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avril 13, 2020
13 avril 2020 - 13e arrondissement - (lien permanent)
Confinement, jour X : que faire à la sortie
Un objectif qu'on pourrait se fixer, un projet, une ligne d'horizon, une branche d'arbre à laquelle se raccrocher, ce serait, si un jour il joue la Sonate de Franck au cours d'un récital public comme il l'a fait aujourd'hui dans son salon, de tout faire ce jour-là pour être dans la salle de concert.
Et je crois que le souvenir, alors, de l'avoir entendu en confinement au moment où on en reprenait pour quatre semaines, la constatation qu'il est à présent là, devant moi, et devant mille autres personnes, la sensation d'être traversé par des ondes sonores qui viennent de son instrument même et non pas d'un appareil qui a la forme d'une boîte de sardine, refermeraient alors cette période, ouvriraient véritablement la voix à une vie normale, ou nouvelle.
Publié par thbz (avril 13, 2020) | Commentaires (0)
avril 05, 2020
05 avril 2020 - 13e arrondissement - (lien permanent)
Confinement, jour 19 : voyage autour de ma chambre
La lecture du jour (1) est le Voyage autour de ma chambre de Xavier de Maistre.
C'est un livre extrêmement léger, parfois presque aussi modeste qu'un Robert Walser. Il se lance dans une dissertation sur la peinture, tout de suite contestée par une de ses amies à qui il essaie de répondre, pour finalement conclure sur sa difficulté à prouver véritablement sa thèse :
Le soldat réactionnaire, petit frère de Joseph, qui écrit en 1794 à Turin après avoir été confiné, non par une épidémie, mais par une condamnation consécutive à un duel, est même trop léger pour réaliser vraiment son programme. Il ne serait pas capable, comme Pérec, de faire une description vraiment minutieuse qui serait en même temps un grand roman. De Maistre se contente de passer d'un sujet à l'autre tout au long de quarante-deux chapitres qui s'arrêtent manifestement dès qu'il a la flemme de rajouter un paragraphe de plus. Le livre n'en est pas moins délicieux, narcissique comme Rousseau mais beaucoup moins geignard.
De fait, le confinement amène à mieux connaître l'appartement où l'on vit. Un lieu qu'on ne ne regardait plus dévoile de nouveaux aspects lorsqu'on n'est pas sans cesse en train de préparer une sortie, un repas ou un coucher.
Je savais déjà qu'il ne faut pas, en début de matinée, s'asseoir sur le côté est de la table, parce qu'à huit heures du matin le soleil éclaire directement l'écran de l'ordinateur et trouble la lecture. Je découvre que, en milieu d'après-midi, il ne faut pas s'asseoir du côté opposé de la même table, parce que le soleil, encore puissant et certes invisible, a déjà un peu baissé dans le ciel et frappe violemment les immeubles de béton clair qui me font face, dans un contraste désagréable avec l'obscurité croissante de la pièce.
Un jour j'ai entendu un craquement : une latte du parquet, sans doute mal posée par l'artisan il y a deux ans, s'est légèrement fendillée. Hors confinement, je n'aurais probablement été à la maison au moment de cet événement. Voire, le bruit de la ville, même s'il est étouffé lorsque les fenêtres sont fermées, l'aurait couvert.
Ma compétence d'intérieur s'accroît jour après jour.
(1) Outre un fort instructif article sur la conception chinoise du droit, paru dans une revue des années trente achetée deux euros chez Vrin et dont la lecture avait, comme tant de choses jusqu'à présent, toujours été différée.
