Thèmes

Rechercher

« août 2007 | Accueil | octobre 2007 »

septembre 26, 2007

26 septembre 2007 - Corée - (lien permanent)

Elèvement du véhicule

M. KA a remarqué à Séoul un panneau identique à celui-ci, coquille comprise :

Or il a omis d'expliquer pourquoi on trouvait à Séoul des panneaux écrits en français. Je me chargerai donc de dire pourquoi les autorités locales se préoccupent à ce point de l'automobiliste francophone.

Il faut savoir qu'à Séoul les étrangers non asiatiques sont plutôt rares. Une bonne partie d'entre eux se regroupent, toutes nationalités confondues, dans le quartier d'Itaewon, sur la rive droite du Han. Ils y fréquentent ensemble des bars, des boîtes de nuit, des boutiques. Ils peuvent même éviter de rencontrer les Coréens : j'ai vu une publicité pour un ensemble résidentiel "for foreigners only", ce qui laisse pantois.

Une de ces nationalités bénéficie d'un quartier à elle : le "French Village" sur la rive gauche du Han, loin d'Itaewon. Après avoir déjeuné à la Trouvaille (un restaurant), on peut prendre un café à l'Après-Midi (un bar). L'axe principal est la rue Montmartre. C'est dans ce quartier que les panneaux, les enseignes et même les pancartes de bus sont traduits dans notre langue sans égale :

Quelle est l'origine de ce quartier ? Comme souvent à Séoul, c'est l'emplacement et la réputation d'une école qui a déterminé le choix du logement pour les parents. En 1985 une école française a ouvert dans le quartier : il n'en fallait pas plus pour attirer les expatriés français.

Quant à la coquille sur le panneau, disons que les Coréens aiment bien les fruits de mer... Ils les cuisent sur le barbecue au milieu de la table comme les lamelles de bœuf du bulgogi, jusqu'à ce que la coquille s'entr'ouvre : c'est délicieux et très convivial.

Publié par thbz at septembre 26, 2007 | Commentaires (5)


septembre 24, 2007

24 septembre 2007 - Corée - (lien permanent)

Le roi et les chamans

Au large de la plage de Bonggil, le roi Munmul s'est fait ensevelir sous l'eau afin de continuer après sa mort à protéger le pays contre ses envahisseurs. Dans cette région du sud-est de la Corée, les envahisseurs ne viennent pas de la terre mais de la mer, celle que l'on appelle ici mer de l'Est et non mer du Japon.

Il est cinq heures du soir, le soleil commence à baisser sur l'horizon. Les touristes ne sont pas nombreux en cette fin de septembre. Un groupe d'enfants débarque d'un bus. Ils portent l'uniforme des écoliers en voyage scolaire. Depuis le matin ils ont enchaîné visite de temple sur visite de temple et ils viennent à présent se détendre face aux rochers qui abritent les restes du vieux roi. Peu à peu ils s'enhardissent, ôtent leurs chaussures et trempent les pieds dans l'eau. Ils rient, se bousculent un peu, pataugent dans les vagues; certains garçons tombent dans l'eau et se relèvent en riant, trempés ; ils en redemandent.

Sur le front de mer, des restaurants de poisson ; devant les restaurants, des aquariums. Le patron vient jeter dans le bac un peu de nourriture et l'eau se met à bouillonner : les poissons se jettent sur les miettes. À l'intérieur du restaurant, des clients assis en tailleur mangent en regardant vaguement la télévision. On dîne à toute heure en Corée. Des tentes blanches plantées au bord du sable masquent un peu les rochers du roi Munmu.

Les enfants du coin jouent tranquillement sur leurs vélos, boivent un jus de fruit, taquinent le chien. Ils jettent un coup d'oeil sur l'étranger qui prend un verre avec son amie, mais ne lui adressent pas des « Hello » retentissants comme les gosses des voyages scolaires. Il fait assez chaud, le temps est agréable. Quelques mouettes survolent la plage.

Depuis le début de la scène, un son de tambour s'élève de l'une des tentes blanches sur la plage. À l'intérieur, une dame en costume traditionnel est assise devant une table richement chargée : des guirlandes, des fruits, une tête de porc avec une liasse de billets dans la gueule. Elle regarde l'Océan Pacifique en psalmodiant. À côté d'elle se tient une autre femme, attentive à chacun de ses gestes.

Sur la plage, une autre femme revêt le hanbok tout en luttant contre le vent. Puis elle invoque les esprits du lieu. Le chamanisme n'est pas vraiment une religion : les pratiques magiques peuvent se combiner avec toute religion qui ne prétend pas que ses dogmes épuisent le champ du surnaturel. En Corée, les temples bouddhistes consacrent une pavillon aux esprits de la montagne, pas très loin de la salle du Grand Bouddha.

