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juillet 22, 2021
22 juillet 2021 - - (lien permanent)
Daehan News
De 1945 à 1994, un programme d'informations officiel a été diffusé dans les salles de cinéma coréennes.
Le dernier programme, qui porte le numéro 2040, est un montage d'images des 2039 programmes précédents.
Puisqu'on ne comprend pas les commentaires, on peut le regarder sans le son et se laisser envoûter par une succession d'images à travers laquelle on devine la formation d'un pays ou, en tout cas, de l'image de ce pays. Un pays — ou une image — qui vit, qui se transforme, fait la guerre, rit et pleure, se modernise sans relâche, avance sans cesse.
Un montage rapide accentue encore le dynamisme des images, avec l'inlassable positivité des films de propagande.
On verra ainsi, accumulés comme dans un roman de Georges Perec :
- des paysans à l'ancienne :
... et juste après, des images de guerre ;
- Marylin Monroe souriante, forcément souriante :
- des scènes de rue ;
- des bus fabriqués à la main ;
- des promeneurs, des baigneurs dans une rivière, des patineurs ;
- une machine à tisser qui devient une usine ;
- des exercices de gymnastique collective et des adultes qui apprennent à lire ;
- la première élection de Miss Corée, et juste après, des lutteurs de ssireum :
- une tempête et des maisons dévastées et juste après, un grand portrait d'Eisenhower et des panneaux « We like Ike » ;
- une chanteuse de variétés ;
- Louis Armstrong, et puis une ménagère en costume traditionnel dans une cuisine à l'ancienne ;
- des soldats qui partent à la guerre, mais laquelle ?
- des foules partout ;
- le premier défilé de mode ;
- l'autoroute Séoul-Incheon, l'autoroute Séoul-Suwon, l'autoroute Séoul-Busan ;
- le concours national du plus beau bébé :
- une comédie musicale ;
- des enfants à la queue-leu-leu ;
- des cheveux trop longs, coupés ;
- les premières exportations de voiture :
... et l'instauration du « jour des exportations », qui chaque année célèbre le jour où, en novembre 1964, les exportations ont atteint le seuil de 100 millions de dollars (le seuil des 10 milliards de dollars sera dépassé en 1977) :
- une usine sidérurgique ;
- un immense rassemblement en juin 1983 devant le siège de la télévision publique :
... dans le cadre d'un programme télévisé historique, créé pour aider des familles séparées par la guerre à se reconstituer et qui a duré 138 jours :
- les foules encore plus grandes qui accueillent Jean-Paul II ;
- les Jeux olympiques de 1988, mon plus ancien souvenir de la Corée ;
- et pour finir, des Coréens admis aux Nations-Unies, forts de leurs gratte-ciels et de leurs usines robotisées :
... prêts désormais à sortir de leurs frontières et à parcourir l'Ouest américain comme l'Égypte millénaire, caméra au poing, témoins et acteurs du monde.
Publié par thbz at juillet 22, 2021 | Commentaires (0)
juillet 16, 2021
16 juillet 2021 - - (lien permanent)
L'immeuble qui cache la montagne
L'une de mes premières impressions en Corée était la similitude entre la ligne d'horizon des grands ensembles d'habitations et celle des montagnes. Cette ressemblance a parfois donné lieu à des conflits. C'est ce que montre un court film d'actualité (meilleure version sur Reddit) réalisé en 1994, qui montre la destruction des Namsan Foreigner Appartments, un grand ensemble construit vingt-deux ans plus tôt.
Cet immeuble présentait comme défaut de masquer une partie de la montagne de Namsan, située au centre de Séoul. C'est ce qu'indique la notice de la vidéo, publiée sur un site d'archives gouvernementales : « 서울 정도 600년 맞이 남산 제 모습 찾기 운동 일환으로 22년 만에 철거 » , ainsi que l'article de Wikipédia en coréen qui lui est consacré. Dès les premières images, l'immeuble paraît bien isolé, dominant le paysage urbain.
Un zoom spectaculaire, depuis l'autre rive du fleuve Han...
ne peut que nous convaincre...
... de la disproportion de cet immeuble par rapport à la ville et de présence impossible à ignorer dans le paysage de la montagne.
(Ici on passe sous silence la tour de Séoul qui domine la montagne de ses 236 mètres et, vite passé hors champ sur la gauche, le Grand Hyatt Seoul Hotel qui, l'une comme l'autre, impriment toujours aujourd'hui leur marque sur le paysage de Namsan :
Mais revenons au film.)
La plus grande partie du film est occupée par le mouvement ample et majestueux des deux ailes du bâtiment, qui s'effondrent l'une après l'autre, cachées par un nuage de fumée qui libère la vue sur Namsan...
... la tour de Séoul retrouvant un environnement entièrement vert.
Le film se termine par une vérification : oui, la vue depuis l'autre côté du fleuve est désormais libérée de la verrue des Namsan Foreigner Appartments. En outre le premier plan est désormais fleuri d'un luxuriant massif, alors qu'on ne voyait précédemment qu'un vague parking au premier plan du zoom.
Vingt-cinq ans plus tôt, la vision sur ce grand ensemble, alors en construction, était bien différente.
Dans un autre film d'actualité, le Premier ministre et d'autres dignitaires jetaient les premières pelletées de terre et la maquette exaltait la splendeur de l'immeuble. Il était également dit que l'immeuble, hébergeant des étrangers (c'est à dire des Américains) ferait rentrer des devises.
Son effet sur le paysage ne paraissait pas constituer un problème. Au contraire, les Namsan Foreigner Appartments étaient placés de manière à montrer à tous, en particulier depuis l'autoroute, l'excellence à laquelle était arrivée, dans la construction d'immeubles, une Corée en plein démarrage économique. Non seulement leur hauteur était alors inégalée, mais le chauffage était individuel, les aménagements intérieurs typiquement occidentaux, et un héliport occupait le toit pour les cas d'urgence, alors même qu'à cette époque-là le sol des rues de Séoul, souvent non pavé, se transformait en boue à chaque pluie.
Pourtant les Namsan Foreigner Appartments allaient bientôt apparaître, non comme un signe de cette modernité heureuse, mais comme une tache sur le paysage. En 1991, un « mouvement pour retrouver la forme de Namsan » (남산 제 모습 찾기 운동) est lancé par le maire de Séoul. Il s'agit de supprimer de la colline diverses installations, notamment militaires, et de « restaurer » la colonne.
Le consensus sur la destruction du bâtiment est rapidement atteint, mais l'indemnisation des occupants prend un peu de temps. Le 20 novembre 1994, enfin, la destruction de l'immeuble est diffusée en direct à la télévision. Des milliers de gens y assistent sur place avec des cris de joie. L'effondrement contrôlé illustre l'excellence et la modernité de la technique coréenne, exactement comme sa construction vingt-deux ans plus tôt. La destruction est une image phare de l'époque : elle occupe presque une minute sur les sept et demie de ce film de 1995 consacré aux manifestations tenues en cette même année 1994 pour célébrer le 600e anniversaire de Séoul.
Les Namsan Foreigner Appartments seront remplacés par un jardin botanique. De l'autre côté de la colline, un centre de commandement militaire placé face au centre historique est transformé à la même époque en village de ''hanok'', attraction touristique regroupant plusieurs maisons traditionnelles coréennes. Namsan est rendu à une fonction de loisir et de contemplation.
Comme le pin cuirassé du mont Nam (Namsan)
Qui monte la garde imperturbable
Dans le vent et le froid, que notre volonté soit sans faille !
Publié par thbz at juillet 16, 2021 | Commentaires (0)