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juin 05, 2022

05 juin 2022 - - (lien permanent)

Colbert, protecteur des arts

C'est un tableau exposé au château de Sceaux.

Le sujet apparaît vite. Le domaine de Sceaux est l'ancienne propriété de Colbert, c'est bien Colbert qui est représenté dans le médaillon en haut à gauche. Il domine des peintres et des musiciens : c'est donc une représentation de Colbert, protecteur des arts.

Le carton de l'œuvre confirme que c'est exactement le titre attribué au tableau : « Colbert, protecteur des arts » (Atkinson Art Gallery de Southport, en dépôt à Sceaux), peint par Nicolas Loir. Le tableau date de 1670, à la grande époque de Louis XIV. Depuis quelques années, Colbert a réorganisé l'Académie royale de peinture et de sculpture pour en faire un instrument au service de la glorification du roi. Nicolas Loir est académicien et participe à ce projet, dans lequel Charles Le Brun joue le rôle principal en supervisant la décoration de Versailles. Tout cadre.

Sauf que, en regardant de près au premier plan, on voit un angelot qui attaque un homme allongé sur le dos avec une torche enflammée :

La signification est obscure. Dans un tableau à la gloire de Colbert, il ne peut s'agir que d'un ennemi du ministre ou du roi. La torche apparaît couramment dans les allégories de la Paix, où elle sert à brûler un amas d'armes afin de mettre fin à la violence. Ici, rien de tel : l'homme renversé est jeune et vigoureux comme Mars, mais loin de porter des armes, c'est un simple carton à dessins qu'il lâche à demi sous l'emprise de l'enfant menaçant.

Une piste se dessine, hasardeuse : l'homme symboliserait le Dessin et le tableau serait une prise de position favorable au Coloris, dans la grande querelle du coloris qui a animé de manière particulièrement vive les débats de l'Académie, lors des conférences publiques dont le principe avait été voulu par Colbert lui-même, qui parfois même y assistait.

Cette hypothèse, selon laquelle le peintre tenterait de rallier Colbert à sa cause, est certainement fantaisiste. La querelle du coloris s'est enflammée l'année suivante, en 1671, et j'ignore si Nicolas Loir était poussiniste (favorable au dessin) ou rubéniste (à la couleur). La clarté de la composition et la solide beauté antique des figures féminines me paraissent plus proches de Poussin que de Rubens.

Et surtout, la femme de gauche, loin d'étaler des couleurs sur sa toile en soignant les clairs-obscurs, n'en est qu'à l'étape du dessin. Quant au tableau exposé à droite, il est lui aussi consacré au dessin :

On y voit un homme tracer du bout d'un grand pinceau le contour de sa propre ombre sur un rocher. C'est certainement une variante sur la légende de l'origine de la peinture racontée par Pline l'ancien. Ce tableau est l'élément le plus visible de la partie droite du tableau, il est regardé par le musicien suspendu dans les airs et présenté par la femme à la robe violette à Colbert, par l'intermédiaire de son portrait.

Donc d'un côté l'origine de la peinture dans un tableau achevé et prêt à être encadré, de l'autre un portrait de Colbert à peine esquissé, et entre les deux, un carton de dessins frappé d'indignité.

Quatre ans plus tôt, Nicolas Loir avait peint un tableau sur « le progrès du dessin sous le règne de Louis XIV ». La composition était similaire, avec le roi dans le médaillon et non le ministre. Dans ce tableau également, un personnage masculin semblait être mis en fuite par un angelot, mais placé au second plan.

Cette figure de l'homme terrassé reste donc mystérieuse.

Le tableau est peu connu, je ne trouve aucune information sur le Web (un tweet d'Adrien Goetz). La prochaine personne qui le cherchera sur Google tombera peut-être ici et aura peut-être une explication à fournir ou, du moins, à proposer.

Publié par thbz (juin 05, 2022) | Commentaires (0)


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