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mars 29, 2009
29 mars 2009 - Cinéma - (lien permanent)
La sonate de Tokyo
Tokyo Sonata est un film passionnant. (Toutes les semaines ou presque depuis deux mois, sort sur les écrans un film très réussi : Gran Torino, Slumdog Millionaire, The Wrestler, Harvey Milk, The Chaser, tous se caractérisent non par l'humour ni par l'esthétique, mais par une histoire excellemment racontée, qui accroche le spectateur aux faits et aux personnages. En un mot, des films passionnants.)
Tokyo Sonata, de Kiyoshi Kurosawa, a des beautés multiples. Film intimiste, qui parle d'une famille en difficulté, animé par une tension et occasionnellement un excès qui font oublier son appartenance à un genre dont il écarte les limites. Thriller grotesque, aussi, à l'occasion. Film d'émotions, que le réalisateur maîtrise parfaitement. Film romantique, fugitivement. Romanesque, certainement.
Film social, qui capte l'état d'une société à travers celui d'une famille : de la crise du modèle japonais de l'emploi à vie à la remise en cause du pacifisme hérité de 1945, au rejet des autorités familiales ou scolaires discréditées, le sol semble glisser sous les pieds. Un personnage attend avec espoir l'arrivée d'un grand tremblement de terre qui balaiera tout. Les autres se demandent s'il est encore temps de tout reprendre à zéro.
Film musical. La musique au cinéma, c'est la multiplication d'une émotion par une autre. Lorsque le film propose, dans sa dernière scène, une représentation du « Clair de lune » de Debussy, la qualité, très grande, de l'interprétation suffirait en elle-même à nous toucher ; mais cette interprétation se charge en plus de l'attachement que le même film nous a donné pour le jeune pianiste, pour son père et sa mère, pour sa famille dont les chemins se rejoignent à ce moment précis. Ces connotations se cristallisent d'autant mieux autour du morceau de musique qu'on n'a pas, jusque-là, entendu jouer l'enfant qu'on nous présentait comme un prodige. Dès lors le moment est exceptionnel, nous le sentons bien et la mise en scène nous le confirme : afflux de curieux vers la salle où joue cet enfant avec un art si adulte, jeux de regard de tous les personnages vers la famille qui quitte la salle à pas lent. Toute une célébration de l'instant nous conforte dans notre émotion.
La résolution des tensions, dans une forme esthétiquement superbe, a un effet hautement satisfaisant pour notre esprit.
Avant ce second point culminant, on a eu un film narratif, dont le premier point culminant a été une course de chacun des trois personnages, filmée plus ou moins en travelling, en montage alterné. À ce moment le père, la mère, le jeune fils quittent tous les trois l'espace confiné de la maison, dérivent à l'extérieur, sur un parking, dans un centre commercial, au bord de la mer, le nez dans les détritus, emprisonné, couchée avec un inconnu.
Jusque-là l'esthétique du film a été discrète. Certains critiques ou cinéphiles évoquent Ozu parce que tout film montrant des intérieurs japonais en plan frontal s'inspirerait forcément d'Ozu. Il est vrai que les personnages rappellent également Ozu. J'y ai aussi vu Mondrian : par le découpage de l'espace en compartiments rectangulaires, horizontaux et verticaux, séparés par des montants de portes, des barreaux de fenêtres, des étagères de bibliothèques, des tables. Au bout d'une demie-heure de film, une reproduction de Mondrian aperçue l'espace d'une seconde sur un mur a semblé confirmer cette hypothèse.
C'est cet espace ordonné qui éclate lorsque la famille se désintègre.
Jusqu'à ce que tout s'assemble à nouveau dans l'harmonie d'une sonate finale.
(Libération a rédigé une belle critique de Tokyo Sonata. (Naruse, en effet, je n'y avais pas pensé...))
Publié par thbz at mars 29, 2009 | Commentaires (5)