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août 30, 2021

30 août 2021 - Corée - (lien permanent)

Gamcheon Cultural Village

Le terme « culture » (문화) est souvent utilisé en Corée : la culture va des tombes de rois anciens jusqu'à la pop coréenne, on peut en faire l'« expérience » à l'aéroport en zone duty-free dans pas moins de cinq espaces différents, mais le terme prend souvent un sens assez vague : les « logements culturels » (문화주택) désignaient autrefois des maisons modernes de type occidental, par opposition aux maisons traditionnelles anciennes (les unes comme les autres ont aujourd'hui disparu). Et l'une des principales attractions touristiques, à Busan, est le Gamcheon Cultural Village (감천문화마을), où le mot « cultural » semble plutôt correspondre à une tentative de donner une dimension artistique à un quartier déshérité, tout en préservant sa mémoire.

Du Gamcheon Cultural Village, on sait avant d'y aller que des maisons colorées y recouvrent les pentes d'une vallée étroite.

Si on s'en écarte un peu sur un chemin à l'entrée de la forêt (donc de la montagne), Gamcheon apparaît en effet comme un costume d'Arlequin de maisons basses aux couleurs variées derrière lesquelles s'étendent, par vagues successives, des baies traversées par des ponts suspendus, des nappes d'immeubles, des zones portuaires, des tours de 200, 300, 400 mètres. Le choc des métropoles, le contraste des dimensions et des esthétiques caractérisent Busan encore plus Séoul, parce que les montagnes y sont plus nombreuses, les tours souvent plus hautes, les quartiers de maisons basses plus nombreux autour de rues en escalier vertigineuses.


Gamcheon et la métropole

Mais si on visite réellement le quartier, Gamcheon est un collage de peintures murales (sans doute l'aspect « culture ») faciles à regarder, d'escaliers peints trop nombreux, de boutiques d'artistes et de « photo zones ».

La tentation est alors grande de s'aventurer dans les innombrables ruelles et escaliers, mais on s'y sent coupable (et une recherche Internet le confirmera) de déranger la quiétude des résidents, qui n'ont pas tous participé à la transformation du quartier en attraction touristique.

Car le quartier a plusieurs couches. Le costume d'Arlequin « culturel » n'est qu'une création récente, qui tente de freiner le déclin du quartier.

À l'origine, le site a été colonisé dans les années 1950 par des réfugiés accourus à Busan, seule ville du pays restée toujours sous le contrôle des Sud-Coréens et des Américains lors de la guerre de Corée. Les pentes de la ville ont alors été recouvertes de cabanes de fortune, qui parfois brûlaient et déclenchaient des incendies gigantesques. Un intéressant musée pas très éloigné de Gamcheon montre les conditions de vie et propose même la reconstitution d'une école de fortune sous une toile.


École pour réfugiés reconstituée

À la même époque (ou alors dès 1918 selon certaines sources), le quartier est devenu le siège du Taegeuk-do. Le Taegeuk-do est l'une des nombreuses religions locales qui reconnaissent comme Dieu suprême un certain Kang Jeungsan, qui a réordonné l'Univers et jugé les autres dieux avant de mourir en 1909, à l'âge de 38 ans. La religion s'est répandue parmi les réfugiés de la guerre de Corée, à qui il était promis des bonbons, des brosses à dents et du riz s'ils se convertissaient.

Cette religion a peut-être même joué un rôle dans l'urbanisme du quartier. Un panneau installé à l'entrée souligne que chaque maison a été construite de manière à ne pas bloquer la vue des maisons voisines, ce qui est une intéressante explication au paysage de damier que constitue aujourd'hui le village. Un pratiquant du Taegeuk-do explique que cette attitude d'attention aux autres était caractéristique de sa religion. Il me semble que cette organisation est assez naturelle sur un sol dont la pente est constante et où, chaque famille ayant sa propre maison, il est peu probable que les constructions s'élèvent au-delà d'un ou de deux niveaux.

Le quartier, éloigné du centre de Busan et mal desservi par les transports en commun, est resté pauvre et mal entretenu jusqu'aux années 1980 et les maisons abandonnées étaient nombreuses. Selon Namu-wiki, une variante de Wikipédia bien plus populaire que Wikipédia en Corée, plus de 21 000 personnes vivaient à Gamcheon en 1995, mais seulement 8 000 en 2016, dont une grande partie de personnes âgées.

En 2009, le ministère de la culture, des sports et du tourisme lance le projet « Dreaming of Busan Machu Picchu », avec l'objectif de créer une communauté locale dirigée par des résidents, des artistes et un bureau administratif. Des peintres sont ainsi recrutés pour ajouter des fresques sur les murs et les toits sont dotés de couleurs variées, mais toujours douces. Le résultat n'a pas grand-chose à voir avec Macchu Picchu et les visiteurs pensent plutôt à Santorin, à Mexico ou aux favelas.

Des points de vue ont été aménagés, des poissons colorés en mosaïque ont été accrochés aux murs pour baliser un chemin de promenade recommandé, les maisons vides ont été transformées en galeries d'art, des activités ont été mises en place pour donner aux visiteurs une expérience artistique, le tout sans toucher aux formes urbaines : les rues restent labyrinthiques, les escaliers malcommodes, et les maisons n'ont pas été remplacées par des gratte-ciels.

