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octobre 22, 2006

22 octobre 2006 - Paris - (lien permanent)

Les zig-zags du bus 91

Dans Le Monde daté d'aujourd'hui, un article décrit en page 3 la rénovation des couloirs de bus, sur le boulevard de Port-Royal, dans le cadre du projet Mobilien. Il raconte en particulier comment les voisins, d'un côté du boulevard comme de l'autre, ont pesé sur le choix de l'implantation : couloirs de bus de part et d'autre du boulevard comme il est d'usage, couloirs réunis au milieu du boulevard, couloirs réunis d'un côté ou de l'autre. Jusqu'au problème posé par un arbre bien mal placé à un carrefour, face au 93, boulevard de Port-Royal.

Le récit est stupéfiant lorsqu'il met en cause les petits combats des uns et des autres, mais il manque de clarté à cause du manque de photos. Je me suis donc rendu sur place. Voici de quoi il s'agit. La journaliste exagère peut-être de temps en temps, elle ne fait qu'un procès à charge. Mais tout de même, cela vaut le coup de s'y attarder un peu.

Nous sommes au carrefour de Port-Royal. Les bus arrivent de Montparnasse, au fond à gauche. Les deux voies passent au milieu de la chaussée, juste devant l'auguste Closerie des Lilas.

Zoom arrière : les bus qui, entre Montparnasse et Port-Royal, roulent au milieu de la chaussée , doivent traverser une voie de circulation automobile pour venir se placer du côté sud du boulevard (en bas de l'image). Ceci tout en traversant un carrefour déjà très complexe et fortement fréquenté :

Les bus s'engagent alors sur le boulevard de Port-Royal, qui marque la limite entre le 5e arrondissement (côté nord) et le 13e (côté sud). D'après l'article du Monde, les deux lignes de bus ont été regroupées sur le côté sud du boulevard parce que le 5e arrondissement ne voulait pas perdre ou déplacer son marché, situé sur le trottoir d'en face.

C'est comme cela que, devant le Val-de-Grâce :
- le bus qui vient de Montparnasse passe par une contre-allée, côté sud
- le bus qui vient de la Bastille, au lieu de passer dans une voie pour bus côté nord, passe lui aussi sur le côté sud mais dans une voie pour bus tracée sur le boulevard (en sens inverse de la circulation des voitures).

Voici l'endroit où commence cette contre-allée (à présent, Montparnasse est derrière nous, le Val de Grâce devant à gauche et la Maison des Adolescents devant à droite) :

On passe ensuite devant le Val de Grâce. Le marché se tient sur le trottoir d'en face. Enfin, pas aujourd'hui...

Enfin on arrive au cœur du sujet : le 93, boulevard de Port-Royal. Le bus qui descend le boulevard quitte sa contre-allée pour revenir sur le boulevard lui-même :

Pourtant la contre-allée existe toujours : on la voit sur la droite de la photo. Simplement, elle est interdite aux bus et à toute circulation, sauf aux habitants du boulevard. D'après l'article du Monde, cette interdiction résulte du lobbying d'un Grantécrivain qui ne voulait pas que le bus passe (passât ?) au ras de son café. Voici le café. Voici le panneau.

Quelqu'un a collé l'article du Monde sur l'arbre afin de protester contre l'abattage de l'arbre, qui devrait avoir lieu dans quelques jours. Il a aussi accroché cette pancarte :

Encore un petit panorama, parce que cet endroit le vaut bien.

Et le bus qui fait son zig-zag pour éviter l'arbre, devant des curieux qui, comme moi, ont lu l'article dans le Monde hier :

Cette ligne fait partie du projet Mobilien, dont les intentions étaient à l'origine de faciliter le trajet en bus sur certaines lignes stratégiques. Or la mise en œuvre de ce projet a rencontré des résistances de la part des voisins. Depuis sa réalisation, les plaintes se sont multipliées. La ligne 91, en particulier, semble avoir pour objectif de mécontenter tout le monde entre Montparnasse et la Gare d'Austerlitz : les automobilistes qui perdent des voies de circulation et doivent prendre garde au plan de circulation erratique des bus, mais aussi les piétons qui ont beaucoup plus de mal à traverser la rue, les vélos qui se retrouvent enfermés dans des couloirs de bus dont il est très difficile de sortir, les usagers du bus eux-mêmes qui doivent rejoindre des arrêts situés en plein milieu de la chaussée et non sur le trottoir. La règle traditionnelle, qui veut que les véhicules les plus lents circulent à droite de la chaussée et les plus rapides au milieu, avait peut-être du bon...