La dame sur la plage trépigne ; sa cliente, en vêtements gris, la suit et l'observe. Elle lui a posé une question ou demandé une faveur ; elle attend la réponse.

Frappés par les rayons du soleil couchant, les rochers du roi Munmu resplendissent sur le fond sombre de l'Océan. La plage est déjà dans l'ombre de la montagne. Derrière les tentes, des voitures Hyundai, un arrêt de bus, une poubelle à trois conteneurs pour le tri des déchets. Le bus scolaire est reparti. Personne ne fait vraiment attention aux dames qui chantent et entrent en transes sur la plage.


Publié par thbz at septembre 24, 2007 | Commentaires (6)


septembre 18, 2007

18 septembre 2007 - Corée - (lien permanent)

Génération chaebols

En France, nous connaissons les principaux chaebols, grandes entreprises coréennes, pour un ou deux de leurs produits : l'électronique pour Samsung (prononcez Samsong), les voitures pour Hyundai (prononcez Hyondé) et Daewoo, les téléphones portables pour LG... On sait moins que ces entreprises sont en fait de vastes conglomérats qui, toujours contrôlés par la famille fondatrice, interviennent dans les champs d'activité les plus divers : construction, industrie lourde, culture, loisirs...

À tel point qu'on pourrait passer toute une vie en Corée en ne consommant et en n'utilisant que des produits de chaebols. Tiens par exemple, regardons un peu ce bébé qui vient de naître au Samsung Medical Center, un grand hôpital des beaux quartiers de Séoul.

L'enfant se porte bien et ses parents aussi. Il le ramènent dans leur voiture Hyundai, en s'arrêtant au passage dans une station-service Hyundai. Ils habitent dans les Hyundai ap'at'u, un grand ensemble de 40 barres construit par la firme à Apgujeong, l'un des quartiers les plus huppés de la capitale. Il est bien pratique, ce quartier : on peut aller au lycée Hyundai en passant devant le grand magasin Hyundai.

Le jeune garçon passe ses loisirs devant un téléviseur Samsung et un magnétoscope Daewoo. Il mange le riz que sa mère prépare dans une cuiseuse Samsung et le kimchi qu'elle stocke dans un réfrigérateur Samsung. Il raffole des sucreries Lotte et des parcs d'attraction gérés par le chaebol du même nom. Étudiant dans une université sponsorisée par Samsung, il est fan de base-ball : il soutient l'équipe des Samsung Lions, qu'il préfère aux Hyundai Unicorns et aux Kia Tigers; il aime bien aussi les LG Twins, les SK Wyverns et les Lotte Giants.


Lotte fait aussi des cinémas

Il apprend un jour que le fondateur de Lotte a donné à sa compagnie le nom de la jeune femme aimée en vain par Werther dans le roman de Goethe. Il devient d'ailleurs ingénieur pour la compagnie de chimie lourde Lotte. Il utilise une carte Lotte pour payer aussi bien dans le métro et le bus que dans les grands magasins Lotte.

Il aime aussi visiter le musée de la société Kumho, société dont il utilise souvent les autocars pour voyager en province, ainsi que le musée Samsung, qui possède l'une des plus belles collections de Séoul aussi bien en art traditionnel coréen qu'en art contemporain international. Il se marie dans le Sam Sung wedding hall. D'accord, j'exagère un peu, ce grand immeuble kitsch dans lequel on peut procéder aussi bien à la cérémonie qu'au repas de noce n'a rien à voir avec le chaebol...

Quoi qu'il en soit, il emménage avec son épouse dans un autre grand ensemble d'immeubles, celui de Samsung sur la rive droite du Han, à Séoul. Il fait installer des panneaux coulissants LG et, comme la plupart des habitants de l'immeuble, un climatiseur LG. Il a tapissé les murs de son appartement de papier collant LG et sa femme nettoie ses bols avec des éponges LG. Curieusement, il a un téléphone portable Samsung. Il joue en Bourse avec Daewoo Securities.

Et enfin, à la fin d'une vie bien remplie, c'est à l'hôpital Hyundai qu'il finira ses jours.

J'exagère ? Tous les produits ou établissements décrits ici existent. La seule chose irréaliste, c'est qu'ils existent aujourd'hui. Or la Corée va vite (ppali ppali, comme on dit ici), ses firmes quittent un domaine, entrent dans un nouveau champ d'activité, abandonnent et lancent de nouveaux produits en permanence. Un bébé qui naîtrait aujourd'hui au Samsung Medical Center consommerait probablement des produits tout différents une fois arrivé à l'âge adulte. Mais parions que ces produits seraient vendus par les mêmes chaebols...

