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septembre 28, 2014

28 septembre 2014 - Corée - (lien permanent)

Banderoles et protestations

À Séoul, les graffitis sont rares (il y a des exceptions). Cela ne signifie pas que les gens ne s'expriment pas. Un peu partout, des banderoles tendues entre deux arbres ou entre deux piquets, en gros caractères, transmettent au plus grand nombre un message clair.

Comme elles sont toutes imprimées avec soin, l'étranger ne peut comprendre, à moins de savoir les déchiffrer, si ces banderoles proviennent des pouvoirs publics qui informent ou ordonnent, d'une association qui invite à une fête ou qui critique le pouvoir.

Si le projet de vente par lot se réalise, notre patrimoine part en fumée.(1)

Les quatre banderoles qui suivent sont situées à quelques mètres les unes des autres, dans un grand carrefour.

Hausse vertigineuse des taxes sur le tabac, de la taxe de résidence, de la taxe sur les véhicules : pas d'accord avec l'accroissement des impôts sur les citoyens ! NPAD (principal parti d'opposition, centre-gauche)
Amenez vos familles au mouvement Saemul !(2)
Premier festival d'art et de culture pour les jeunes de Mapo(3)
Rencontres musicales de Yanghwajin

Les trois bandeaux suivants sont affichés dans un quartier résidentiel.

Informations sur la fermeture temporaire, pour cause de travaux, de l'escalator de la sortie 8 de la station de métro Hapjeong
Mise en place expérimentale des stations de recyclage des déchets résidentiels
Zone de sécurité pour les femmes. Zone de patrouilles spéciales de la police pour améliorer la sécurité (?)

Enfin, les deux dernières banderoles sont installées à l'entrée d'un grand centre commercial (dont les allées, exposées à la pluie, sont largement ventilées).

Un salaire d'un million de wons (750 euros) par mois avec 10 ans d'ancienneté ? Une hausse du salaire horaire de 200 wons (15 centimes) ? N'allez pas dans le néfaste commerce Home Plus !
Information sur la signalisation des fumeurs. Fumer dans une zone interdite est un acte immoral car cela nuit à la santé des autres personnes. Toute signalisation est bienvenue.

(1) Plainte, semble-t-il, de certains propriétaires qui s'estiment lésés par les modalités d'un projet de reconstruction du quartier.

(2) Mapo est le nom de l'arrondissement.

(3) Traduction incertaine ; le mouvement Saemul, ou « Nouvelle communité », lancé dans les années 1960, promeut la coopération au sein de la communauté.

Publié par thbz at septembre 28, 2014 | Commentaires (0)


septembre 24, 2014

24 septembre 2014 - Corée - (lien permanent)

Piketty en Corée

C'est un livre d'un économiste français qui, remarqué lors de sa sortie en France, est assez vite sorti de l'actualité, avant que son succès énorme aux États-Unis fasse à nouveau parler de lui au printemps dans les magazines français : « Le Capital au 21e siècle ».

Ça y est, la « Piketty Panic » (le terme figure sur la jaquette) arrive en Corée.

Piketty, dont le passage à Séoul a été très remarqué il y a quelques jours, connaît en Corée le même succès massif qu'aux États-Unis et suscite les mêmes réactions. Peut-être bénéficie-t-il ici de la coïncidence avec le passage le mois dernier du pape François, dont le discours contre les inégalités a déjà suscité beaucoup de commentaires.

Les publicités récupèrent les épithètes venues d'Amérique : syndrome Piquetty, Bigger than Marx... et le livre, comme aux États-Unis, est classé en première place des ventes selon l'un des principaux libraires en ligne, dépassant le dernier Murakami.

Bref, c'est le livre qu'il faut lire en ce moment si on a la prétention de participer au débat public.

Il a été traduit non pas du français, mais de l'anglais, à la suite au succès phénoménal du livre aux États-Unis. On constate ainsi, en feuilletant le volume dans la librairie, que la formulation d'origine pour les termes techniques est donnée en anglais et non en français.

Quant à moi, j'en suis à la page 89 de l'édition française, achetée au moment de sa sortie mais dont je viens seulement d'entamer la lecture. Il commence par critiquer l'abus des mathématiques en économie — justement l'une des raisons pour lesquelles, après avoir passé trois ans dans un temple de la mathématique économique, je me suis écarté de cette religion. Bien.

Publié par thbz at septembre 24, 2014 | Commentaires (0)


septembre 21, 2014

21 septembre 2014 - Corée - (lien permanent)

Seonyu-do, ou que faire avec une station d'épuration ?

Lorsqu'un site industriel désaffecté est reconverti en parc, peut-on parler de gentrification ?