Par la suite, des programmes télévisés très populaires ont montré Gamcheon et Instagram est arrivé. Aujourd'hui, le succès est là. Malgré les pentes et l'éloignement, le quartier est un vaste photo zone. Selon Namu-wiki, les boutiques de franchises sont interdites à Gamcheon, car les bénéfices ne reviennent pas au quartier.

Le quartier a attiré 25 000 personnes en 2011, 304 000 en 2013, 1,4 million en 2015, selon ce document qui explique tout sur Gamcheon, et plus de 2 millions en 2019 selon Namu-wiki.

Toutefois, le résultat est assez accablant par endroit. Ce document sérieux présente comme une installation artistique une cabane avec une trou rectangulaire dans le mur, donnant un point de vue sur la vallée (que j'ai photographiée avec un peu de recul, de sorte qu'elle montre non pas les maisons pittoresques, mais un grand ensemble banal).


Photo zone

Le mauvais goût culmine avec une statue du Petit Prince, qui n'est reconnaissable que par son écharpe et le renard qui l'accompagne, auprès desquels on ne peut se faire photographier qu'après avoir fait la queue un long moment. J'avais déjà vu, en sortant du métro à vingt minutes de marche de là, un autre Petit Prince peint avec son renard, informant les passants qu'il était interdit de fumer.

Bien sûr, tous les résidents n'apprécient pas. Si leur participation au projet est largement mise en avant, ainsi que le reversement à la communauté d'une partie des bénéfices des commerces, beaucoup critiquent la venue de nombreux touristes qui ne respectent pas leur espace privé. Certains prennent en photo le linge qui sèche devant les maisons ou les chaussures posées sur le seuil. L'afflux des visiteurs gêne également la circulation, déjà difficile dans une vallée qui n'est accessible que par ses extrémités.

Certains résidents continuent donc à quitter le site et à laisser des maisons vides derrière eux. Il leur est en effet difficile de les vendre, car la source de la valeur d'une maison ou d'un appartement, en Corée, réside dans la perspective de construire à la place une tour ou un grand ensemble modernes. Or la pente très forte semble interdire la réalisation de ce type de projet. Il ne reste donc aux autorités qu'à faire venir encore des artistes supplémentaires pour occuper ces maisons vides, au moins le long des rues principales.

Le développement touristique va donc se poursuivre. Au sommet du village, à l'endroit où la route bascule vers une autre vallée, des banderoles de protestation qui ne craint pas de manier l'insulte (la décision du maire de l'arrondissement y est attribuée à son ivresse) dénoncent la construction d'un monorail qui détruira les maisons situées à cet endroit afin d'emmener des visiteurs jusqu'au sommet de la montagne voisine (326 mètres d'altitude). Il est vrai que depuis là-haut, le point de vue sur Gamcheon, mais aussi sur le front de mer et sur l'ensemble de la métropole de Busan, doit être à couper le souffle.

Publié par thbz at août 30, 2021 | Commentaires (0)


août 07, 2021

07 août 2021 - 13e arrondissement - (lien permanent)

Langage mural

Entre le mois de février et le mois d'avril derniers, plusieurs graffitis ressemblant à des messages codés sont apparus sur la palissade du chantier de la station Paris XIII du métro du Grand Paris. Chacun a été effacé au bout de quelques jours. J'en ai photographié trois ; peut-être y en a-t-il eu d'autres.

Il y a quelques jours, un message écrit dans le même code a été tracé sur un panneau publicitaire de la station de métro Maison-Blanche, juste en-dessous du chantier. Seuls quelques signes sont accompagnés de leur traduction.

Un examen rapide de ces inscriptions permet de conclure que chaque signe semble correspondre à un mot ou une signification et que les groupes de mots se lisent de droite à gauche. On peut deviner quelques éléments de vocabulaire :
* « le monde » : un carré divisé en quatre compartiments, rappelant l'idéogramme « champ » 田. Quelques diacritiques ajoutés transforment le monde en « réalité » ;
* « dans » : une barre oblique s'appuyant sur une autre barre oblique perpendiculaire ;
* « je » : une courbe ressemblant à la lettre grecque φ ;
* « image, imaginaire » : une sorte de 96 tourné de 90 degrés avec deux points au centre des deux boucles.


L'auteur et l'objectif restent inconnus. Une recherche sur Google sur les textes ne donne rien. Les voici, par ordre chronologique :
* fin février 2021 : « Dans le poudroiement / - INSOLENT - / de ce nouveau printemps »
* début mars 2021 : « Du château des dames / à la Tour des ... / Tout l'infâme fut dit ! »
* début avril 2021 : « J'aurai récompensé / de l'au-delà / ce que la réalité emprunte à l'imaginaire / n'est qu'humilité devant ma colère / Il me revient / un vieux langage / comme un refrain / de mon image / nous aurons été / l'excuse des mondes / la beauté en 1er / dans ce monde »
* juillet - août 2021 (métro) : « le chiffre est la farce ! / J'(peu lisible) »

Publié par thbz at août 07, 2021 | Commentaires (0)


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