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juillet 31, 2007

31 juillet 2007 - Cinéma - (lien permanent)

Bergman à Paris

« En film av Ingmar Bergman ». Combien de fois a-t-on lu cette phrase sur les écrans de la rue Saint-André-des-Arts...

Parmi tous les programmes des salles de cinéma du quartier latin, dans les années 90, une rétrospective a dominé par son ampleur toutes les autres : l'Intégrale Bergman du Saint-André-des-Arts. Trente-huit films, soit presque tous ses longs-métrages. Dans le hall d'entrée, on trouvait une brochure d'information gratuite : vingt pages agrafées, bien imprimées, avec une notice et une photo pour chaque film. L'argument du film, une citation d'un critique ou un extrait des mémoires de Bergman. À côté, sur le même présentoir, des feuilles volantes, sur fond jaune ou rose, présentaient le programme des semaines à venir.

On achetait une place et on faisait tamponner un carton : au bout de cinq films on avait droit soit à un sixième film gratuit, soit à un exemplaire des mémoires de Bergman, Laterna magica. Bien sûr on choisissait toujours le film ; à tel point qu'un jour l'établissement, ne sachant quoi faire de ses piles de bouquins, les a distribués gratuitement aux clients de passage.

De temps en temps la rétrospective s'interrompait au Saint-André-des-Arts, mais jamais très longtemps. Au bout de deux ou trois mois elle revenait à l'affiche avec ses trente-huit films, ses brochures, ses programmes et ses cartes de fidélité. Parfois ça ne se passait pas au Saint-André-des-Arts mais à l'Utopia, un petit cinéma de la rue Champollion avec une façade kitsch. Plus tard on a dépouillé l'Utopia de sa façade et on l'a renommé pompeusement en « Filmothèque - Quartier Latin ».

Dans l'Intégrale Bergman, le week-end était réservé aux films les plus connus : Le Septième Sceau, Les Fraises sauvages, Cris et Chuchotements, Fanny et Alexandre. En semaine, on découvrait les films anciens, ceux de l'époque du beau Birger Malmsten, de la jolie Maj-Britt Nilsson ou de la grande Eva Dahlbeck qui aurait pu jouer dans des films hollywoodiens : La Fontaine d'Aréthuse, Ville portuaire, L'attente des femmes et même le tout premier, Crise. On voyait aussi les films plus rares de la grande époque, Le Silence, Le Visage, La Source, Toutes ses femmes : l'époque d'Harriett Andersson, de Bibi Andersson, de Liv Ullman et d'Ingrid Thulin, de Max von Sydow avant qu'il n'aille exorciser à Hollywood ou de Gunnar Björnstrand qui a été pour Bergman le même compagnon, modéré et toujours présent, que Chishu Ryu pour Ozu. On se traînait même, parce qu'il fallait tout avoir vu, aux films un peu ratés de la fin : L'Œuf du Serpent, De la vie des marionnettes, Après la répétition.

On s'attachait plus que tout aux films d'Harriett Andersson : La Nuit des forains, Rêves de femmes, Sourires d'une nuit d'été, À travers le miroir. Et puis Monika, Monika pour ce plan où l'actrice, lasse de son amant, détourne la tête et, en cet été 1953, plonge son regard en plein dans les yeux du spectateur : on lisait ensuite dans la brochure du Saint-André-des-Arts que l'actrice avait improvisé ce geste et que Bergman y voyait la marque d'un pur génie.

Et au-delà des grands films et des petits films, au-delà des films de couple de la première partie, des tentatives métaphysiques du milieu de carrière, des fresques moins intéressantes de la fin, le cinéphile jeune et pas encore désabusé vouait un culte particulier à un film hors norme : Persona. Persona ou l'éloge de la déprime. Un film pendant le tournage duquel (c'est bien sûr dans la brochure qu'on lisait ce détail) Bergman s'était particulièrement amusé.

Voilà, c'était ça, Bergman à Paris dans les années 90. Les films repassent de temps en temps, au Saint-André-des-Arts ou ailleurs. La brochure a disparu, la rétrospective n'est pas toujours intégrale, mais les films n'ont pas changé. Ils sont toujours « av Ingmar Bergman ». La « foto » est toujours de Sven Nyqvist.

De Michelangelo Antonioni, mort le même jour, on garde le souvenir de quelques films vus ici ou là, des films importants, peut-être, des films pourtant que l'on aurait pu ne pas voir. Mais Bergman au Saint-André-des-Arts, Bergman et sa brochure d'information, Bergman et ses cartes de fidélité, c'était une figure structurante de la vie d'un cinéphile : le point de repère auquel on finit toujours par revenir.

Publié par thbz (juillet 31, 2007) | Commentaires (0)


31 juillet 2007 - Cinéma - (lien permanent)

Le même jour

Le même jour, 30 juillet 2007, les deux cinéastes préférés des ciné-clubs sont décédés : Bergman et Antonioni.

Le 23 avril 1616, Cervantès et Shakespeare disparaissaient : à la même date, mais pas le même jour car l'Angleterre utilisait le calendrier julien et l'Espagne le calendrier grégorien.