Lorsque des personnes aisées viennent habiter un quartier de ruelles et vieilles maisons habitées par des ouvriers ou artisans, c'est le « charme » du quartier qui les attire : elles essaient de le préserver tout en rénovant les logements. À terme, le quartier devient en fait bourgeois, « gentrifié », et ne conserve du passé que certains signes.

Une fiche industrielle transformée en parc ne conduit certes pas à une transformation sociologique du lieu, quoique la mutation peut rendre les quartiers environnants plus attractifs. Mais les pouvoirs publics cherchent de plus en plus à préserver au moins le souvenir de la fonction industrielle : ils réutiliseront donc certains bâtiments ou infrastructures tout en les transformant. De même que les bobos métamorphosent les hangars insalubres en lofts lumineux dans les quartiers en cours de gentrification, les vestiges industriels intégrés dans un parc sont nettoyés et débarrassés de tout danger potentiel.

L'île Seonyu (Seonyu-do), à Séoul, est un exemple particulièrement réussi de site industriel reconverti (« recyclé », disent les sites officiels) en parc.

Agréable lieu de promenade dans les temps anciens, Seonyu-do, comme le reste du pays, a été mis au service du développement économique dans les années 1960. Enjambée par une voie express dès 1965, l'île a été occupée à partir de 1978 par une vaste usine d'épuration des eaux.

L'usine est fermée en 2000 et, deux ans plus tard, ouvre le parc de Seonyu-do sur une superficie de 11 hectares.


Photo : Ville de Séoul

Les fonctions anciennes de la station d'épuration ne sont pas seulement rappelées par le musée construit à l'entrée et par les panneaux d'information disséminés à travers le parc : les principales infrastructures ont été conservées et constituent l'ossature même de celui-ci. Elles deviennent des signes, mais ne se réduisent pas à cela : leur fonction ancienne (épuration des eaux) a été remplacée par une fonction nouvelle (parc public).

Le parc, comme plusieurs parcs modernes parisiens (la Villette, jardin Atlantique...), est divisé en petits jardins thématiques, alternant grandes perspectives et coins reculés. Il utilise pour cela les bassins et galeries de l'ancienne usine d'épuration des eaux.

Des bassins de décantation sont transformés en un jardin botanique aquatique.

Plus loin, le « jardin du temps » peut être parcouru soit au niveau du sol, soit en empruntant les anciennes galeries de circulation surélevées.

Alors que, dans le parc de Bercy, de simples rails rappellent l'utilisation ancienne du site, le « recyclage » des infrastructures est ici beaucoup plus systématique.

Des cuves sont harmonieusement intégrés dans le parc.

Dans un ancien bassin circulaire, des gros tubes sont transformés en toboggan et couloir d'exploration pour les enfants...

... tandis qu'un autre bassin circulaire devient un théâtre de plein air...

... et qu'une ancienne machine est exposée comme une pièce de musée.

L'extrémité de l'île, inaccessible, constitue sans doute une réserve biologique.

Enfin une chose qu'on n'imaginerait pas en France : un piano installé dans un espace public ouvert 24 heures sur 24 et non surveillé. Et il fonctionne.

Seon-yu est située dans la partie ouest de Séoul, à proximité du quartier d'affaires de Yeoui-do, qui lui-même a remplacé un ancien aéroport.


Publié par thbz at septembre 21, 2014 | Commentaires (1)


septembre 15, 2014

15 septembre 2014 - Corée - (lien permanent)

Reconstruction

L'un des moteurs de l'évolution urbaine de Séoul est constitué par les projets de reconstruction.

Car après avoir construit de plus en plus loin autour de Séoul, la fièvre constructrice touche à présent les quartiers existants en pleine ville.

La puissance publique peut décider de la rénovation d'un quartier entier. Mais ce sont souvent les propriétaires d'un quartier eux-mêmes qui se réunissent en syndicat pour décider la reconstruction du quartier. Tout est réglementé : le pourcentage des propriétaires qui doivent donner leur accord, l'âge en deçà duquel les bâtiments ne peuvent être détruits, la nécessité dans certains cas de faire constater par la puissance publique l'état de dégradation avancé pour avoir le droit de démolir et reconstruire... Ainsi reconstruit-on des ensembles construits il y a trente ou quarante ans à peine, mais déjà dégradés par manque d'entretien.

Voici ainsi deux projets qui apparaissent au fil des promenades dans l'arrondissement de Mapo et devraient progresser au cours des mois à venir. Mapo est un arrondissement pas tout à fait central, mais pas vraiment éloigné non plus. De toute manière, il est impossible d'être au centre de Séoul puisque Séoul a plusieurs centres.

