« janvier 2015 | Accueil | mars 2015 »
février 28, 2015
28 février 2015 - Corée - (lien permanent)
Drapeau du 1er mars
Après le 3 octobre, le 1er mars est une autre date à laquelle les drapeaux nationaux se montrent dans les rues de Séoul.
Il s'agit cette fois-ci de commémorer le 1er mars 1919, date d'un important soulèvement contre l'occupant japonais. C'est une date suffisamment connue pour qu'on la désigne simplement par deux chiffres : « 3·1 » (삼일절), comme le 6·25 (début de la guerre de Corée le 25 juin 1950), le 4·19 (soulèvement étudiant du 19 avril 1960 qui a entraîné la chute d'une dictature), le 5·18 (soulèvement de Gwangju contre une autre dictature, le 18 mai 1980), et depuis l'an dernier le 4·16 (naufrage du navire Sewol).
Parmi ces dates, seul le 1er mars fait partie des jours fériés nationaux, lors desquels il est habituel de placer le drapeau national à la fenêtre de son logement.
Une chaîne d'information en continu, YTN, interroge des passants (attention, démarrage automatique de vidéo) à Séoul et dans les environs. Une jeune femme déclare qu'elle va hisser le drapeau, naturellement ; un homme âgé explique que c'est un fondement de la fierté et de l'indépendance du peuple coréen (il utilise le mot minjok, qui signifie à la fois peuple et race). Un homme plus jeune, manifestement gêné, dit qu'il ne va pas le faire parce que la situation est difficile pour les travailleurs ; enfin une mère de famille explique qu'il n'y a pas chez elle d'emplacement pour l'accrocher.
Enfin un professeur d'université estime que les manifestations de patriotisme ont plus de valeur si elles sont spontanées que si on oblige chacun à hisser le drapeau.
Pendant ce temps, à Séoul une association manifeste, enfants en tête, pour encourager les citoyens à brandir le drapeau :
L'affaire du drapeau ne fait pas consensus. C'est en principe une obligation légale. Toutefois cette obligation n'est que très partiellement respectée en pratique, l'une des raisons semblant être que tous les immeubles ne disposent pas d'emplacements pour disposer le drapeau.
C'est pourquoi, selon un journal (en coréen), le Gouvernement aurait un projet de rendre obligatoire la création de supports pour les drapeaux à chaque entrée de bâtiment résidentiel. Cette information a été fortement contestée et le Gouvernement a affirmé ne pas avoir une telle intention.
Il n'en reste pas moins que le Gouvernement soutient le déploiement le plus généralisé possible du drapeau lors de ces dates. Et la présidente a récemment manifesté une certaine nostalgie à l'égard de l'époque où tous les Coréens s'arrêtaient deux fois par jour pour saluer le drapeau. À l'époque, son père était le dictateur du pays.
Publié par thbz (février 28, 2015) | Commentaires (0)
février 16, 2015
16 février 2015 - Corée - (lien permanent)
Nanjido, la dernière montagne de Séoul
Nanjido est une colline de l'arrondissement de Mapo, à l'ouest de Séoul. On y accède par un escalier de 290 marches pour aller se promener au sommet, d'où l'on peut contempler la rivière Han d'un côté, la ville Séoul de l'autre et le massif de Bukhansan au loin. Le sommet est aménagé en parc : épicerie, toilettes publiques, bancs : rien n'y manque.
Pourquoi parler de Nanjido ? Des dizaines de collines sont ainsi parsemées dans l'immense surface de la capitale coréenne. Certaines sont couvertes de maisons et striées de rues vertigineuses : elles disparaissent dans le paysage urbain. La plupart, semblables à de petites montagnes avec leurs pentes raides et rocailleuses, sont plantées d'arbres et aménagées en agréables parcs, avec des sentiers bien tracés, des lieux de repos, des points de vue, des aires dédiées à la gymnastique. Aussi indispensables au paysage urbain que les voies rapides et les nappes d'immeubles illimitées qui se coulent à leurs pieds, elles offrent une pause bienvenue dans le tumulte urbain.
Si je parle ici de Nanjido, c'est que cette colline ne date ni du Trias Inférieur, ni du Paléocène, mais de l'Anthropocène, ou pour mieux dire du Molysmocène : l'Âge des Déchets.
