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août 30, 2023
30 août 2023 - États-Unis - (lien permanent)
Les trottoirs de New York
Il est difficile de trouver une vraie, grande place publique à New York. Les gens se retrouvent certes à Times Square, partiellement réservé aux piétons, sur l'esplanade du Rockefeller Center ou du côté du Lincoln Center, mais il y manque ces espaces publics vastes que l'on retrouve dans les villes européennes, à peu près vides la plupart du temps, sans affectation précise et donc susceptibles d'accueillir les activités les plus diverses.
Du coup, ce sont les trottoirs qui, à New York, jouent le rôle de nos grandes places publiques (Gotham Gazette, The Sidewalks of New York).
Toutes les rues, à Manhattan, sont bordées de trottoirs de chaque côté. Rien de surprenant pour un Parisien, mais ce n'est pas le cas dans toutes les grandes métropoles. À Séoul, les petites rues sont souvent dépourvues de trottoirs et on doit marcher en évitant aussi bien les voitures, heureusement assez rares dans ces quartiers, que les commerces qui n'hésitent pas à déborder sur la chaussée.
Assez larges, bien organisés, les trottoirs new-yorkais permettent en effet la déambulation des badauds qui, à Paris, est quelque peu entravée par la multiplication des occupations spécifiques, telles que les « pistes » cyclables délimitées par un simple trait sur le sol, ou l'omniprésence des piquets métalliques.
L'aspect des trottoirs est le résultat d'un mode de gestion plutôt surprenant pour les Français, puisqu'il fait intervenir les riverains eux-mêmes, soumis à une régulation forte de la part de la puissance publique.
L'entretien des trottoirs relève en effet de la responsabilité des propriétaires des immeubles voisins. Ils doivent, à leurs frais, réparer le sol, balayer et retirer les ordures, ainsi que la neige (NYC Sidewalks: A Property Owner's Guide). Ils sont responsables des accidents causés par le mauvais état des trottoirs (New York City Administrative Code, § 7-210).
La cité de New York n'assure l'entretien et la réparation des trottoirs que lorsqu'ils bordent des terrains qui lui appartiennent ou des maisons de trois familles au maximum, soit moins de 1 % de la surface totale des trottoirs.
Cette responsabilité des riverains ne signifie pas que la puissance publique est absente. Au contraire, la ville de New York publie un Street Design Manual qui définit dans tous leurs détails l'organisation des rues et en particulier des trottoirs : matériaux, éclairage, mobilier urbain, arbres et autres éléments paysagers...
Ce guide explique ainsi que le mobilier urbain est placé systématiquement dans la section du trottoir qui longe la chaussée, de manière à laisser le reste du trottoir aux piétons car la marche est « le moyen de transport le plus utilisé à New York City ».
Les instructions sont très détaillées : la zone située à moins de 18 pouces de la bordure du trottoir doit être libre de tout obstacle, rien ne doit être placé dans le quadrant d'angle, et ainsi de suite. Comme à Paris, des rampes pour personnes en chaise roulante (ou valises) sont installées à chaque passage pour piéton.
Le mobilier urbain ressemble à celui qu'on trouve à Paris : les bancs sont tout aussi hostiles aux sans-abris qu'à Paris et la mauvaise graine des faux bancs s'y répand également. Les abribus sont signés JC Decaux ; de même, les horodateurs, fournis par la société française Flowbird, sont exactement identiques à ceux qu'on voit à Paris. On trouve également des équipements pour garer les vélos personnels ou de location ou recharger les véhicules électriques.
Les trottoirs de New York se distinguent toutefois de ceux de Paris par la présence de sièges temporaires gérés par les commerces. Les cabines téléphoniques ont été remplacées par des grands panneaux qui fournissent à la fois des informations, un accès Wifi, une borne d'appel pour les services d'urgence et un port de charge pour les téléphones ; certains panneaux, quelque peu surdimensionnés, ne comportent qu'un plan. On trouve de tout dans les kiosques à journaux, sauf des journaux : je n'ai pu acheter le New Yorker qu'à l'aéroport, le jour du départ. Les distributeurs de journaux et prospectus, toutefois, sont toujours là.
Le trottoir est ainsi organisé de manière aussi systématique et claire que la grille des rues de Manhattan, tracée au nord de Houston Street et de la 14e rue.
Dans ce cadre peut se déployer une autre catégorie d'usage du trottoir que les piétons, mais en lien direct avec eux : les vendeurs de rue. Les plus visibles sont des vendeurs de « halal food », dénomination générique qui recouvre des plats plus ou moins originaires du Proche-Orient, voire de l'Orient en général. Cette cuisine de rue a été inventée par des Égyptiens qui pensaient vendre leurs plats bon marché à leurs compatriotes chauffeurs de taxi, et qui les servent aujourd'hui à tous les New-Yorkais.
Il est plus facile, aujourd'hui, de trouver à New York un « chicken and rice » halal qu'un hot dog. Pour le consommer, il n'est même pas nécessaire de le ramener chez soi ou à son bureau : des sièges sont disponibles un peu partout, et même, bien souvent, des tables de pique-nique.
Ces vendeurs de rue sont soumis à des régulations précises. Leurs véhicules (lorsqu'ils sont mobiles) ou leurs stands doivent être placés dans la partie de la rue qui borde la chaussée, à une distance minimale des entrées de bâtiments ou des accès au métro, et ne peuvent dépasser certaines dimensions.
Le nombre total des licences pour les vendeurs de rue est de 23 000 (Street Vendors in New York City, Street Vending Advisory Board, 2022). Certaines licences sont réservées à des vétérans de guerre, mais les « vendors of expressive matter » ou « First Amendment vendors », eux, peuvent s'installer librement au nom de la liberté d'expression : aucune licence n'est demandée pour vendre dans la rue des livres, des journaux ou des périodiques.
L'ensemble de ces règles contribuent en fait à la lisibilité des trottoirs en alignant ces équipements le long de la chaussée, sans gêner la circulation des piétons comme le font les terrasses de café à Paris. À New York, en période de Covid, un nouveau régime d'autorisation a certes été créé afin de permettre aux restaurants d'installer des tables le long de la chaussée, mais en préservant un passage de 8 pieds pour les piétons (NYC's New Permanent Outdoor Dining Program). Ce régime vient d'être pérennisé, mais avec l'obligation de démonter ces structures l'hiver et avec les protestations d'une partie des habitants: "For residents, it's less curb space, less sidewalk space, less roadbed space, less space to get up and down the block, less quiet, less emergency access. It's just less. It's more for one industry, less for everybody else." (AB7NY, New rules go into effect as outdoor dining becomes permanent in NYC).
Si toutefois le trottoir new-yorkais est une telle réussite, il le doit aussi à son caractère rectiligne : si l'espace paraît si dégagé, c'est aussi parce que la rue est longue et droite et que la vue est aussi libre que les mouvements. Dans un quadrillage parfait de Manhattan, elle serait longue de plus de 15 kilomètres, du sud au nord. Bordée de gratte-ciels qui cachent presque le ciel, certes : mais tout au fond on aperçoit l'horizon et, parfois, un bras de mer. Pas d'urbanisme de dalle, pas de séparation des fonctions : le même chemin dessert une maison de ville, un gratte-ciel de bureaux, un théâtre. Dans une ville où les immeubles se mesurent aux formations géologiques, le trottoir, lui, reste à l'échelle des humains.
Publié par thbz (août 30, 2023) | Commentaires (0)