Le projet Mangwon secteur 1, tout près de la rivière Han, n'en est encore qu'à ses débuts. Aucune maison n'a encore été détruite et le quartier est, manifestement, toujours habité. Un syndicat de propriétaires a été instauré, il a sélectionné un entrepreneur, Hyundai, préféré à son concurrent SK E&C. Mais en passant dans le quartier, on constate — drapeaux rouges accrochés aux fenêtres, affiches collées sur les murs s'ajoutant aux banderoles d'information étendues au-dessus des rues par les autorités — que de nombreux propriétaires (et/ou résidents ?) protestent avec les options retenues ; il s'agit semble-t-il d'un désaccord sur les modalités de répartition des charges et bénéfices, mais pas d'un attachement au quartier existant, dont la trame traditionnelle sera remplacé par celle d'un grand ensemble standardisé.

Le projet Hapjeong secteurs 2 et 3, lui, a déjà bien avancé. Confié à Daewoo Engineering & Construction, il est situé à côté de la station de métro Hapjeong, dans l'arrondissement de Mapo.

Le quartier, proche de l'université Hongik, est à la mode. De l'autre côté de la rue, les rues anciennes ont déjà été remplacées par un centre commercial impeccable, surmonté de quatre tours.

On peut voir sur les systèmes de cartographie en ligne que le site présentait encore il y a peu l'aspect traditionnel que l'on retrouve toujours dans les quartiers voisins : rues, impasses, bâtiments de petite taille, maisons individuelles, petits commerces, stationnement un peu anarchique (octobre 2010 — lien dynamique) :

En mai 2012, tout avait disparu (lien dynamique ; au fond, les tours du centre commercial ont poussé dans l'intervalle) :

Dans quelques années, l'ensemble devrait ressembler à cela, avec des tours de 36 et 37 étages :


Cette image est très publicitaire : pour mettre en valeur l'une des deux parcelles, elle n'hésite pas à rendre transparentes les tours situées sur l'autre parcelle. Elle adopte aussi un point de vue qui met en valeur la vue en direction de la rivière Han tandis que les tours, plus prestigieuses, du centre commercial s'évaporent dans une sorte de brume en bas à gauche. Enfin, les deux tours d'une trentaine d'étages qui se trouvent derrière sont quasiment escamotées.

Aujourd'hui, les tours ne sont pas encore sorties de terre dans la parcelle située à l'est (secteur 2), malgré une date de fin de chantier fixée au 30 juillet 2016.

Dans le secteur 3, en revanche, dont les travaux doivent s'achever fin mars 2015, les tours rivalisent déjà avec celles du centre commercial, au moins pour ce qui concerne la hauteur :


Elles ont pris deux ou trois étages au cours des quatre dernières semaines et le gros oeuvre doit être pratiquement terminé à présent.

Le chantier fait l'objet d'une communication importante par affichage dans la rue. J'ignore s'il y a eu des procédures de « concertation » telles que celles qui sont appliquées (souvent symboliquement) en France.

Les palissades du chantier sont ainsi couvertes d'inscriptions évoquant les richesses de l'arrondissement de Mapo et de la ville de Séoul : rivière Han, pavillon ancien de Mangwonjeong (reconstruit en 1989)... On retrouve, sur d'autres chantiers à travers l'arrondissement, les mêmes inscriptions qui relient le projet aux origines historiques et naturelles du quartier, sans mentionner les quartiers traditionnels qui ont été détruits.

Sur les palissades, mais aussi dans les rues environnantes, de grandes banderoles demandent pardon aux habitants pour les désagréments causés par le chantier, concernant tout particulièrement l'indisponibilité de la sortie 8 de la station Hapjeong. Dans une ville où une avenue moyenne compte deux fois quatre voies, il est pénible de devoir en traverser une pour rejoindre le métro.


Sous une présentation de Haechi, animal mythologique choisi comme logo par la ville de Séoul, la banderole annonce la réalisation de travaux sur les réseaux souterrains.

Le nouveau quartier sera un grand ensemble, c'est à dire un mode d'habitation qui regroupe déjà à peu près la moitié des Coréens. Il se distinguera par sa hauteur, supérieure à la majorité des projets sans être toutefois exceptionnelle. La proximité de la station de métro et la vogue dont bénéficie le quartier justifient l'ambition du projet ; on peut prévoir que le prix des appartements sera élevé.

Au pied des tours, des espaces commerciaux et, je suppose, des bureaux, serpenteront sur quelques étages au milieu d'espaces verts.