Dans les temps anciens, pourtant, c'est à dire jusqu'aux années 1960, Nanjido était une île dépassant à peine du fleuve Han, renommée pour ses champs fleuris ; les enfants allaient y nager en écoutant le champ des cigales. C'est ce que raconte peu près Hymne à Mapo (마포찬가), beau livre consacré à l'histoire de l'arrondissement.
On l'appelait aussi « l'Île aux Fleurs » (꽃섬), comme celle du film de Jorge Furtado dont j'ai parlé un jour. Et justement...
Justement, la Corée s'est développée et Séoul s'est étendue. Les vieux quartiers ont été rasés et remplacés par des immeubles qui ont également envahi les champs. Non seulement la population s'est multipliée — 1,5 million d'habitants en 1955, 10 millions en 1990 —, mais elle a découvert l'abondance et la société de consommation, c'est à dire la possibilité d'acheter et de jeter chaque année un peu plus que l'année précédente.
Bientôt il a fallu trouver un lieu pour déverser les déchets de la capitale. C'est à Nanjido qu'on les a envoyés, pendant une quinzaine d'années de 1978 à 1992. Ainsi la petite île, désormais reliée au continent, a-t-elle pris de la hauteur, de plus en plus de hauteur : jusqu'à 90 mètres, sur une superficie de près de trois kilomètres carrés.
Le quotidien Joongang Ilbo, le 12 septembre 1991, dresse un tableau inquiétant de la situation : dans le quartier voisin de Sangam, « la poussière des déchets envahit le ciel comme les toits. Une odeur infecte s'en dégage et pénètre les maisons, suivie par les mouches. Chaque jour, 30 000 tonnes de déchets produits par les habitants de Séoul viennent s'accumuler à Nanjido... ». La fermeture de la décharge a été promise pour la fin 1986, puis pour 1988, 1990... Pendant ce temps les matières organiques se décomposent, le méthane s'accumule en poche, explose parfois et prend feu. L'article conclut en présentant Sangam comme l'un des quartiers les plus dégradés de Séoul.
Mais certains vivaient de la décharge elle-même. Du matin au soir ils creusaient les piles de déchets pour récupérer tout ce qui pouvait avoir un usage :
Et puis tout a changé, une fois de plus.
La décharge a été fermée en 1992, le sommet a été aménagé en parc. Une partie s'appelle « Haneul Park » (le parc du Ciel), et l'autre « Noeul Park » (le parc du Crépuscule). Des arbres plantés sur ses pentes ont donné à cette énorme butte, malgré son anormal plateau, l'aspect des autres collines de Séoul. Ainsi a-t-on pu, dès 2002, accueillir des centaines de milliers de visiteurs dans le Stade de la Coupe du Monde, construit devant la nouvelle colline. Des équipements sportifs ont été installés au sommet du parc comme à son pied, du côté du fleuve, où on peut pique-niquer ou même faire du camping.
Le parc attire des foules considérables au mois d'octobre, lors du « festival du roseau » : les dimensions généreuses du roseau de Chine ou herbe à éléphant s'enrichissent alors des couleurs de l'automne. Sur plusieurs hectares on se promène au milieu des allées, la taille des roseaux assurant une semi-intimité partagée avec quelques milliers d'autres couples. Puis on redescend en file indienne par l'escalier monumental qui ramène au parc du Stade de la Coupe du Monde, lui-même jaunissant et rougeoyant.
Quelque temps après, le vaste plateau ressemble à un immense champ moissonné (février 2015) :
Pendant ce temps, les déchets organiques ensevelis sous les pieds des promeneurs continuent à produire du gaz. De grosses canalisations, dont l'approche est interdite, parcourent la colline pour détourner ce méthane vers les quartiers environnants dont il assure le chauffage.
L'immense décharge à ciel ouvert est ainsi devenue un exemple de reconversion environnementale, comme, presque en face au milieu de la rivière, la station d'épuration de Seonyu-do, dont j'ai déjà décrit la transformation en jardin. Il y a même un projet d'ascenseur transparent au cœur de la montagne, qui permettrait de voir par soi-même les strates de déchets accumulées pendant quinze ans.
