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mars 29, 2007
29 mars 2007 - Arts, architecture... - (lien permanent)
Villes carrées
Des peintres, sur la voie de l'abstraction, ont choisi pour sujet la ville dans son ensemble. Non pas des scènes de rues qui représentent telle ou telle activité humaine, mais la ville elle-même, la ville vue de profil, la ville vue d'en haut, la ville vue de tous les côtés à la fois avec toutes ses maisons. Et chacun de ces peintres y retrouve le même motif : le carré. La ville, vue de trois quarts, c'est un amoncellement de carrés.
Nicolas de Staël, « Les toits » :
Paul Klee :
Un détail des « villas florentines » :
Et même en Afrique du Nord :
Robert Delaunay, surtout (« La ville n° 2 », 1910) :
La ville, peu à peu...
... est gagnée par l'abstraction :
(tout ceci existe aussi dans la vraie ville :
)
Ici je devrais citer Vieira da Silva, mais il faut pour cela aller voir sur le blog DÉTAILS, dont un article récent m'a donné l'idée de cette promenade dans le nouvel accrochage du centre Pompidou.
Mondrian, enfin, peintre abstrait par excellence, spécialiste des carrés. Abstrait ? Pourtant dans ces carrés on reconnaît New York. D'accord, on n'a pas beaucoup de mérite puisque c'est le titre du tableau (« New York City I », 1942) :
Mondrian vu de près :
Et César Domela, pour finir (« Composition géométrique n° 4 »). J'exerce ma liberté de spectateur pour y voir une ville :
Publié par thbz (mars 29, 2007) | Commentaires (2)
mars 18, 2007
18 mars 2007 - Arts, architecture... - Plus - (lien permanent)
Mon nom est l'art persan
Mon nom est rouge, roman d'Orhan Pamuk. Changement de narrateur à chaque chapitre. Un meurtre dans le milieu des peintres ottomans, au XVIe siècle : qui est le meurtrier ?
Pour répondre à la question, il faut d'abord se demander : qu'est-ce que la peinture persane ? Comment peut-on être un peintre persan ?
Ici nous sommes dans l'empire ottoman, plutôt stable. Là-bas c'est l'Iran persane, à l'histoire tourmentée. Souvent envahis, toujours divisés, les Persans prennent leur revanche par leur culture : par elle ils conquièrent leurs conquérants et effacent les frontières qui les séparent. La peinture persane règne sans partage sur toutes les terres qui séparent la peinture chinoise de la peinture européenne. Sans partage ? En réalité elle est influencée par l'une, menacée par l'autre.
Au sein de la peinture persane, la peinture ottomane n'est qu'un courant. Les livres d'art qui la décrivent prennent bien soin d'en préciser la spécificité par rapport à la peinture d'Iran. De la même manière, les livres sur la peinture persane commencent par expliquer pourquoi les Persans représentent l'espace aussi bizarrement.
Car les images que produit la peinture persane, l'univers qu'elle représente, son espace et ses personnages sont bien étranges pour l'œil d'un européen qui se pose forcément la question : comment le monde peut-il être persan ?
Dans le monde de la peinture persane, les personnages ont tous la même taille, qu'ils soient proches ou lointains. Les ombres et les dégradés de couleur n'existent pas : tout est plat, mis sur un même plan, égal en importance. Les figures se répartissent sur toute la surface du tableau, la peuplent avec une égale densité et l'animent d'une tension uniforme. Des décors de rinceaux remplissent les interstices. Un arbre peut se courber pour contourner un visage.
Dans le monde de la peinture persane les visages se ressemblent tous. On ne reconnaît pas un personnage à son expression mais à ses habits, à son attitude générale et à l'histoire calligraphiée qu'il illustre.
Dans le monde de la peinture persane l'idéal féminin n'est pas persan : c'est en Chine que les peintres persans vont chercher la beauté parfaite, dans des visages aux yeux bridées et aux formes arrondies, et ces visages sont tous identiques bien entendu. À la même époque les peintres européens, au contraire, commencent à trouver dignes d'être peintes non seulement Vénus et la Vierge Marie, mais aussi leurs épouses et les femmes du quartier.
Le monde de la peinture européenne, dans lequel les lieux et les personnages suivent les règles de la perspective définie par Brunelleschi et Alberti, serait le monde tel que le perçoit l'œil de l'homme ordinaire. La peinture persane se place beaucoup plus haut : elle peint le monde avec les yeux de Dieu, elle essaie de montrer le monde dont rêve Dieu. Monde dans lequel l'anecdote n'a pas sa place.
La miniature persane n'est pas, comme la peinture occidentale selon le mot d'Alberti, une fenêtre sur le monde, qui en capturant une partie du réel laisse imaginer ce qui se trouve hors du champ, sur les côtés, en haut et puis derrière les arbres représentés, au-delà des montagnes et de l'horizon ; fenêtre sur le monde qui encourage à dépasser les horizons, à visiter le monde et découvrir l'Amérique.
Le monde de la miniature persane se suffit à lui-même. Lorsque deux figures se chevauchent, le spectateur n'est pas tenté d'imaginer les parties cachées ; il ne se demande pas non plus si la scène se poursuit au-delà du cadre du tableau : il se contente de ce qu'il voit.
