défensive construite dans un village est convertie en pigeonnier au XVIe ou au XVIIe siècle, lorsque les campagnes cessent d'être dévastées par les guerres.
C'est ainsi que les torri colombaie d'Ombrie, loin de la fantaisie des pigeonniers français presque libres de toute contrainte, sont inscrites dans l'histoire et la vie des campagnes d'Ombrie.
Mais l'utilité et la solidité ne s'opposent pas à l'élégance, ni même parfois à la décoration, authentique ou non.
Publié par thbz at août 10, 2013 | Commentaires (0)
août 09, 2013
09 août 2013 - Arts, architecture... - (lien permanent)
Hantaï de près
Ce tableau de Simon Hantaï, Peinture (écriture rose), est connu des amateurs d'art moderne français (l'adjectif pouvant qualifier aussi bien l'art que les amateurs). Elle est souvent exposée au cinquième étage du centre Pompidou, tout au fond du musée au-dessus de la rue Rambuteau. C'est actuellement l'une des pièces majeures de l'exposition consacrée à l'artiste dans le vaste espace du sixième étage.
Des milliers de gens, visiteurs de l'exposition, habitués du musée, critiques d'art, sont donc passés un jour ou l'autre devant ce tableau et se sont arrêtés, attirés par le plaisir un peu ludique du voyage dans une toile où il se passe tellement de choses.
Pourtant personne, sans doute, n'a vraiment vu tout ce que contient ce tableau.
Hantaï y a, dit-on, travaillé pendant une année entière. Outre quelques motifs plus ou moins identifiables (une croix à la Tapiès, une étoile à six branches réalisée au pochoir, des groupes de taches en forme de morilles ou de grappes de raisin, quelques lettres d'imprimerie parsemées ici et là, une énumération qui s'achève au nombre 365 en bas à gauche...), qui n'excèdent pas la capacité d'observation de l'amateur attentif, le peintre a couvert la toile de plusieurs couches de lignes très fines. Vu de très près, ces traits constituent une écriture, cursive au point d'être rarement lisible. Vu de plus loin — comme sur la mauvaise photographie qui précède —, ces entrelacs se fondent dans un arrière-plan coloré et riche de nuances.
Le travail de l'artiste est donc immédiatement visible par tout spectateur qui s'arrête ne serait-ce que quelques secondes devant le tableau, quelle que soit sa sensibilité à l'art (et les réactions inscrites sur le livre d'or, à la sortie de l'exposition, montrent bien que l'art de Hantaï demeure difficile).
Mais la complexité du tableau, ou plutôt le nombre de traits qui le composent, est telle que, même en restant sur place pendant une heure ou toute une journée, on ne pourra voir qu'une petite partie du tableau. Pour le voir entièrement, peut-être faudrait-il une année, c'est à dire le temps qui a été nécessaire au peintre pour le réaliser.
On peut donc raisonnablement affirmer que personne, sauf le peintre (en supposant que celui-ci n'a pas eu recours à des assistants), n'a jamais vu entièrement cette œuvre qui a pourtant tellement été regardée.
Et par conséquent, chaque spectateur peut y voir un détail que personne d'autre, jamais, n'a vu avant lui.
Je déchiffre ainsi le mot « et », quelque part vers la droite. Il se distingue assez bien du fond calligraphié, à hauteur d'enfant : je ne suis donc certainement pas le premier à l'avoir remarqué.
Mais il est possible que je sois le premier à vraiment regarder, quelques centimètres plus bas, un certain T renversé ; et qui pourrait bien avoir vu, avant moi, encore un peu plus bas, ces deux vaguelettes rose et noire entremêlées, à peine visibles sur cette photographie comme dans la réalité ?
Dans ce « chef-d'œuvre de la deuxième moitié du XXe siècle », chaque spectateur attentif découvre donc très certainement, comme un explorateur dans une contrée vierge au 19e siècle (ou comme le promeneur qui observe un brin d'herbe), ce qu'aucun autre de ses semblables n'a jamais vu — ce que le peintre lui-même a probablement oublié le jour même où il l'a tracé.