Cette colline a rejoint le paysage de Séoul. Les promeneurs ne se préoccupent pas plus de son âge que les skieurs de Val d'Isère ne s'intéressent à la formation des Alpes. Pas besoin d'avoir la foi : les déchets suffisent à déplacer les montagnes et l'Anthropocène ne transforme pas seulement le climat, mais la géologie elle-même.
L'idée de transformer une décharge publique en parc doit être aussi ancienne que les décharges publiques elles-mêmes : la butte Coypeau, dans le Jardin des Plantes à Paris, est un ancien dépotoir médiéval. Un peu partout de nos jours, on transforme des décharges publiques en parcs : à Tel-Aviv, à Alger, à Medellin... D'après Martine Tabeaud et Grégory Hamez (Les métamorphoses du déchet, introduction), le point culminant de l'Île-de-France comme celui de New York sont des piles de déchets. Celle de New York culmine à plus de 200 mètres et sera bientôt remplacée par un parc trois fois plus étendu que Central Park.
L'exemple de Séoul n'est donc pas unique ; il n'en est pas moins une belle réussite.
Quant à Sangam, l'ancien quartier contaminé par les odeurs de la décharge attire désormais les classes supérieures et les grandes entreprises. Aucune trace des habitations anciennes, remplacées par des dizaines de barres de logements aux noms génériques : « Sangam World Cup Park 1 », « Sangam World Cup Park 2 », « Sangam World Cup Park 3 »... Et la construction récente d'une Digital Media City, ostensiblement futuriste, en fait l'un des nouveaux quartiers branchés de Séoul. On y trouve les sièges des grandes chaînes de télévision ainsi que le musée du cinéma, doté d'une cinémathèque de qualité.
(Cette histoire ne dit pas ce que sont devenus les anciens habitants de Sangam. Ont-ils, comme ceux de Gangnam, dû déménager un peu plus loin ?)
P.S. (février 2023) : l'un des écrivains coréens les plus célèbres, Hwang Sok-yong, a publié en 2011 un roman, Toutes les choses de notre vie, consacré aux chiffonniers de l'Île aux Fleurs, qui récupèrent les restes du développement d'une ville à laquelle ils n'ont plus guère accès à cause de l'odeur qui imprègne leurs vêtements et leur corps même.
Publié par thbz (février 16, 2015) | Commentaires (2)
février 10, 2015
10 février 2015 - Corée - (lien permanent)
Le palais et le bidonville
Une histoire faite de ruptures et de destructions engendre un pays de contrastes. Si ce pays réunit moins du centième de la population mondiale, mais qu'il possède l'une des plus grandes villes du monde, on ne sera pas surpris de trouver ces contrastes accumulés dans cette métropole comme les moraines le long d'un glacier.
Au loin, dans la brume, c'est Tower Palace. Lorsque j'ai vu ce complexe résidentiel pour la première fois en 2007, il comprenait la plus haute tour de Corée, avec 264 mètres — depuis, neuf autres tours l'ont dépassée. Un entreprise dont le nom est inspiré de Goethe construit en ce moment, à quelques kilomètres de là, une tour qui sera deux fois plus haute que celle-ci, mais qui sera dépassée par un projet que Hyundai vient d'annoncer.
Les duplex de 400 mètres carrés, au sommet de Tower Palace, font partie des logements plus chers de Corée. À l'intérieur tout est automatisé et sécurisé. La vue doit être splendide depuis le sommet, avec d'un côté Guryong-san, grande colline qui culmine à peu près à la même hauteur que les gratte-ciels, et de l'autre l'immense océan urbain de Séoul et l'archipel de ses montagnes.
L'urbanisation de Gangnam, des années 1960 aux années 2000, est l'une des réalisations gigantesques qui caractériseront le 20e et le début du 21e siècles aux yeux des siècles ultérieurs, lorsque le monde aura perdu l'habitude de croître aussi vite — projet à la mesure de l'extraordinaire effort de développement accompli par la Corée à la même période. Sur des kilomètres et des kilomètres, on a tracé de très larges avenues se coupant à angle droit, délimitant des carrés d'environ 500 mètres de côté. L'ancienne périphérie agricole de Séoul, à peine habitée, s'est couverte de grands ensembles à la coréenne. Elle en est devenue le quartier chic, attirant les habitants les plus riches grâce à l'implantation d'écoles de bonne réputation. Le luxe progressant avec le développement du pays, les quartiers les plus recherchés sont souvent les plus récents et les plus éloignés.