Ainsi dans les tapisseries de la Dame à la Licorne, les scènes sont closes et la surface entièrement recouverte de décorations, pour la pure jouissance visuelle.
Le monde de la peinture persane, c'est aussi :
- les chevaux qui galopent,
- les guerriers qui combattent comme on danse,
- les rois qui reçoivent leurs ambassadeurs,
- les femmes qui attendent,
Le monde de la peinture persane est temporaire. Les œuvres sont pour la plupart réalisées sur papier et insérées dans des livres. Fragiles, elles sont rarement exposées, il est difficile de les voir. De toute manière, elles ont été réalisées pour des sultans qui les enferment dans leur Trésor. Ces peintures ne sont guère faites pour être vues.
Le monde de la peinture persane se considère comme un monde plus réel que le décor qui nous entoure. La peinture persane recherche une réalité divine sous l'apparence. Lorsque les princes ont protégé les soufistes, les peintres persans ont pu donner le meilleur d'eux-mêmes. Le soufisme légitime la représentation de la beauté dans l'art : la peinture reflète et transmet la beauté de Dieu, elle échappe à la plate réalité des choses. Les mystiques, en affirmant la valeur de l'expérience personnelle face au dogme imposé par le souverain, ont toujours favorisé les artistes : soufisme en terre persane, taoïsme en Chine, et en Italie à la même époque le néo-platonisme de Marsile Ficin et de Botticelli.
Clarté du trait, géométrie de la composition. On comprend immédiatement, comme dans une bande dessinée, ce qui se passe. C'est un art narratif. Lorsqu'on se tient devant des tableaux aussi évidents, on imagine que derrière une telle simplicité se cache forcément quelque énigmatique secret.
Alors, qui est le meurtrier ?
Citations extraites de Mon nom est rouge, Orhan Pamuk, 1995. Trad. Gilles Authier, Folio.
Publié par thbz (mars 18, 2007) | Commentaires (6)
mars 08, 2007
08 mars 2007 - Arts, architecture... - Cinéma - (lien permanent)
Le générique de Dreamgirls
Dreamgirls, c'est une comédie musicale au cinéma : un chanteur à la mode, trois débutantes et leur imprésario. Leurs ambitions, leur carrière ; gloire et doutes. Générique de fin.
1. Lorsque le générique de fin affiche les principaux personnages dans des postures et des mines qu'on a déjà vus au cours du film et que l'on reconnaît immédiatement, mais cette fois immobilisés dans des images fixes et non plus inscrits/immédiatement remplacés/oubliés dans le flot incessant des images cinématographiques, ces plans prennent par leur durée, parce qu'ils ont été retenus par le générique, la valeur d'événements dignes d'être remémorés.
Dans le cours du film, ces postures avaient un caractère naturel que leur donnait artificiellement le talent des acteurs, l'art de la mise en scène, l'isolement du spectateur dans une salle de cinéma qui le coupe du monde extérieur et lui fait accepter d'autres conventions de représentation, son habitude enfin à trouver naturels les modes de représentation du cinéma hollywoodien et non, par exemple, ceux du cinéma indien.
Sélectionnés par le générique de fin qui les extrait de la banalité du film, ces visages et ces positions deviennent exemplaires et historiques. La mine de Jamie Foxx dénote sa fascination pour le monde du show-biz, rappelle son action en faveur du chanteur à la mode ou des trois débutantes. Le visage à la bouche entrouverte de Jennifer Hudson n'est plus un plan ordinaire pris parmi les 24 images d'une seconde quelconque du film, mais la trace d'un moment fort de sa vie, d'un tour de chant qui a donné un nouveau cours à sa carrière.
2. Les bandes-annonces de films offrent le même déplacement de valeur : en isolant des morceaux de séquences, elles leur donnent une plus grande intensité, au point que parfois on sera déçu en voyant le film (Matrix). Car la scène qui, dépourvue de contexte, inattendue, brutale, frappe le regard dans la bande-annonce ne formera dans le film qu'un relief atténué en s'inscrivant dans une histoire, image parmi les images.
3. Et quelle est l'importance du cadre noir et blanc lui-même, par lequel j'entoure ici les images pour les ennoblir ?
Si au cadre s'ajoute un point de vue particulier, un angle soigné, l'image va alors, par un effet propre à la technique photographique, transformer un morceau de réel sans relief en une scène riche en connotations. Quoi de commun entre un anonyme, songeur et mystérieux profil gauche...
... et une sculpture posée sur son socle, classifiée et documentée, buste parmi les bustes (Louvre, sculptures françaises, salle 20). Il s'agit pourtant du même objet :
François Girardon Nicolas Boileau, dit Despréaux (1636 - 1711) |
4. Orhan Pamuk dans Mon nom est Rouge :
C'est un Turc du XVIe siècle qui parle : la peinture occidentale flatte le modèle en consacrant à la représentation de son corps l'espace du tableau, que la peinture persane réserverait à des concepts ou légendes idéales.
(ceci est plus un billet de blog expérimental qu'un texte achevé)
Publié par thbz (mars 08, 2007) | Commentaires (4)