Publié par thbz at août 09, 2013 | Commentaires (2)
août 08, 2013
08 août 2013 - France - (lien permanent)
Manessier à Locronan
« Vous devez aller à Locronan ». « Locronan, magnifique. » « Locronan est incontournable, on y a tourné plusieurs films. C'est très touristique, bien sûr, mais il faut y être allé. »
Donc nous sommes allés à Locronan. Pas une pierre n'y manque. Les ateliers d'artisans et d'artistes occupent les rez-de-chaussée. Difficile de se représenter l'animation qui a du être celle de ce village où l'on construisait des toiles il y a cinq cents ans.
Comme les cités d'Italie centrale, Locronan a connu la prospérité il y a très longtemps et n'a guère changé depuis. Il en reste un beau patrimoine.
À l'écart du centre, toutefois, en bas à gauche d'une rue en pente, la chapelle Notre-Dame-de-Bon-Secours accueille des vitraux de Manessier.
Dans cette pièce dénudée, les couleurs tiennent lieu d'ornement.
Plus d'explications : Les vitraux de Manessier, chapelle de Bonne-Nouvelle à Locronan (blog lavieb-aile).
Publié par thbz at août 08, 2013 | Commentaires (0)
août 01, 2013
01 août 2013 - Italie - (lien permanent)
Motifs du paysage ombrien
La courbe des collines
La courbe régulière des collines ajoute des pans successifs au paysage. Sur chaque pente se détache une ou deux maisons de couleur claire, repères pour l’organisation du paysage. Les champs sont, ou étaient à la grande époque de la métairie, organisés autour d’elles.
La courbe des routes
La courbe des routes, comme dans un tableau, invite à la contemplation car elle encourage à suivre le chemin proposé par les courbes successives des collines. L’arbre proche, le champ d’oliviers auquel mène le chemin de terre, la maison à mi-distance et, au-delà, les montagnes de l’Ombrie sont, tous, également intéressants et ont la même valeur dans le paysage.
Les cyprès
Les cyprès assurent la ponctuation : alignés, ils soulignent la route qui mène à la maison ; isolés, ils se dressent sur la crête de la colline, entre le champ et le ciel. Associés aux maisons, géométriques au plus haut point, les cyprès sont la plante la plus caractéristique de cette région et celle qui manifeste au plus haut point la nature humaine de ces paysages. Forme reconnaissable, un seul cyprès attire le regard autant qu’un bois tout entier, comme les tours qui autrefois animaient le paysage urbain et même rural de l’Ombrie et de la Toscane.
Les champs et les bois
À l’opposé, les champs et les bois remplissent l’espace, mais jamais sur une très grande superficie. Sur chaque pan de colline les champs dessinent une marqueterie de cultures, séparées par des allées sableuses ou des haies. Parfois toutefois, entre Sienne et Chiusi, le paysage se réduit à un champ doré, le ciel et, entre les deux, un arbre ou une maison.
Les oliviers
Les oliviers sont à la fois une ponctuation qui souligne et un motif qui remplit. Plantés assez loin les uns des autres, ils laissent voir la couleur de la terre. Leur feuillage épars ne parvient pas à protéger du soleil le promeneur ou le voyageur. Ils séduisent par leurs alignements réguliers qui épousent et mettent en valeur les formes des collines, mais expriment dans leurs formes tourmentées et rugueuses une certaine dureté du climat.
Les routes, sinueuses, passent entre les parcelles et, souvent, exhalent un nuage de sable au passage d’une voiture. Pour un peu elles paraîtraient plus naturelles que les cyprès qui les bordent ou les oliviers qui décorent les champs, parfaits et interchangeables comme des objets manufacturés, alors que les maisons posées ça et là prennent la couleur de la terre. Nature humanisée et constructions naturalisées pourraient définir ces paysages.
Le ciel et l'horizon
Le ciel est-il vraiment plus beau qu'ailleurs dans cette région ? Ou n'est-ce pas l'horizon qui est plus harmonieux ?
Publié par thbz at août 01, 2013 | Commentaires (0)