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janvier 22, 2007

22 janvier 2007 - Arts, architecture... - (lien permanent)

Anamorphose à Vitry

Au Musée d'art contemporain du Val-de-Marne, à Vitry-sur-Seine, des traits rouges barrent les murs, au hasard.

Le Musée d'art contemporain du Val-de-Marne, dans la langue moderne de l'art, c'est le MAC/VAL. Il se dresse au bord d'un rond-point qui ressemble aux ronds-points de province, sauf que les ronds-points de province ont rarement les moyens de s'offrir une sculpture de Dubuffet.

Les rappeurs du groupe 113, formé à Vitry dans les années 1990, ont exposé leur point de vue sur cette sculpture en s'adressant au maire de la ville dans le morceau qui a donné son titre à leur premier album, Les Princes de la ville : « Rénover les batiments on attend toujours / Et vos monuments à 100 barres nous on s'en fout ».

À l'intérieur du musée, les traits rouges traversent les murs et les plafonds, s'interrompent à l'embrasure d'une porte, réapparaissent sur un pilier dans la cour.

Le visiteur en a vu d'autres. Il commence à entrevoir la clé de l'énigme.

Encore quelques pas et ça y est. Voici le point de la pièce auquel l'artiste veut conduire le spectateur :

C'est une anamorphose. Les traits irréguliers dessinent en fait des cercles. Cette curiosité, signée de Felice Varini qui l'a intitulée Trois cercles désaxés, n'est pas une grande nouveauté. Pendant les travaux de rénovation du théâtre de l'Odéon, le même Varini avait créé une forme similaire à coup de bandes rouges collées sur le chantier et les immeubles environnants. On ne saisissait sa signification qu'en plaçant ses pieds à l'entrée d'une galerie où, justement, l'artiste exposait ses œuvres. Toutes les bandes ont été retirées, sauf une, désormais incompréhensible :

À la Poudrière de Soissons, Georges Rousse construisait une anamorphose plus spectaculaire dans le cadre d'une exposition. Depuis Holbein et jusqu'à Jan Dibbets tout le monde s'amuse des anamorphoses. Sur ce sujet comme sur de nombreux autres, la Boîte à Images a fait le point.

On peut donc passer à autre chose. Le vrai sujet de cette note ne sera pas l'anamorphose, mais la couleur rouge. La couleur rouge au Musée d'art contemporain de Vitry.

Avec une œuvre d'Édouard Pignon : Le Nu et les Cactus, 1979-1981, huile sur toile.

Puis une sculpture minimaliste de Gina Pane : Le Martyre de Saint Sébastien d'après une posture d'une peinture de Memling, partition pour un corps, 1984.

Une détournement de culture populaire par Bruno Perramant :When Martin meets Henri, 2000, huile sur toile.

Et une sorte de Saint Suaire par Barthélemy Toguo : Meeting, 2001.

Rien à voir entre ces œuvres : juste la couleur rouge qui tranche, plus que toute autre, sur les murs blancs comme sur les fonds noirs.

Publié par thbz (janvier 22, 2007) | Commentaires (10)


janvier 18, 2007

18 janvier 2007 - Europe - (lien permanent)

À quoi ressemble Bucarest

L'an dernier j'ai montré à quoi ressemblent les villes. Parmi les architectures visibles depuis le ciel je remarquais des serpents dans les faubourgs de Bucarest :

Or quelques semaines plus tard, lors d'un voyage en Roumanie, je suis allé voir ce quartier. À quoi peut bien ressembler depuis le sol un quartier qu'on a vu sur Google Earth ?

C'est un quartier comme un autre. Plutôt mieux qu'un autre. Les immeubles sont noyés dans les arbres. Des cheminements habilement calculés permettent au piéton de se croire parfois dans un parc.

Les habitants ne se doutent probablement pas le moins du monde du dessin que leurs immeubles forment sur la surface terrestre. À peine devine-t-on, dans les endroits les plus dégagés, la courbe brisée du serpent.

C'est la banlieue est de Bucarest. On y arrive en métro. Les quartiers de maisons individuelles sont rares. À quelques centaines de mètres de là, on passe directement des grands ensembles aux terrains vagues, en attente d'urbanisation.