Le 10 octobre 1985, Orson Welles est mort. Yul Brynner aussi. Je l'ai oublié.

Je me souviens en revanche du jour où la radio a annoncé la mort de Robert Mitchum, et le lendemain la même radio a dit qwe James Stewart venait de mourir ; je les croyais tous deux morts depuis bien longtemps.

Le dimanche suivant, TF1 a réussi à trouver le seul film dans lequel les deux acteurs ont partagé l'affiche : un mauvais remake du Grand Sommeil, avec un James Stewart beaucoup trop vieux. Cette fois-ci, TF1 ne devrait même pas se donner cette peine. Dans toute l'œuvre de Bergman et d'Antonioni, il n'y a rien de diffusable, je crois, dans le cadre d'un hommage à l'économie.

Publié par thbz (juillet 31, 2007) | Commentaires (2)


juillet 26, 2007

26 juillet 2007 - Paris - (lien permanent)

Arrosage

On arrose le luminaire.

On arrose l'arbre.

On arrose des jardins publics qui, grâce à ce merveilleux été pourri, n'ont jamais été aussi verts.

(square Juan Mirò et pied de la tour Palerme, vers la porte de Choisy)

Publié par thbz (juillet 26, 2007) | Commentaires (4)


juillet 16, 2007

16 juillet 2007 - Arts, architecture... - (lien permanent)

Jardins redressés

« Rendre les espaces libres plus agréables c'est, avant tout, mettre en valeur le patrimoine naturel (flore et faune), essentiel en milieu urbain... L'ensemble des interventions engagées en ce sens doit s'inscrire dans une trame verte de Paris qui associe la réalisation de nouveaux jardins, le réaménagement d'anciens espaces verts publics... Au-delà de ces interventions traditionnelles, le végétal doit investir de nouveaux espaces comme les clôtures, les façades et les murs pignons d'immeubles ainsi que les multiples recoins aujourd'hui délaissés. » (Projet d’Aménagement et du Développement Durable approuvé par le Conseil de Paris en juin 2006 ; c'est moi qui met en valeur la dernière phrase)

L'injonction du PADD peut faire sourire : cachez ce béton que nous ne voulons voir, ôtez de notre vue ces grillages, ces recoins ingrats, tous ces espaces auxquels nous n'avons pas attribué une valeur esthétique, recouvrez-les tous de « végétal », terme qui en langage administratif désigne les plantes et de fleurs. Maximisons l'utilisation de la ville, faisons-en toujours plus sur toujours moins d'espace. Puisqu'il n'est plus possible, faute de terrain disponible, de faire des squares même lilliputiens, construisons-les donc à la verticale. Tandis que les banlieues lointaines, appliquant à la lettre la plaisanterie d'Alphonse Allais, construisent la ville à la campagne pour profiter des avantages que cette construction même fait disparaître, nous voulons, à Paris, importer la nature en pleine ville, quitte à la reconstruire entièrement.

Les murs végétaux, ou jardins verticaux, sont bien à la mode. On leur prête des vertus en ces temps d'écologie : ils protègent de la chaleur comme du froid, ils absorbent une partie de la pollution urbaine. Les réalisations et les projets se comptent par dizaines. La Mairie de Paris a défini un véritable « programme de murs végétalisés ». Pour un exemple, voir le dossier de presse du mur végétalisé de la rue Noguères, dans le 19e arrondissement.

Le spécialiste de ces murs est un certain Patrick Blanc (voir son site empêtré dans du Flash ou, plus lisible, un article de L'Express). C'est lui qui a conçu le plus célèbre des murs végétaux : celui qui recouvre, comme une fourrure, une façade du musée du Quai Branly.

On peut toutefois se demander, comme l'architecte-urbaniste Christa Aue (lire son article sur les murs végétaux), ce que ces jardins vont devenir lorsque les oiseaux, qui parfois nichent dans cette minuscule forêt vierge, vont transporter des graines d'un élément à l'autre du « jardin », brouillant ainsi une composition dont le paysagiste avait soigné les moindres détails...

On touche là au paradoxe de ces réalisations : élevés au nom de la nature et sous son apparence, les jardins verticaux sont des réalisations hautement artificielles, superbement technologiques ; plus encore que les vaches et les poules, ils ne peuvent subsister que par les soins continuels des humains, qui doivent les protéger de l'effet normal des cycles de la nature.

Cela n'empêche pas les urbanistes et paysagistes d'imaginer de nouvelles utilisations de cette nature recomposée. L'architecte Luc Schuiten propose (ici) de colmater avec des jardins verticaux toutes les brèches de Bruxelles : coins inutilisés, façades aveugles, espaces en devenir, lieux en déshérence.

Les murs végétaux, ce n'est pas une invention de l'an 2000. Ainsi au coin de la rue Monge et de la rue des Écoles, derrière l'ancienne École Polytechnique :

Il est vrai que la technique est ici traditionnelle : de simples pots, plus ou moins dissimulés sous les branches et les feuilles tombantes, sont accrochés à une grille. Les techniques contemporaines, elles, permettent des constructions plus légères sur une armature totalement invisible.

Publié par thbz (juillet 16, 2007) | Commentaires (11)


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