Gangnam connaît son apothéose au milieu des années 2000 avec la construction de Tower Palace. Et au début des années 2010, lorsque deux milliards de personnes rient et se trémoussent sur Gangnam Style.
Toutefois, si les habitants des duplex jettent un coup d'œil vers le sud, ils risquent d'apercevoir, à travers la brume, un quartier qui est l'envers de Gangnam et sa conséquence : le bidonville de Guryong, au premier plan sur la photo proposée en tête de cet article.
Car en progressant vers le sud, Gangnam a dû pousser un peu plus loin ses anciens résidents, comme la conquête de l'Ouest américain a parqué les Indiens dans leurs réserves. Forcés de s'éloigner des quartiers où ils n'avaient plus les moyens de résider, quelques milliers d'habitants se sont trouvés coincés au sud de Tower Palace, de l'autre côté d'une voie express. Impossible d'aller plus loin : la zone est fermée par la colline Guryong-san.
Protégé de trois côtés par la montagne, l'emplacement serait idéal au point de vue du feng shui si son orientation n'était exactement contraire aux règles : au lieu de bloquer les vents du nord, le relief retient l'air chaud du sud. Hier après-midi, sur les pentes de la montagne, j'ai pu marcher sur un torrent complètement gelé alors que la neige tombée la veille avait rapidement disparu partout ailleurs.
Guryong, aujourd'hui, c'est mille deux cents maisons construites avec les moyens du bord : des planches, des tôles, des matériaux divers pour tenter de s'isoler du froid. L'électricité est récupérée dans des lignes qui passent par là. Il paraît qu'il n'y a pas d'eau potable. Toutes ces constructions sont illégales. Les articles de presse disent que les résidents sont surtout des personnes âgées ; pourtant j'ai croisé des hommes d'âge mûr rentrant du travail, des adolescents même. Les auriez-vous croisés un peu plus loin, vous n'auriez pas su s'ils allaient au bidonville ou à Tower Palace.
Et comme partout ailleurs dans Séoul, les croix des églises dépassent de la masse des toitures.
Naver, l'un des Google Maps coréens, permet de se promener dans le bidonville comme dans n'importe quel autre quartier de Séoul.
Guryong va disparaître. Le maire de Séoul, ancien avocat des causes sociales, s'est engagé à coopérer avec ses habitants pour transformer le quartier. Mais la pression immobilière est forte : c'est la dernière frontière de Gangnam. Les désaccords sont nombreux, entre les résidents, les propriétaires des sites occupés, la mairie.
Un incendie, en novembre dernier, a accéléré les choses. Les bulldozers ont commencé à entrer en action, malgré l'opposition des résidents. Un tribunal a toutefois ordonné vendredi dernier l'arrêt des démolitions, pour une durée d'une semaine.
Mais ce qui domine aujourd'hui l'actualité du bidonville de Guryong, c'est la mystérieuse découverte, au premier étage du centre communautaire du quartier, de meubles de prix, clubs de golf et « alcools étrangers de luxe », dont l'opposition avec la vie misérable des habitants choque les journaux.
Et pourtant, quoi de plus banal que les contrastes à Séoul ?
(Contraste ne signifie pas diversité mais changement. Un pays qui privilégie la cohésion et la conformité à des standards peut être plein de contrastes si ces standards évoluent et que tous ne peuvent pas les suivre à la même vitesse.)
Publié par thbz (février 10, 2015) | Commentaires (2)
février 04, 2015
04 février 2015 - Asie - (lien permanent)
Décorations en tessons au Vietnam
On trouve, au fond de la cité impériale de Hué, splendide reflet d'un empire du Vietnam qui, enfin réunifié au début du 19e siècle, jette ses derniers feux avant d'être absorbé par un empire doté de meilleures armes, aujourd'hui gigantesque espace clos que les guerres française et américaine ont en grande partie réduit à l'état de ruine, on trouve de magnifiques pavillons, restaurés ou non, des rochers aux formes fantastiques dans la tradition chinoise, des bassins où se reflètent les constructions humaines...
... et des arches ornées de motifs délicats...