Publié par thbz at septembre 15, 2014 | Commentaires (1)


septembre 08, 2014

08 septembre 2014 - Corée - (lien permanent)

Chuseok au cimetière

En Corée, lors de la fête de Chuseok, qui a lieu cette année lors de la pleine lune du 8 septembre mais couvre également les jours précédents et suivants, la famille se retrouve en principe au cimetière pour procéder à un rite de salutation et d'offrande aux ancêtres.

Ici, le cimetière est 신세계공원묘지, « Cimetière du parc du Nouveau monde », au nord de Séoul. Il occupe les flancs d'une montagne en forme de cuvette. On est à vingt kilomètres de la Corée du Nord.

Les règles du feng shui (pung su en coréen) sont appliquées en Corée, ou du moins l'étaient autrefois par ceux qui en avaient les moyens, pour choisir l'emplacement des maisons des morts comme de celles des vivants, mais selon des règles différentes. Ainsi les tombes ne sont-elles pas installées dans la vallée comme les habitations, mais sur les pentes comme les temples. Elles sont adossées à une montagne située au nord et protégées à l'ouest et à l'est par des crêtes ou sommets secondaires. Par derrière s'étendent d'autres sommets, d'autres vallées qui permettent aux flux d'énergie de parvenir, comme les ondulations d'un dragon, jusqu'aux tombes.

Un Occidental aura du mal à percevoir cette énergie, mais ces règles ont en tout cas pour effet de produire un paysage splendide depuis le sol : la forme de cuvette permet d'avoir une vision d'ensemble du cimetière, où que l'on se tienne. Sur un vaste espace, presque à perte de vue puisque le site est clos par la montagne, s'étendent une multitude de terrasses soutenues par des murets de pierre.

Pour accéder aux tombes, on circule en voiture sur des routes tortueuses, puis on emprunte à pied un chemin mal dessiné et incommode. Amusement pour les enfants, épreuve pour les personnes âgées.

La plupart des tombes conservent l'aspect traditionnel : un dôme de terre couvert d'herbe, parfois posé sur un petit socle de pierre, identifié par une pierre levée et précédé par une table basse en pierre. Seule une croix indique parfois la religion.

La table de pierre sert à présenter les offrandes aux ancêtres.

La nourriture, préparée la veille, est disposée sur la table basse : poisson séché, galettes de légumes, de viande ou de poisson, gâteaux de riz (songpyeon), fruits...

Les membres de la famille se prosternent deux fois de suite devant la tombe (jeol). Puis ils passent l'un après l'autre devant la table aux offrandes. Le fils aîné tend à chacun un verre de makgeolli, alcool de riz à l'apparence laiteuse, que l'on fait tourner deux fois autour d'un bâtonnet d'encens planté dans une coupelle avant de le vider sur les tombes. Il faut ensuite prendre les baguettes, les faire passer sur chaque plat comme pour servir la nourriture aux ancêtres, avant de les planter dans la nourriture. On ne plante les baguettes dans la nourriture qu'avec les morts ; avec les vivants, on les pose sur la table ou par-dessus le bol de riz.

Après avoir attendu un moment pour laisser aux ancêtres le temps de s'approprier la nourriture, les membres de la famille se partageront les plats préparés ainsi que le makgeolli, assis à côté des tombes sur des matelas de pique-nique.

Une nouvelle prosternation et une nouvelle offrande de makgeolli auront lieu avant le départ.


Quelles différences avec les cérémonies encore pratiquées plus ou moins en France ?

La réunion autour des tombes des ancêtres fait penser à Toussaint. Dans les deux cas, la réunion à date fixe permet de voir certains membres de la famille. On se contente toutefois, en France, d'un instant de recueillement, éventuellement d'une prière. Les ancêtres ne font l'objet d'aucun culte, car tout vient du Dieu absolu.

Une offrande de nourriture serait, en France, particulièrement incongrue ; la nourriture paraît absente des cérémonies religieuses françaises en tant que telle, sauf sous la forme étrange et très symbolique de l'Eucharistie. Pourtant, les morts conservent bien une forme d'existence associée à une présence dans le lieu où ils sont enterrés, qui va au-delà de leurs restes physiques, puisqu'on juge approprié de décorer le lieu où ils demeurent par des fleurs et des plaques commémoratives. Même si, in fine, tout rite relatif aux morts peut sans doute s'analyser comme un processus de cohésion ou de deuil destiné aux vivants eux-mêmes.

Mais en Corée comme en France, l'éloignement des familles et la sécularisation des modes de vie réduit la participation aux rites.

Publié par thbz at septembre 08, 2014 | Commentaires (0)


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