Publié par thbz (avril 05, 2020) | Commentaires (1)
avril 04, 2020
04 avril 2020 - 13e arrondissement - (lien permanent)
Confinement, jour 18 - ombre et reflets
Le confinement permet de voir des choses : des gens qui font les cent pas sur leur terrasse ou prennent le soleil sur une chaise longue, ouvrent un livre, déploient même parfois le parasol ; des barrières de séparation entre les cours intérieures d'immeubles qu'on n'avait jamais pris le temps de voir : murets, grillages, plaques de plexiglas ; des balcons encombrés de cartons et de restes de meubles ; des cahutes dans les cours intérieures, qu'OpenStreetMap répertorie au même titre que les immeubles de dix étages ; des toits plats d'immeubles blancs des années 70, parcourus de réseaux de canalisations entre lesquelles on imagine des poursuites de film policier ; des toitures en zinc haussmaniennes ployant au contraire, en leur centre, vers des lucarnes surplombant une étroite cour intérieure.
Et il y a toujours le chant des oiseaux, nouveau paysage sonore auquel on s'est déjà habitué, rompu de temps en temps par le vrombissement d'une ambulance ou d'un hélicoptère qui nous rappellent que malgré la paix qui assoupit la ville et l'exceptionnel temps radieux qui illumine le ciel depuis le début du confinement, il se passe quelque part par là, dans quelques-uns des trois cent mille bâtiments de Paris, des événements que nous ne voyons pas et que nous n'entendons pas, que nous ne pouvons pas comprendre, nous qui sommes réfugiés dans nos appartements comme sous une couette.
Et puis comme on reste toute la journée dans le même lieu, on peut voir l'ombre tourner autour de la ville, s'abaisser à midi pour se mettre à portée des immeubles les plus proches puis s'étirer le soir et croître jusqu'au sommet des tours de la porte de Choisy.
Enfin, le temps clair permet d'apercevoir au long des camions qui semblent escalader, glissant silencieusement comme des lombrics, la façade inclinée de l'une des deux tours construites actuellement par Jean Nouvel près du boulevard périphérique.
Une façade de verre n'est pas vraiment une façade. Elle reflète son environnement mais ne l'enrichit pas. Plane et neutre, elle recycle ce qui l'entoure, c'est à dire qu'elle en propose une version affadie. Comme la plupart des bâtiments de Jean Nouvel, ces tours seront des objets très voyants, leur forme attirera l'attention, mais elles n'existeront pas vraiment par elle-même faute de matérialité. Elles ne seront que des formes se détachant sur le ciel et ne participeront guère à la ville.
Hier soir j'ouvre un DVD trouvé par hasard sur une étagère, intitulé Faces of Seoul, de Gina Kim, sans avoir aucune idée de ce qui se trouve vraiment dedans. C'est un essai visuel et personnel, mais aussi un exercice de mémoire à la Chris Marker, auquel je me laisse prendre pendant 90 minutes, parce que c'est aussi ma mémoire. Elle y parle, pendant quelques instants, de façades de verre. Elle visite le palais de style traditionnel où le roi Kojong s'est confiné autour de l'an 1900, perdant peu à peu tous ses pouvoirs. Il y a fait poser des fenêtres et des parois en verre. Pour la première fois dans l'histoire de la Corée, les parois reflétaient le paysage. « En se tenant comme moi maintenant, le roi a dû être étonné de voir l'image du monde et la sienne réfléchies ensemble ». En effet, par la fenêtre traditionnelle on voit ce qu'on choisit du monde extérieur, mais pas soi-même.
Depuis, le verre, qui a remplacé chez nous la pierre de taille, a pris la place en Corée du papier de riz dans les cloisons et les ouvertures. Les parois extérieures sont désormais les mêmes à Séoul que dans les tours de Jean Nouvel et partout ailleurs dans le monde.
Le verre, finalement, est une matière plus opaque que la pierre : il rend le bâtiment invisible puisque ce qu'on voit lorsqu'on le regarde, c'est ce qui nous entoure.
Mais de manière déformée et, parfois, voyeuriste.
Dans le même film elle montre son père de dos, puis dans le rétroviseur
de la voiture. En regardant un autre film de Gina Kim (Empty house), je me rends compte qu'elle passe son temps à filmer des miroirs, ou à travers des vitres, à éviter de montrer les choses directement.
Publié par thbz (avril 04, 2020) | Commentaires (0)