... ou de décors en céramiques qui présentent une curieuse particularité :
Il ne s'agit pas de panneaux de céramiques commandés sur mesure à des artisans, ni même de petits carreaux aux formes simples assemblés en mosaïque, mais de débris de tasses, de plats ou d'assiettes en porcelaine, choisis pour leur couleur, leur forme et leurs motifs.
Ces porcelaines brisées sont mêlées à des morceaux de verre qui, eux aussi, sont en fait des tessons de bouteilles.
Apparemment, ces décorations n'étaient pas réalisées en récupérant des vases ou des bols déjà brisés, mais en important des porcelaines de prix pour ensuite les casser en morceaux.
À l'extérieur de Hué, en suivant la « Rivière des Parfums », large cours d'eau tranquille bordé de paysages tropicaux, on arrive d'abord à la pagode de la Dame céleste. Dans l'un des bâtiments de la pagode est exposé un superbe vase :
... sur un socle en mosaïque de porcelaine brisée :
En poursuivant la remontée de la rivière sur un bateau-dragon de pacotille...
... on parvient à la région des mausolées. Ici, à l'écart de la cité impériale, les empereurs du 19e et du 20e siècles se font fait construire de véritables palais funéraires, composés d'une succession de cours et de pavillons qui se fondent dans la nature.
Le dernier d'entre eux, Khai Dinh, a préféré dresser un immense tombeau de pierre sur les pentes abruptes d'une colline. En gravissant un escalier monumental on découvre statues et pavillons pétrifiés, pour parvenir au sommet à un palais mélangeant une architecture baroque et des décorations plus vietnamiennes.
À l'intérieur, les murs sont presque entièrement couverts de tessons de céramique et de bouteilles. Troncs d'arbre biscornus, oiseaux au plumage fantastique, dragons bienveillants, montagnes en forme de vagues, nuages colorés parcourus par des grues, vases à quatre pieds remplis de fleurs, de crosses, d'éventails et posés sur des structures géométriques improbables : c'est l'apothéose de ce style de décoration.
Construit dans les années 1920 par un empereur impopulaire et impuissant, grâce à un impôt spécial levé sur les paysans avec l'accord des Français, ce mausolée est un extraordinaire témoignage d'un pouvoir réduit à une simple apparence, aujourd'hui transformé en attraction touristique. C'est dérisoire et splendide, cohérent et irrationnel comme les grotesques des palais italiens.
Un guide désigne même à des touristes japonais des morceaux de bouteille portant le nom d'un célèbre fabricant de saké.
(Contrairement aux maisons-tubes, qui frappent tout visiteur un peu sensible à l'architecture, ces décorations ne semblent pas inspirer beaucoup d'analyses sur Internet. À voir tout de même : un intéressant fil de discussion consacré à l'architecture vietnamienne traditionnelle sur le forum SkyscraperCity.)
Publié par thbz (février 04, 2015) | Commentaires (2)
février 01, 2015
01 février 2015 - Asie - (lien permanent)
Inscriptions dans l'espace public au Vietnam
J'ai déjà consacré une note aux inscriptions dans l'espace public à Séoul. En voici quelques-unes vues au Vietnam, dans les régions de Hanoi (nord du pays), Hué et Hoi An (centre), ainsi que dans les campagnes environnantes aperçues depuis le bus ou le train.
Si les enseignes de boutiques et les publicités sont nombreuses au Vietnam comme ailleurs, c'est surtout les affiches de propagande qui intéressent le touriste — mais je n'avais guère envie, malgré leur indéniable attrait graphique, d'en acheter dans les nombreuses boutiques spécialisées du quartier touristique de Hanoi. Disposées sous forme de banderoles dans la rue, inscrites sur les murs des bâtiments ou alternant avec les panneaux publicitaires perchés au sommet de mâts élevés, elles attirent l'œil dans toutes les villes et jusque dans les campagnes, le long des grands axes.
Lorsqu'elles ne se limitent pas à un simple message, habituellement écrit dans le jaune et rouge du drapeau national, les affiches de propagande sont ornées de dessins au style caractéristique : lignes claires et couleurs vives pour représenter des travailleurs représentatifs de la société regardant avec confiance vers une direction qui semble être celle du futur, de la patrie ou du communisme, parfois sous le regard bienveillant de Hô Chi Minh.