Mise à jour, 1er décembre 2006 :

Comme l'a indiqué JC dans son commentaire ci-dessous, les pouvoirs publics ont bien abattu le platane. Il a suffi d'une couche de goudron pour que l'on oublie qu'il y a eu un arbre à cet emplacement. Le bus, quant à lui, fait toujours son pas de côté, tel l'écarteur dans la course landaise :

Publié par thbz (octobre 22, 2006) | Commentaires (9)


octobre 17, 2006

17 octobre 2006 - Divers - (lien permanent)

Google Fight et le christ1anisme

Google Fight est un de ces sites qui doivent leur succès à une idée très simple : il permet de saisir deux termes, lance une recherche sur Google et indique lequel de ces deux termes a obtenu le plus de résultats. Il indique aussi les 20 derniers « combats » faits par des internautes sur le site.

Sur un forum marocain, un internaute signale qu'il a tapé « islam vs. christianisme » dans Google Fight et que ce « combat » n'est pas apparu dans la liste des 20 dernières requêtes. Il trouve cela bizarre. Le sous-entendu est clair : y aurait-il censure ?

Je souris devant la paranoïa de cet internaute. Je ne peux tout de même m'empêcher d'aller faire un tour sur Google Fight pour vérifier qu'il se trompe. Je fais d'abord une première requête au hasard. Puis je lance la requête « islam vs. christianisme », qui donne la « victoire » au mot islam pour la raison toute simple que ce mot a la même forme en anglais qu'en français et dans de nombreuses autres langues : les résultats sont donc bien plus nombreux. Je clique juste après sur « Les 20 derniers combats » : la première requête apparaît dans la liste, pas la seconde.

Ah...

Après quelques autres tests, il n'y a plus de doute. Google Fight n'affiche pas toutes les requêtes dans cette liste. La censure ne porte pas sur le mot « islam » (je vois ainsi passer une requête « islam vs. athéisme », que je n'ai pas lancée moi-même), mais sur le mot « christianisme ». Plus précisément sur la chaîne de caractères « christian ». Il suffit de taper « christ1an » au lieu de « christian » pour que le mot apparaisse dans la liste des 20 derniers appels.

Pas d'explication particulière. La paranoïa est du côté de Google Fight...

Il faut noter que Google Fight n'est pas du tout lié à Google.

Publié par thbz (octobre 17, 2006) | Commentaires (3)


octobre 02, 2006

02 octobre 2006 - Arts, architecture... - Italie - Plus - (lien permanent)

Grotesques

À Florence, sur un plafond du Palazzo Vecchio, une femme, coiffée d'une fleur, se tient en équilibre sur une autre fleur. Elle porte sur son bras un voile, un manteau qui ressemble lui encore à une fleur :

En réalité la fleur qui la soutient est plantée dans un socle en pierre, duquel partent deux longs foulards reliés à un dais. Ce dais est soutenu par quatre êtres composés d'un torse de femme et d'un visage, sans autres membres. Ils ne reposent que sur de très fines tiges :

Reculons encore un peu. Au-dessus de ce dais, des angelots, un autre monstre, à droite des servantes, un feu, un autre dais, d'autres monstres ailés ou non, deux oiseaux au long cou peints sur un fond rouge pompéïen, un personnage dans un grand médaillon :

Dans le monde de l'art grotesque, tout est relié à tout, depuis ces membres humains et animaux assemblés au sein de corps monstrueux jusqu'à un vaste réseau d'êtres vivants, de végétaux et d'éléments architecturaux qui couvre la totalité du mur ou du plafond. Une scène en inclut elle-même d'autres. Sur les plafonds de la galerie des Offices, on verra des petits paysages, de faux tableaux classiques, des scènes de guerre ou d'amour : tandis que les Médicis accrochent sur les murs les plus grands chefs d'œuvre du monde connu, leurs décorateurs peignent sur les plafonds du couloir la parodie de ce musée.

Les lois de la gravité sont remises en cause : les créatures sans membres sont trop grosses pour être soutenues par les piliers filiformes, trop faibles pour soutenir le dais. La verticalité du dais et la position des personnages montrent toutefois qu'il y a toujours un haut et un bas, une force qui va de l'un vers l'autre et courbe les tissus suspendus. Les objets tomberaient s'ils n'étaient pas soutenus ; mais le support le plus infime suffit à les retenir. La pesanteur existe toujours mais n'obéit plus à un corpus de lois physiques cohérent.