Publié par thbz at septembre 18, 2007 | Commentaires (1)


septembre 17, 2007

17 septembre 2007 - Corée - (lien permanent)

Du hanok au Bellagio

Tu visiteras le Jeollanam-do, la province la plus au sud de la Corée.

Entraîné par ton amie coréenne, tu iras d'abord dans un hanok, une grande maison traditionnelle que le propriétaire a convertie en petits logements pour visiteurs. Tu arriveras le soir, à la tombée de la nuit. Tu apercevras à peine, en passant, ces petits pavillons de plain-pied avec leur toit recourbé typiquement coréen. Le propriétaire vous abandonnera dans une pièce sans fenêtres de deux mètres sur deux en fermant la porte à cause des moustiques. Tu remarqueras d'ailleurs une moustiquaire accrochée dans un coin. Et trois insectes t'attaqueront dès les premières minutes. Certes, cette chambre donnera sur une cuisine et une salle de bain assez bien équipées, mais tu t'interrogeras : faudra-t-il vraiment rester toute une nuit dans dans cette pièce minuscule et close, allongé sur une simple couverture posée à même le sol, enfermé de surcroît dans une moustiquaire ?

Tu éteindras la lumière pour ne pas attirer les moustiques, tu ouvriras la porte et tu poseras tes pieds sur le plancher extérieur où tu as laissé tes chaussures avant d'entrer. Il n'y aura rien à voir dehors, car le toit traditionnel au-dessus de ta tête et et le mur typique juste en face masqueront la lune et obscurciront la nuit. C'est à l'intérieur de toi-même que tu regarderas.

Tu comprendras que tu dois faire quelque chose de cet espace, ranger les bagages, préparer la table basse pour le repas, installer la moustiquaire. En un mot, de cette pièce blanche qui te sera entièrement étrangère tu devras faire un lieu de vie. Tu devras l'adapter à toi afin de t'adapter à elle.

Dès lors tout ira mieux. Tu reviendras à l'intérieur, tu fermeras cette porte qui ne sera plus une muraille ; tu accrocheras la moustiquaire dont l'enveloppe t'apportera intimité et non plus oppression. Ainsi tu passeras une bonne nuit, malgré l'absence de matelas, malgré le chauffage par le sol qui te met en sueur, malgré les hurlements des coqs et le vacarme de la nature qui, dès quatre heures du matin, te feront regretter le doux murmure des avenues parisiennes.

Où coucheras-tu le lendemain ? Dans un autre logement typique : le motel.

On les voit de loin, les motels, établissements extravagants décorés d'immenses bas-reliefs en façades, de tourelles roses sur le toit, ou des deux à la fois.

Celui-ci, c'est à cause de son nom que tu le choisiras. Tu te souviens en effet du Bellagio, le plus bel hôtel de Las Vegas, le plus prestigieux, le plus romantique. Ici, au sud de la Corée du Sud, tu retrouveras un autre Bellagio, beaucoup moins grand, beaucoup moins cher, beaucoup moins animé, mais avec le même nom et le même logo. Il n'y aura pas d'étage numéro 4, car le chiffre porte malheur.

Pour moins de trente euros tu auras une chambre spacieuse, neuve, avec un téléviseur à écran large, une salle de bains bien équipée, un PC connecté à Internet et des boissons au ginseng gratuites dans le frigo. Alors tu te demanderas : mais comment font-ils ?

Publié par thbz at septembre 17, 2007 | Commentaires (1)


septembre 10, 2007

10 septembre 2007 - Corée - (lien permanent)

Le marché de Kyongdong

Au marché de produits alimentaires de Kyongdong, dans le nord de Séoul, on absorbe des odeurs si puissantes, si nombreuses, si variées qu'au bout d'une heure de marche le corps se sent rassasié comme après un repas de qualité : odeur de gingembre, odeur de cannelle, odeur d'anis, odeur d'épices présentées dans des jarres, odeur de poisson séché en tranches, odeur de poisson séché entier avec la gueule ouverte.