Il peut s'agir de commémorer les grandes étapes de la construction du Vietnam communiste, d'encourager les citoyens à œuvrer toujours plus pour la réussite du pays ou, comme dans nos pays, de les inciter à adopter tel ou tel comportement (ne pas fumer, trier les déchets...).
Parfois aussi, le long de la route, des monuments semblent érigés à la gloire de la patrie ou du communisme et me rappellent ceux que j'ai vus en Bulgarie en juillet 1989 : une colonne, des personnages le bras levé...
Un traité de graphisme pourrait être consacré à la seule représentation de l'oncle Hô (appellation courante au Vietnam), omniprésent dans l'espace public : portant un enfant dans ses bras, inspirant le pays, protégeant de son aura les travailleurs... Parfois une simple silhouette en ombre chinoise suffit à reconnaître sa barbichette caractéristique. Affiches dans les rues, mais aussi couvertures de livres dans les librairies, et encore sur les billets de banque — tous les billets de banque —l'image de Hô Chi Minh est reproduite à l'infini, comme le logo sur les publications d'une entreprise.
Les affiches de propagande paraissent moins nombreuses dans les quartiers touristiques, où elles se réduisent à un simple message en vietnamien, incompréhensible pour le touriste — à moins qu'il ne prenne la peine d'entrer chaque mot dans un dictionnaire électronique.
Les éléments de traduction donnés ci-dessous doivent être pris avec précaution, car ma connaissance de la langue vietnamienne se limite aux noms des principaux plats servis dans les restaurants du 13e arrondissement de Paris. Je ferai donc confiance aux moteurs de recherche et sites de traduction qui, lorsqu'ils ne proposent pas de traduction précise, donnent au moins une idée des sujets évoqués dans le message.
1. De très nombreuses affiches et banderoles, en ce mois de janvier 2015, célèbrent le 85e anniversaire du parti communiste vietnamien (Đảng Cộng Sản Việt Nam), fondé par Hô Chi Minh à Hong Kong le 3 février 1930.
2. L'image de Hô Chi Minh apparaît sur tous les billets de banque, ce qui rend leur manipulation difficile pour les touristes, d'autant que les montants sont très élevés : on confond souvent les billets de 10 000 (40 centimes d'euro seulement) ou 50 000 dongs avec des billets de 100 000 ou 500 000.
Ces billets, comme dans d'autres pays d'Asie, peuvent servir d'offrande dans les temples, à côté de bâtonnets d'encens, fruits et biscuits en paquets. C'est ainsi que l'on retrouve l'effigie bienveillante de « Celui qui éclaire » (Hô Chi Minh) sur un autel de temple bouddhiste.
3. Le même jaune et rouge nationaux, complétés par un rose et un vert tout aussi vifs, évoquent la nouvelle année et les nouveaux succès qui l'accompagneront. Sans doute s'agit-il des succès du pays dont l'image montre des buildings en construction, arborant l'étoile du drapeau vietnamien. Cette construction est érigée au centre d'un grand carrefour du quartier français de Hanoï ; elle est peut-être temporaire, comme les banderoles « Chúc Mừng Năm Mới » (bonne année) que l'on voit partout dans la ville.
4. Je photographie ce banc en croyant y trouver soi une instruction d'utilisation, soit le nom d'un sponsor. En fait c'est simplement le nom du Musée national d'histoire qui y est inscrit ; nous sommes dans le parc de ce musée. Non, il n'y a pas de la propagande partout...
5. Les murs des écoles sont décorés de fresques sophistiquées aux couleurs vives.
6. Il est ici question de gens riches, de pays fort, d'équité, de démocratie et de civilisation ; mais j'ignore comment ces notions sont reliées sur cette inscription qui domine ce qui est, je crois, un « Palais de la culture et de l'amitié entre travailleurs vietnamo-soviétique », c'est à dire une salle de spectacle.
7. Hô Chi Minh souhaitait, paraît-il, que ses restes incinérés soient dispersés au-dessus de son pays. Mais on a embaumé son corps pour l'exposer dans un mausolée digne de ceux que les empereurs du siècle précédent se faisaient construire à Hué. Avec des messages forts :
- « Longue vie à la République socialiste du Viet-Nam ! »
- « Le Président Hô Chi Minh vit pour l'éternité... » (à peu près)
8. Quelque part entre Hanoï et la baie d'Along, un panneau planté dans un échangeur dit à peu près, si j'en crois un traducteur automatique, que « l'ensemble du Parti et le peuple recherchent l'économie, l'intégrité, l'esprit public en suivant l'exemple du génial Hô Chi Minh ».