On revient vers le centre en suivant le monumental boulevard Pallady. Mais qu'est-ce qui, à Bucarest, n'est pas monumental ?

À l'angle des boulevards Pallady et Grigorescu, les fils du tramway recouvrent le carrefour d'une sorte de toile d'araignée :

Tandis qu'un soldat veille sur le linge qui pend dans les inévitables loggias. Loggias et béton, voilà peut-être la définition de Bucarest.

On retrouve enfin le centre ville à l'imposante place Alba Julia...

... qui lance à l'est le gigantesque axe qui va jusqu'au palais du Parlement.

Publié par thbz (janvier 18, 2007) | Commentaires (3)


janvier 08, 2007

08 janvier 2007 - Divers - Italie - (lien permanent)

Nel mezzo del cammin di nostra vita

Nel mezzo del cammin di nostra vita
mi ritrovai per una selva oscura
ché la diritta via era smarrita.
Au milieu du chemin de notre vie, je me suis retrouvé dans une forêt obscure. J'avais perdu la voie droite.

Ces trois vers sont les premiers de la Divine Comédie. Le milieu du chemin de la vie, c'est pour Dante l'âge de 35 ans. Né en 1265, il arrive pendant la semaine de Pâques de l'an 1300 dans un endroit inconnu. En trois jours il traverse l'enfer, monte dans le purgatoire et vole dans le Paradis où il rejoint sa bien-aimée. Cette épopée poétique, politique, philosophique et spirituelle débute par un égarement géographique et moral.

Ahi quanto a dir qual era è cosa dura
esta selva selvaggia e aspra e forte
che nel pensier rinova la paura!
Ah, c'est une dure tâche de décrire cette forêt sauvage et âpre et forte dont le souvenir ravive l'effroi !

Pour Philippe Sollers (La divine comédie, 2000), « mezzo veut dire quelque chose de beaucoup plus profond. Le milieu du chemin de la vie, de notre vie, c’est quelque chose qui peut être représenté comme permanent, et non pas se produisant à tel moment du temps. Ce milieu au sens fort du mot - mezzo -, c’est là où l’on peut toujours s’égarer, toujours, se perdre, toujours se tromper à nouveau, toujours recommencer la même histoire, toujours être surpris par l’enfer, toujours oublier ce qu’il faudrait atteindre : un autre état du corps lui-même. » Il parle bien, Sollers, et beaucoup.


Marc Devade, Nel mezzo, mai 1981, huile sur toile, 200x250 cm (article de A. Gauvin)

Un bulletin météorologique signé Aldo Meschiari décrit ainsi l'exceptionnel automne 2006 :

Nel mezzo del cammin di questo Autunno
Ci ritrovammo in una eccessiva calura
Che la invernal via era smarrita.
Ahi quanto a dir qual era è cosa dura
Esta calura anomala e strana e forte
Che del futur rinnova la paura!
Au milieu du chemin de cet automne, nous nous sommes retrouvés dans une chaleur excessive. Nous avions perdu la voie de l'hiver. Ah, c'est une dure tâche de décrire cette chaleur anormale et étrange et forte, qui du futur ravive l'effroi !

Le site Tramonto.org présente une association d'étudiants de Ferrare, dont l'activité principale semble être de boire de la bière et de manger des hamburgers. La description de chaque plat est remplacée par les premiers mots de la Divine Comédie. Le webmestre qui a réalisé ce site admirait Dante, mais il n'a semble-t-il pas eu le temps de terminer son travail. Les vers de Dante servent parfois en Italie à remplir les sites Web vides, comme le pseudo-latin Lorem ipsum.


Gino Calenda, Nel mezzo del cammin di nostra vita..., 2004

Les démographes Warren Sanderson et Sergei Scherbov, cités par Gabriele Battaglia, indiquent que l'allongement de la durée de vie correspond à un rajeunissement et non un vieillissement de la population. Au lieu de mesurer la vieillesse par le nombre d'années vécues, il mesurent la jeunesse par le nombre d'années qui reste à vivre. Et ce nombre augmente avec le temps. On vit plus vieux, mais on dispose de plus d'années de jeunesse. Ainsi l'âge moyen des Américains augmentera de deux années et demie entre 2000 à 2020, mais, malgré ce vieillissement de la population, il leur restera, en moyenne, plus longtemps à vivre jusqu'à la mort. Au fait, quel était l'âge moyen des Américains en 2000, sept cents ans après le voyage de Dante ? 35 ans, bien sûr...