À Kyongdong on trouve de l'ail, des racines, des écorces pour la soupe, des poissons vivants dans des aquariums, un supermarché qui ne vend que du ginseng (produit aux vertus multiples, racine aux formes tourmentées souvent représentée sous un aspect presque humain), des vers à soie séchés (une friandise), des insectes en forme de colonne vertébrale (bienfaisants contre le mal de dos), des carcasses de chien (devant lesquelles on passe d'un air détaché, en faisant semblant de ne pas s'y intéresser particulièrement), des barbes de maïs (qui servent à fabriquer une boisson désaltérante), du chou chinois pour le kimchi, des herbes multiples pour les infusions, des petits légumes pour accompagner chaque repas du matin au soir. Et on trouve parfois même des produits connus des marchés européens, mais si rarement...

Publié par thbz at septembre 10, 2007 | Commentaires (4)


10 septembre 2007 - Corée - (lien permanent)

Muraille et montagne

Suwon, ville d'un million d'habitants à une trentaine de kilomètres de Séoul.

Au premier plan, la superbe muraille que le roi de Corée construisit au XVIIIe siècle pour protéger la ville de ses ennemis. Au fond, toujours proches des villes dans ce pays, les montagnes d'où autrefois descendaient les ennemis. Entre les deux, l'un de ces tanji (grands ensembles de logements) dont la ligne d'horizon tend à se substituer à celle des montagnes dans le paysage urbain coréen. J'y reviendrai.

Publié par thbz at septembre 10, 2007 | Commentaires (2)


septembre 04, 2007

04 septembre 2007 - Arts, architecture... - (lien permanent)

L'avenir des villes

L'avenir des villes est un livre publié en 1964 par Raymond Lopez, architecte et urbaniste. À la fin du premier chapitre, il décrit ainsi ce que doit être, selon lui, le rôle de l'architecte, avec une foi en la technocratie qui a été celle de cette époque :

Le Conseil supérieur de l'Architecture, siégeant au ministère de la Construction, composé de cinq architectes, présidé par un homme de goût, fait preuve en ses examens d'un éclectisme parfait et d'une sérénité de jugement qui prouve qu'en ce domaine délicat une petite assemblée, composée d'hommes soumis dans leurs œuvres aux mêmes jugements, peut guider une évolution architecturale que l'étendue de son action à travers la France lui permet de déceler, de suivre, d'apprécier, de craindre, voire d'encourager.

Hors cet examen, qui porte plus sur les masses que sur les détails, liberté totale est réclamée de tous, y compris du « client » qui, arrivant chez le médecin, lui doit expliquer ce qu'il ressent, cela est son affaire : les symptômes, mais non ce qu'il a, cela c'est l'affaire du médecin : le diagnostic et encore moins ce qui doit lui être prescrit, c'est encore l'affaire du médecin et du médecin seul : la formulation, l'intervention ;

Du « client » qui, vis-à-vis de l'architecte, sait tout... sauf ce qu'il veut, et discute technique et esthétique, matériaux et façades, tout en étant incapable de formuler le programme de ses besoins ;

Du « client » qui, en de nombreux cas, ne sait faire confiance... ni rompre, ce qui est pourtant la seule manière de commander, ou tout au moins de se montrer le chef ;

Du « client » que rien n'a préparé à une collaboration avec son architecte, parce que, neuf fois sur dix, il ignore tout de cet homme et de sa profession, de ses origines, de son rôle, voire de sa nécessité : tout ce qui peut et doit être, à l'architecte, demandé impérativement, mais aussi tout ce qui doit être laissé à son initiative, totalement ;

tout ce que l'architecte peut apporter, à court et à long terme, d'apparent, de palpable, mais aussi de réel et souvent invisible ;

tout ce qui guide l'architecte, tout ce qu'il a d'irritant dans l'espèce de doute, à mon avis salutaire, qui lui fait remettre l'ouvrage sur le métier, par amour de la perfection, par crainte (presque risible) de ne point avoir atteint celle-ci ;

tout ce dont il dépend: du social avant tout (l'homme qu'il tâche de servir et ceux dont il doit se servir) ; de l'économique (dépenses qu'il doit réduire, engager, contrôler) ; des techniques qu'il doit choisir, maîtriser, sous peine de ne pas atteindre le vrai but de sa tâche presque toujours d'ordre spirituel ; de l'art enfin qu'il doit créer, en un langage architectural qui touche ou doit toucher non seulement les bénéficiaires de l'œuvre, mais tous les spectateurs de celle-ci en ce temps et en ceux à venir ;

tout ce qui s'interpose entre sa pensée créatrice et la réalisation de l'œuvre, « jeu savant, correct et magnifique des formes sous la lumière » ; ses luttes contre les hommes en leurs exigences, en leurs règlements, en la faiblesse de leurs moyens, en leur incrédulité, ces hommes qu'il lui faut convaincre ; ses luttes contre les forces de destruction, pesanteur, climats, ces forces qu'il lui faut vaincre ;

Du « client » non enseigné au cours de ses études, non ou mal informé au cours de sa vie active par la presse, peu curieuse de cet art trop sérieux, trop compromettant aussi parce que trop engagé, et dont, en général, on parle si mal, si bêtement, sauf quand un certain recul a conféré à l'œuvre la noblesse que les contemporains de la création ont rarement su y déceler.