9. À Hué, ancienne capitale impériale aux 19e et 20e siècles, cette élégante façade arbore les drapeaux communiste et vietnamien. L'inscription parle de sécurité publique et de personnes prêtes à sacrifier leur vie. S'agit-il de célébrer le dévouement des agents de la sécurité publique (công an) ?
10. Toujours à Hué, le long de la « rivière des Parfums », quelques publicités dominent les immeubles. Les publicités sont souvent très grandes mais bien moins visibles et moins lumineuses qu'en Corée.
11. À la sortie d'une petite rue du quartier touristique, cette banderole en hauteur parle de servir le peuple, d'avoir du cœur et d'être résolu, de trace rouge (?), de construire, de vie et de culture.
12. Entre Hué et Hoi An, un panneau parmi d'autres affirme l'appartenance au Vietnam des îles Paracels (Hoàng Sa) et Spratleys (Trường Sa), aussi revendiquées par la Chine. On trouve de la même manière, en Corée, de nombreuses affiches, inscriptions, voire maquettes, revendiquant l'appartenance à la Corée des rochers Liancourt (Dokdo pour les Coréens).
13. À Hoi An comme à Hanoi ou Hué, le centre historique, fréquenté uniquement par des touristes et des Vietnamiens qui travaillent pour le tourisme, présente peu ou pas du tout de slogans. À l'extrémité du centre historique, une grande arche qui donne peut-être accès à un bâtiment public comprend un message écrit, comme toujours, en caractères jaunes sur fond rouge et célébrant encore une fois le 85e anniversaire du Parti communiste vietnamien.
14. Le message est le même sur cette banderole traversant une rue :
15. Tout est dans cette belle pancarte plantée au bord d'un carrefour important de Hoi An : sous les symboles du parti communiste et de la nation, sept Vietnamiens de tous âges, sexes et professions présentent, comme dans une peinture religieuse, les attributs de leur fonction (la clé anglaise de l'ouvrier, la gerbe de foins de la paysanne, l'uniforme du soldat, le rouleau de papier de l'institutrice ou de l'employée de bureau, le bouquet de fleurs de la petite fille, la truelle et la plante en motte d'un vieillard qui ressemble un peu à Hô Chi Minh). Sur la gauche, une vue de Hoi An. Il est question dans le message du Parti, de l'administration, de la planification économique, de Hoi An et de l'année 2015, mais je ne saurai en dire plus.
16. Toujours dans une rue de Hoi An extérieure au quartier touristique, une apparition parmi tant d'autres de la faucille et du marteau communistes.
17. Ici il est question du Parti communiste vietnamien, des leaders, de la révolution vietnamienne :
18. À l'entrée d'un bâtiment qui accueille, je crois, une administration chargée de la conservation du patrimoine culturel, une banderole affirme la nécessité de préserver et promouvoir ce patrimoine.
19. Faucille et marteau, étoile vietnamienne et silhouette de Hô viennent à l'appui d'un nouveau message de promotion de la planification.
20. Toutes les images de propagande ne concernent pas la glorification du Parti et de la nation ou l'éducation politique et économique du peuple. Certaines affiches, comme en France et ailleurs, encouragent le peuple à améliorer son comportement dans des domaines tels que la santé, la nutrition ou l'environnement :
- « Dire non aux sacs en plastique » (ni lông est peut-être une transcription phonétique du mot « nylon ») :
- cette image est assez explicite pour que je puisse me dispenser de chercher la signification du message :
- la cigarette brisée (cachée par une branche d'arbre) permet semble-t-il d'assurer l'avenir de la petite fille. En gros caractère, le mot « không » (non), que l'on voit souvent sur les panneaux d'interdiction :
- « Non au tabagisme », pour la santé, pour la communauté...
21. Et pour finir sur une jolie image, voici un autre mur de cour d'école qui présente des enfants modèles sous une pyramide alimentaire :
Publié par thbz (février 01, 2015) | Commentaires (0)