J'ai eu 35 ans hier. La forêt n'est ni sauvage, ni âpre. Elle est incertaine. La vie n'est pas toujours un miracle, mais un apprentissage...

Publié par thbz (janvier 08, 2007) | Commentaires (7)


janvier 03, 2007

03 janvier 2007 - Paris - (lien permanent)

Les vitraux de Romainville

Les vitraux de Romainville : la formule sonne comme du Proust. Romainville, c'est une petite ville de la banlieue parisienne. Les Parisiens connaissent surtout le fort de Romainville, dont le sommet domine l'horizon vers l'est :

En réalité, le fort de Romainville est situé sur la commune des Lilas, sans doute afin de tromper l'ennemi. De même, le fort de Vanves est à Malakoff, le fort de Montrouge à Arcueil et le fort de Charenton à Maisons-Alfort. À Fontenay-sous-Bois on trouve le fort de Nogent et à Fontenay-aux-Roses le fort de Châtillon. La commune de Romainville abrite pourtant bien un fort : celui de Noisy.

Ces forts ont été construits à l'époque de Louis-Philippe pour protéger Paris des ennemis éventuels. Un site web vraiment sérieux explique qu'Adolphe Thiers a donné à chaque construction le nom de la commune qu'elle était destinée à défendre.

Au centre de Romainville, la mairie et l'église occupent deux côtés d'une petite place. Sur les autres côtés, quelques cafés, un ou deux restaurants. Impossible, toutefois, d'y manger quoi que ce soit un dimanche 31 décembre à midi.

Derrière l'église, la vue glisse sur le cimetière et plonge dans une vaste perspective sur la banlieue est.

À l'intérieur de l'église, un prospectus fait la liste des objets dignes d'attirer l'attention du visiteur : la dalle funéraire de la marquise de Ségur, un crucifix, quelques statues, les stalles. Quatre cloches donnent les notes suivantes : do, ré, mi, fa. L'église est consacrée à saint Germain l'Auxerrois, qui fut un bien grand homme. Le prospectus ne mentionne pas les vitraux.

Si le prospectus n'en parle pas, c'est qu'il ne s'agit probablement pas d'œuvres d'art. Il faut dire qu'ils n'ont rien pour eux : modernes et pourtant figuratifs, très faciles à comprendre, assez naïfs même, signés d'un certain Guével domicilié à Noisy-le-Sec, ils ne remplissent pas les critères en fonction desquels le connaisseur moderne attribue à un ouvrage la qualification d'artistique.

Je ne suis pas un spécialiste : c'est sans doute pour cela que j'ai passé tout mon temps devant ces vitraux au lieu d'admirer en priorité la statue de la Sainte Vierge, « pièce maîtresse de cette église », en pierre polychrome du XVIème siècle (avec l'anecdote : alors qu'on croyait depuis longtemps que cette statue représentait sainte Geneviève, un spécialiste a démontré en 1978, à l'occasion d'une restauration, que... non, ce n'est pas très intéressant).

Ils ont pourtant bien un style, ces vitraux. Des ovales doux pour les êtres vivants, des trapèzes et des quadrilatères pour la nature. La courbe des moutons répond à celle du chemin. Le recueillement de la bergère au premier plan s'oppose à la silhouette du laboureur en plein effort au fond du champ. Le soleil se couche à l'horizon.

Les scènes représentées décrivent la vie quotidienne ou la pratique religieuse, avec familiarité et respect.

Ces vitraux sont répertoriés dans les bases de données du ministère de la Culture. On peut consulter le dossier au service régional de l'inventaire d'Île-de-France, 98 rue de Charonne à Paris. On y apprend que c'est un paroissien qui les a fait réaliser en 1950.

Publié par thbz (janvier 03, 2007) | Commentaires (2)


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