Raymond Lopez, architecte et urbaniste, est l'homme qui aurait fait oublier Haussmann si on lui avait donné quelques années de plus. C'est l'homme qui, plus qu'aucun autre, a failli donner corps aux rêves de Le Corbusier.

Raymond Lopez a mené à la fin des années 1950 l'enquête qui prévoyait de remplacer la majeure partie de la surface de Paris par des grands ensembles desservis par des voies express. Il a construit l'une des plus grandes ZUP de France, l'une des plus décriées aujourd'hui (et partiellement détruite) : celle du Val-Fourré à Mantes-la-Jolie. Il a conçu le grand quartier sur dalle du Front-de-Seine, le long de la Seine dans le 15e arrondissement. Il a inspiré la rénovation majeure de Paris : les trente ou quarante tours du XIIIe arrondissement, construites par son collaborateur Michel Holley. Les livres d'architecture moderne, s'ils louent rarement son œuvre d'urbaniste, le créditent au moins, en tant qu'architecte, de la construction du siège de la Caisse d'Allocations Familiales, rue Viala dans le XVe arrondissement. Or le propriétaire de l'immeuble s'est opposé il y a quelques années au classement du bâtiment, qu'il a envisagé de détruire : coûteux, crasseux et vulnérable aux incendies.

Dernier paragraphe de son livre (je rajoute des retours à la ligne pour améliorer la lisibilité sur le Web) :

La ville est un phénomène biologique qui ne peut être ni abandonné aux forces de la nature, comme on l'a trop souvent fait, ni contraint comme on a essayé de le faire. Mais la ville est surtout un phénomène humain. La difficulté est de trouver une équation qui tienne compte de toutes les données.

Si la cité future doit être le fait d'une totale mutation, celle-ci ne pourra finalement se réaliser pleinement et sans danger que si l'homme fait aussi sa mutation. C'est l'habitant des villes qui doit devenir un autre ; il doit s'adapter à un nouveau rythme vital et à de nouvelles fonctions.

On ne peut pas aller contre l'urbanisation, quelles que soient les formes prises par celle-ci, on ne peut que la canaliser. La ville monolithique n'est pas une solution idéale, l'homme y dépérit ; la ville tentaculaire est un monstre qui l'étouffe. Et pourtant, de plus en plus, il faudra qu'il vive dans un paysage de murs et de rues.

Il est possible que l'accord ne se fasse pas avant longtemps ; il est possible qu'il faille encore beaucoup d'études ,de recherches, de tentatives inutiles et d'échecs ; il est possible que les villes futures ne ressemblent nullement à celles que nous avons connues ou que nous connaîtrons, mais de tâtonnement en tâtonnement, on finira bien par découvrir ce qu'il faut faire et construire enfin l'instrument indispensable à la vie et à l'épanouissement des hommes.

C'est en ce sens que l'architecture et l'urbanisme peuvent être considérés comme les plus beaux et les plus nobles des arts et des sciences; ils les résument tous en fondant l'unité humaine. Ils sont la civilisation. Ils sont l'Histoire. Mais le drame de notre époque, c'est de se situer à un tournant de l'Histoire et à la fin d'une civilisation. Il lui faut tout réinventer après avoir tout redécouvert. Elle n'y était pas préparée. Le passé et les mots venus du passé la lient. La ville, comme le mot qui la désigne, viennent de trop loin pour qu'on puisse la repenser différemment tout d'un coup. C'est pourtant là que résident le secret et la chance de l'avenir.

Derniers mots étranges. Quoi de commun entre cette approche presque modeste et la politique de la table rase mise en œuvre et recommandée par l'auteur. Qui, dans un autre chapitre du livre, s'offusque d'avoir constaté, à Auvers-sur-Oise, que certains habitants modifiaient légèrement l'aspect des fermes traditionnelles...

Raymond Lopez est resté à côté d'une Histoire qu'il a failli changer. Mort deux ans après la publication de ce livre, il n'a jamais su que les villes refuseraient l'avenir qu'il leur avait fixé.

Publié par thbz at septembre 04, 2007 | Commentaires (2)


Textes et photos (sauf mention contraire) : Thierry Bézecourt - Mentions légales