Du coup il n'y a plus d'effet ni de cause. Les créatures sans membres soutiennent-elles le dais ou y sont-elles au contraire accrochées ? Dans ce vitrail d'Ecouen, pourquoi le satyre joue-t-il du cor ? Le monstre à la tête d'enfant qui tient un coquillage est-il une sirène dangereuse ou un ange gardien ?

Sur un fond uni blanc, les grotesques tracent un décor en deux dimensions sans aucune profondeur. C'est justement parce qu'on voit tout que la scène est aussi étrange : tout est devant nous et pourtant nous n'y comprenons rien. Dans ce monde transparent, nous ne pouvons pas imaginer quelque chose, derrière, qui puisse donner un sens au dispositif absurde du premier plan.

Les personnages et les objets sont disposés selon des axes horizontaux et verticaux, jamais en diagonale. Ils se répartissent dans une symétrie parfaite de part et d'autre de chaque côté d'un axe central. Ces moyens d'organisation rationnelle, appliqués avec exagération, sont pervertis de leur mission. Au lieu de produire du sens, ils servent à construire des carnavals aberrants.

Parfois, pourtant, l'observateur croit reconnaître une allusion mythologique, la représentation allégorique d'un sentiment moral ou le rappel d'un fait historique. Ces lectures sont toujours incertaines : le sens ne se dégage jamais complètement de la multitude des indices contradictoires. Les grotesques mettent à l'épreuve, stimulent et au bout du compte ridiculisent notre volonté de tout comprendre :

Ce monde fou prend son origine dans un incident infime. Vers 1480, un jeune habitant de Rome, du côté du Forum, tombe dans un trou qui donne sur une cavité étrange. Sur ses parois, les artistes de passage contemplent fascinés, à la lumière de la chandelle, des décors étourdissants de légèreté et d'invention, de folie contrôlée. C'est la Domus aurea, le palais gigantesque et extravagant que Néron s'est construit sur les ruines de Rome. Mais les hommes de la fin du XIVe siècle l'ignorent. Pour eux ce n'est qu'une « grotte » et ils vont, en imitant ces formes, couvrir des murs et des plafonds dans le style a grottesca. Signorelli, parmi les premiers, introduit ces fantaisies dans les interstices de son très sérieux chef d'œuvre, le Jugement dernier d'Orvieto :

Raphaël et Giovanni da Udine en décorent les Loges du Vatican, pour le plaisir personnel du Pape. Les céramistes italiens les imitent dans des décors a raffaellesche que l'on trouve encore aujourd'hui à tous les coins de rue de Florence et de Sienne :

À Florence, les grotesques conviennent à merveille à l'esprit maniériste qui domine le XVIe siècle de Pontormo et de Vasari. Vasari, premier historien de l'art, décore de grotesques le Palazzo Vecchio et construit juste à côté le premier musée d'Europe : la galerie des Offices. Ses successeurs ornent le plafond de la galerie avec 150 mètres de grotesques répartis en 44 baies :

Où peut-on voir des grotesques en France ? Un peu partout. À Fontainebleau, où les rois du XVIe siècle ont ramené d'Italie, avec quelques-uns des plus grands artistes du pays, la nouveauté grotesque. Au château de Chantilly, qui en a orné des pièces entières, dont un extraordinaire cabinet de singes. Au Louvre, où on expose un carrelage et un vitrail grotesques. L'art des grotesques, art mineur qui attire peu l'attention, s'est développé tranquillement sur les murs et les plafonds français. Vers 1700, Jean Berain en a proposé une variante fameuse qui s'est largement diffusée sous son nom, depuis les palais royaux jusqu'aux assiettes de faïence.

En fait les grotesques sont partout. Il faut juste lever les yeux lorsqu'on visite un bâtiment ancien. Il faut penser à regarder, dans les palais, non seulement les tableaux décrits dans les guides mais aussi tout ce qui ne porte pas de notice d'explication. Les grotesques ne s'expliquent pas, c'est leur raison d'être.

Source des illustrations : quelques photos prises au Louvre et au Palazzo Vecchio, une assiette achetée à Spello, un livret sur les plafonds de la Galerie des Offices, un autre sur Signorelli à Orvieto...

Publié par thbz (octobre 02, 2006) | Commentaires (13)


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